Mon Visite dans la Salle des Conducteurs

La salle des conducteurs, située dans le paddock d’un hippodrome de Standardbreds, obéit essentiellement à une règle non écrite, un peu comme la ville de Las Vegas ou le vestiaire d’une équipe sportive : ce qui se passe dans la salle des conducteurs reste dans la salle des conducteurs. C’est pourtant un endroit à la fois unique et divertissant, si bien que j’ai toujours pensé que ce qui s’y passe – ou du moins une partie – méritait un article dans TROT. 99 % de nos participants n’auront jamais l’occasion d’y passer une soirée – une expérience que j’ai pour ma part tenue pour acquise durant presque toute ma vie d’adulte – mais peut-être qu’un récit bien ficelé, écrit par la bonne personne, pourrait donner un aperçu et divertir le public sans briser aucun code au passage ? Je suis vraiment reconnaissant aux membres actuels de la colonie de conducteurs de WEG, ainsi qu’à quelques visiteurs bien connus venus de l’extérieur, de m’avoir fait confiance pour ce projet, et je les remercie d’avoir simplement été eux-mêmes, le soir du Milton Stakes 2025, quand j’ai passé toute la soirée en leur compagnie. Je sais bien que ce que je vous présente dans les pages qui suivent ne pourra jamais égaler l’expérience vécue sur place, mais j’espère tout de même lui rendre justice, d’une certaine façon. Par Dan Fisher. Traduction Manon Gravel

Drivers' Room

Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai mis les pieds dans une salle des conducteurs du Ontario Jockey Club (OJC). C’était dans les années 1990 à Greenwood, à l’époque où j’avais pour la première fois quelques stalles dans la zone des écuries. Je coursais alors – avec un certain succès – une jument nommée Daylon Touchdown. Pour une raison que je ne me rappelle plus, elle n’avait pas couru depuis quelques semaines. Je voulais la « schooler » derrière la barrière le lendemain matin après les qualifications, alors je me suis dirigé vers la salle des conducteurs de Greenwood Raceway, en plein programme de courses, pour voir si mon conducteur, Paul MacDonell, serait là le lendemain matin afin de la conduire pour moi.

Ce soir-là, tout comme le 13 septembre 2025 à Woodbine Mohawk Park, l’événement principal dans la salle était une partie de Gin – un rituel qui n’a pas changé d’un iota depuis plus de 30 ans. Si je me replonge dans cette soirée des années 1990, je ne me souviens pas exactement de tous les participants, mais je sais que mon homme – Paul – jouait à ce populaire jeu de cartes, tout comme Doug Brown et, sans surprise pour quiconque le connaît, Davey Wall (lol). Ces trois-là jouaient, ça c’est sûr.

J’ai lancé un « Salut » en direction de Paul en m’approchant de la table, puis je suis resté spectateur silencieux, attendant le bon moment pour interrompre la partie, les bavardages et les éclats de rire pour poser ma question.

Je connaissais aussi un peu Brownie (Doug) à l’époque, donc je n’étais pas exactement mort de trac, mais je n’étais pas non plus un vieil ami de la majorité des gens présents.

Finalement, Paul m’a demandé ce qui se passait, et je lui ai demandé s’il serait là le lendemain et s’il pouvait schooler ma jument pour moi – c’était une bonne bête, donc je n’hésitais pas trop à poser la question. Nous l’avions réclamée pour 31 250 $ un mois plus tôt, et elle courait bien à un niveau supérieur. Pour être juste, Paul était un gars occupé, avec une grande écurie à gérer, et moi, je n’étais qu’un entraîneur avec une seule jument, alors ce n’était pas surprenant qu’il me réponde, en toute franchise : « Pourquoi tu n’y vas pas toi-même ? Tu as déjà sorti des chevaux derrière la barrière et elle a de bonnes manières. Tu n’as pas besoin de moi. »

Il avait parfaitement raison. Je n’y avais jamais pensé jusque-là, mais ça faisait sens.

