LOUPRINT : une victoire au « Cup » dont l’écho dépasse largement le fil d’arrivée

Dans le sport, les légendes se forgent souvent dans les moments les plus grands, les plus intenses, et les courses attelées n’y font pas exception. Ainsi, lorsque Ronnie Wrenn Jr. et Ron Burke ont uni leurs forces avec Louprint pour remporter le Pepsi North America Cup d’un million de dollars dans une performance record, ce moment électrisant est venu consolider leur héritage respectif, tout comme celui des membres de leur famille qui les ont précédés. Par John Rallis | Traduction Manon Gravel.

Louprint

Bien que Burke et Wrenn aient des personnalités différentes, ils partagent un même moteur profond : un lien avec ceux qu’ils ont perdus et une volonté d’honorer leur mémoire à travers le sport qu’ils aiment. Louprint est bien plus qu’un poulain talentueux : il est le symbole de ce parcours partagé, de cette façon dont la grandeur naît souvent des racines que sont l’héritage, l’amour et le deuil.

Pour l’entraîneur intronisé au Temple de la renommée Ron Burke, dont le palmarès figure déjà parmi les plus prestigieux du sport, cette victoire dépasse largement une ligne de plus dans les livres des records — celle de Louprint est profondément personnelle. Issu de leur étalon vedette Sweet Lou, ce poulain fait partie de la dernière génération dont le père défunt de Ron, Mickey Burke Sr., a activement supervisé le développement avant son décès en mai 2024.

Mickey Sr., architecte de la célèbre « Burke Brigade », a vu Louprint passer du statut de poulain à celui d’étoile montante, mais il est malheureusement décédé quatre semaines avant que le cheval n’inscrive sa première ligne au programme. Le 14 juin 2025, Mickey Burke Sr n’était peut-être pas physiquement au fil d’arrivée, mais sa présence était palpable. Pour Ron, Louprint incarne chaque leçon, chaque valeur que son père lui a transmise. Le tour d’honneur dans le cercle des vainqueurs ce soir-là n’était donc pas qu’une simple réussite professionnelle — c’était un hommage vibrant à l’héritage familial.

La carrière impressionnante de Ronnie Wrenn Jr., menée principalement en Ohio et en Pennsylvanie, ne l’avait pas encore propulsé parmi les grands noms du sulky. Mais avec cette victoire au North America Cup, le nom de Wrenn est désormais indissociable de celui de Louprint, et d’un des moments les plus palpitants du sport.

Comme Burke, Wrenn court avec bien plus que de l’ambition : il court avec la mémoire et la signification. Son père, Ronnie Wrenn Sr., décédé en 2014, demeure sa source d’inspiration chaque fois qu’il saisit les guides. Et tout ce que le paternel lui a enseigné — la patience, le timing, le sang-froid — a été mis en œuvre lors de cette soirée inoubliable.

La costume de conducteur de Wrenn raconte d’ailleurs une autre histoire… Bien qu’il course en noir et bourgogne, son habit arbore deux touches de vert : un brassard sur la manche gauche et les initiales HM sur la poitrine. Ce sont des hommages à Hunter Myers, un ami proche et jeune conducteur de talent, dont la vie a été tragiquement fauchée en mars 2025. Père de famille et rêveur des grandes scènes du sport, Myers continue désormais à vivre à travers les victoires de Wrenn, et son esprit était dans chaque foulée de Louprint lors de sa performance record.

« J’ai l’impression de rêver, » a déclaré Ronnie Wrenn Jr. en entrevue après la course, quelques instants après avoir remporté une victoire palpitante dans cette édition de la North America Cup.

Louprint

Ces mots n’auraient pu être plus justes – surtout pour ce natif du Michigan, qui n’aurait pu qu’en rêver lorsqu’il a pris les guides pour la première fois à l’âge de 21 ans. Mais le 14 juin 2025, ce père de famille de 38 ans se tenait fièrement au sommet des courses attelées en Amérique du nord.

« Je n’étais pas comme la majorité des gars de la « game », » confie Wrenn en repensant à ses débuts atypiques dans le monde des courses. « J’ai commencé tard… j’ai pris les guides à 21 ans, ce qui n’est pas l’idéal pour quelqu’un qui veut faire carrière comme conducteur (rires). »

« J’ai grandi autour de l’industrie grâce à mes parents, mais je ne dirais pas que j’étais passionné à l’époque, » reconnaît-il. « Beaucoup de gens dans ce milieu ont grandi dans les écuries, jour après jour, à apprendre avec passion. Pour moi, ce n’était pas forcément le cas. »

Avec le temps, ses parents se sont éloignés des courses de Standardbred, ce qui a influencé l’éloignement progressif de Ronnie. Il s’est alors tourné vers les études et les sports de compétition, loin de se douter que les chevaux redeviendraient un jour sa voie.

« Je jouais beaucoup au baseball de haut niveau, et j’ai même étudié dans une université de Division II au Michigan, » explique-t-il. « Je faisais des études en droits criminels… mais ça n’a pas duré longtemps (rires). »

À peine deux sessions après le début de ses études, Wrenn Jr. travaille à l’écurie de son oncle, Peter Wrenn, vétéran du métier. Mais cette fois, l’attrait pour les chevaux est bien réel.

« En travaillant pour mon oncle, j’ai soudain ressenti une admiration sincère pour les chevaux. Ce n’était pas là quand j’étais plus jeune, mais je l’ai vraiment sentie à ce moment-là. Passer dans ce monde à temps plein, ce fut alors naturel. »

Ce choix de vie n’a pas fait l’unanimité chez ses parents, qui espéraient le voir obtenir un diplôme universitaire. Mais Ronnie pouvait compter sur deux piliers expérimentés : son père, Ronnie Sr., et son oncle Peter.

« Mes parents tenaient beaucoup à ce que je fasse des études. Ayant connu les défis des courses, ils voulaient un avenir stable pour moi.

« Personne ne veut voir ses enfants galérer, et c’est tout à leur honneur. Mais j’ai été chanceux. Jusqu’ici, je dirais que ça m’a plutôt bien réussi », ajoute-t-il en riant.

Malgré ce départ tardif, Ronnie est issue d’une excellente lignée : son père, Ronnie Sr., était une figure très respectée sur le sulky.

« Dans les années 70 et 80, mon père était un des meilleurs au Detroit Race Course, » raconte-t-il avec fierté. « Beaucoup de gens le tenaient en haute estime. Il a couru contre des gars comme Bill Gale. Encore aujourd’hui, certains viennent me dire à quel point il était talentueux. »

Son père lui a transmis l’essentiel de l’art de conduire, mais aussi la force mentale, qui s’est avérée cruciale dans son parcours.

Cette résilience mentale s’est manifestée dès les débuts de carrière de Ronnie, alors qu’il devait faire ses preuves dans un environnement très compétitif. Les victoires se sont fait attendre, mais avec la persévérance est venue la confiance.

Louprint

Malheureusement, à mesure que Ronnie trouvait son rythme, l’industrie des courses au Michigan déclinait, forçant le jeune conducteur à envisager un déménagement.

« L’état des courses au Michigan n’était pas prometteur. Il fallait que je cherche ailleurs. Ce n’est jamais évident de repartir à zéro dans un nouvel environnement, mais c’était nécessaire. »

En 2012, il déménage en Ohio et commence à courir à Northfield Park. Le niveau y est plus relevé, mais Wrenn, qui carbure à la compétition, est prêt.

Il ne savait pas encore que cette décision allait changer le cours de sa carrière.

« Les choses ont vite évolué à mon arrivée là-bas, » se souvient-il. « J’ai gagné le championnat des conducteurs en 2013 et 2014. Les gens ont commencé à me connaître. »

Parmi ces gens, il y avait Ron Burke, entraîneur intronisé au Temple de la renommée, qui a intégré Wrenn à sa rotation en 2016, avant de faire de lui son conducteur attitré à Northfield Park et The Meadows.

« C’est une super relation, » dit Wrenn à propos de Burke. « Il dirige une écurie impressionnante et c’est un vrai plaisir de conduire pour lui. Mais surtout, il a toujours eu une grande confiance en moi, et j’en suis très reconnaissant. »

Cette confiance s’est illustrée plus que jamais le samedi 14 juin, à Woodbine Mohawk Park, quand Wrenn s’installe sur le sulky pour la 11e course, aux commandes d’un protégé de Burke : Louprint.

Louprint, le fils de Sweet Lou, s’est imposé dès l’âge de deux ans comme un poulain hors du commun. Élevé et co-détenu par Ron Burke, le jeune trotteur a marqué les esprits en tant que recrue et a reçu des honneurs de division aux États-Unis à la fin de 2024.

Avant la North America Cup, Louprint avait un dossier parfait de 4 en 4 à trois ans, ce qui le plaçait logiquement comme favori à battre, ajoutant au stress pour son conducteur.

« Je savais que c’était la plus grande course de ma carrière, mais j’étais étonnamment calme, » avoue Ronnie. « Je crois que c’est grâce à la force mentale que mon père m’a apprise.

« J’étais nerveux, non pas à cause de l’enjeu personnel, mais parce que je voulais faire honneur à tous ceux qui ont cru en moi et au cheval. »

Louprint

Louprint portait un tapis de sellette vert en s’élançant de la quatrième position — la plus victorieuse de l’histoire du Cup. Mais ce vert représentait plus que la chance : la mémoire, la loyauté, et les absents présents en esprit.

Après s’être installé quatrième au départ, comme deuxième favori à 9 contre 5, Wrenn lance Louprint dans un mouvement puissant pour prendre la tête au demi-mille en un fracassant :53.1. La cadence reste effrénée, et ils atteignent les trois quarts de mille en 1:19.1 — un record historique pour la course.

S’ensuit un duel haletant dans le dernier droit, face au négligé Madden Oaks (53 contre 1), mené par un autre natif du Michigan, Braxten Boyd. Louprint montre alors toute sa combativité, refusant de céder, et s’impose par une tête en 1:47.1 — nouveau record de l’épreuve.

« C’est un cheval exceptionnel, et il l’a prouvé ce soir, » déclare Wrenn après la course. « Ce n’était pas l’idéal d’aller aussi vite au troisième quart, mais c’est la carte que j’ai choisie. Et ce poulain s’est battu avec courage.

« Je n’ai jamais douté. Dès la sortie du dernier tournant, je le sentais gagnant. Il creuse, il cherche, il sait comment gagner. »

Lorsque Ronnie Wrenn Jr est revenue vers un cercle des vainqueurs chargé d’émotion, il y a retrouvé l’entraîneur Ron Burke, des membres du groupe de propriétaires, et — surtout — sa conjointe, Brianna. Plusieurs proches n’avaient pu faire le voyage au Canada pour des raisons logistiques… mais d’autres étaient absents pour une tout autre raison : ils ne sont plus de ce monde. Pourtant, ils étaient bien là en esprit.

« Mon bon ami est décédé il y a quelques mois, ça a secoué toute l’industrie des courses, » a confié Wrenn après la course. « Mais il était là avec moi ce soir, et on a réussi la mission. »

Ce « bon ami », c’était Hunter Myers, disparu tragiquement en mars dernier dans un accident survenu en course. Un drame qui a touché toute la communauté… mais plus encore Ronnie, pour qui Hunter était comme un petit frère.

Ils partageaient une profonde amitié, bâtie autour de leur passion commune pour les chevaux… et pour leur famille.

« La semaine dernière, Brianna et moi étions à la plage avec Chloe [la veuve de Hunter] et leur fils. Elle nous racontait que Hunter m’avait regardé gagner la Breeders Crown avec Louprint l’automne dernier. Elle disait qu’il sautait partout, en hurlant de joie, les larmes aux yeux quand on a franchi le fil. Ça m’a fait sourire.

« J’aurais aimé qu’elle revive ce moment, mais je sais qu’il saute de joie quelque part, et qu’il me soutient. Il me manque terriblement… Je ferai tout ce que je peux pour faire vivre son héritage à travers moi. »

Tout comme Wrenn, Ron Burke pleurait aussi une perte récente — celle de son père, Mickey Burke Sr., décédé en mai 2024. Plus qu’un mentor, Mickey était une force fondatrice de leur écurie. Et si la victoire de samedi était une grande joie, elle était aussi un rappel douloureux : un pilier manquait.

« Je savourais le moment dans le cercle des vainqueurs, et puis j’ai réalisé que je ne pourrais pas appeler mon père pour lui parler, » a confié un Ron Burke ému. « Il était toujours le premier que j’appelais après une grande course… Et là, le lendemain, on allait chez ma mère pour la fête des Pères, mais lui n’y serait pas. On continue à faire ce qu’on a toujours fait… sauf qu’on n’a plus notre chef. »

« Cette victoire dans le North America Cup a d’autant plus de sens qu’elle provient de la dernière cuvée de Sweet Lou à laquelle mon père a contribué. Mon père nous a appris le travail, la rigueur, et je pense que Louprint en a montré un bel exemple ce 
soir-là. »

Louprint

Tout comme Mickey Burke a bâti les bases de leur écurie, Sweet Lou a fondé leur programme d’élevage. Et pour Ron, Louprint pourrait même être encore meilleur que son célèbre père.

« Il faudra voir comment se déroule le reste de la saison, mais Louprint pourrait bien être le plus fort des deux, » affirme Burke. « Sweet Lou avait eu un parcours difficile dans la finale du Cup, un peu comme Louprint… mais seul Louprint l’a emporté. »

« Je dirais qu’on a beaucoup progressé dans la gestion des chevaux en amont de courses comme celle-là. On apprend en cours de route, et je pense qu’on aurait pu mieux faire à l’époque avec Sweet Lou. »

Quand il s’agit de reconnaître les bons talents, Burke n’a que des éloges pour le conducteur qui a conduit le cheval son élevage à cette victoire emblématique. Malgré les doutes exprimés par certains, la foi de Burke envers Wrenn n’a jamais failli.

« Bien sûr que j’ai entendu ceux qui doutaient de Ronnie, qui se demandaient s’il pouvait livrer dans une course comme celle-là. Mais moi, je n’ai jamais douté, et je suis heureux d’avoir pu faire taire ces mauvaises langues… Il a gagné la Breeders Crown de la 9e position l’an passé, ce n’est pas comme s’il n’avait jamais gagné de grande course…

« Si tu regardes le respect que lui portent les meilleurs conducteurs, dans leur façon de courir contre lui, de lui parler… tu comprends qu’il a toujours eu leur estime. Et maintenant, plus que jamais. »

Comme Burke, Ronnie n’a pas pu célébrer cette journée de la fête des Pères avec l’homme qui l’avait préparé à cet instant. Ronnie Wrenn Sr est décédé en 2014.

Mais s’il ne pouvait partager cette victoire avec son père, il l’a fait avec ses plus grands fans : sa femme Brianna, et leurs trois enfants — Easton (6 ans), William (3 ans) et la petite Maya (8 mois). Et malgré la joie d’avoir gagné une course millionnaire, ce qui le comble le plus, c’est d’être papa.

« Mon fils aîné comprend un peu quand je gagne une grosse course, mais les deux autres ne savent pas trop ce que je fais… et j’adore ça.

« Aussi génial que soit de gagner une course d’un million de dollars, rien n’est plus beau que d’être père. C’est ce dont je suis le plus fier. »

Cet article a été publié dans le numéro de juillet de TROT Magazine.
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