Drivers' Room

Toute la salle avait évidemment écouté notre conversation, et ce fut ensuite au tour de Brownie – le roi incontesté de l’endroit à l’époque – de lancer une « craque ». Doug lança, fort, alors que je me dirigeais vers la porte : « Mais si tu veux la pôle, t’es mieux de l’emmener vite sur la piste, kid – Peewee [Barry Drury] la prend toujours… à chaque schooler ! »

La salle entière éclata d’un rire hystérique, et en riant avec eux, je me suis rapidement senti comme un des leurs.

L’autre soir à Mohawk, je me suis dit qu’au moins trois choses n’ont pas changé dans la salle des conducteurs de l’OJC/WEG au fil des ans:

1. Il y a toujours une partie de Gin en cours.

2. Tout le monde est une cible légitime pour les craques.

3. Je me sens toujours comme l’un des leurs quand je suis là.

Alors que je montais l’escalier arrière menant à la salle des conducteurs de Mohawk, vers 17 h 45 le 13 septembre, je regardais sur mon téléphone les Blue Jays de Toronto, qui tentaient encore une fois un improbable retour en neuvième manche — cette fois contre les Orioles de Baltimore. Une fois entré dans la salle, j’ai pu éteindre mon téléphone et prendre place à côté de James MacDonald — un vrai passionné de baseball — alors que nous regardions les Jays réussir, une fois de plus, l’impossible.

Assis à la table de cartes à notre gauche, en train de jouer au gin et faisant semblant de ne pas regarder le match de baseball, se trouvaient Tyler Borth, Doug McNair, l’entraîneur Blake MacIntosh et le duo oncle/neveu formé de Trevor et Travis Henry. Mais je savais bien qu’ils n’étaient pas complètement absorbés par leurs cartes, car j’ai entendu à plusieurs reprises le familier « Hé, Fish ».

Quand on lui demande qui est aujourd’hui le plus redoutable joueur de cartes, Doug McNair admet avec gravité que personne n’a vraiment pris la relève depuis que « le grand nous a quittés », en parlant du regretté Jack Belliveau, décédé en avril 2022 à l’âge de seulement 64 ans.

Le nombre de joueurs de gin qui se sont succédé à ces parties au fil des décennies serait sans doute impossible à calculer, mais de mon vivant, Jack et le déjà mentionné Dave Wall sont les deux noms qui me viennent immédiatement à l’esprit quand il s’agit de deviner les meneurs de tous les temps en nombre de parties jouées… et d’après ce que je comprends, ils occuperaient probablement les deux premières places en gains cumulés au gin également.

Drivers' Room

Ce soir-là, il reste encore une bonne heure avant la première course, donc personne n’a encore revêtu ses couleurs — jusqu’à ce que Louis-Philippe Roy fasse son entrée, enlève son casque et essuie un peu de poussière de son visage.

Contrairement à la plupart des autres présents, Louis possède plusieurs chevaux de course et vient tout juste de terminer de réchauffer l’un d’eux. Après m’avoir adressé un signe de tête et un clin d’œil, il prend silencieusement place. Il ne faut pas longtemps avant que quelques craques verbales fusent en direction de LPR — rien de bien méchant — et j’interviens :

« Pourquoi vous en prenez-vous à mon ami Louis ? C’est le gars le plus tranquille de la salle. »

Bob McClure, qui vient lui aussi d’arriver et s’est assis à ma droite, prend la parole et me rassure à propos de Louis.

« Louis est le roi des « textos », rétorque McClure. Il donne juste l’impression d’être le gars le plus discret de la salle. »

Blake ajoute alors : « Tu le trouves discret ? Essaie d’être dans une conversation « messenger » de groupe avec lui. »

La pièce éclate de rire alors qu’un large sourire se dessine sur le visage visiblement coupable de Louis.

Alors que l’atmosphère décontractée et légère continue de dominer la pièce, trois des quatre téléviseurs accrochés aux murs diffusent maintenant le match Yankees-Red Sox, son compris, tandis que le téléviseur dans le coin, où les commentateurs internes passent en revue la carte de Mohawk, reste muet.

Il n’est pas encore temps de se mettre au travail. La soirée sera composée de cinq heures de compétition intense – sur la piste et, dans certains cas, à la table des cartes – donc, pour l’instant, il semble que l’ambiance légère soit définitivement la bonne approche.

Le premier des conducteurs venus de l’extérieur finit par apparaître, alors que Tim Tetrick entre d’un pas nonchalant. Sourires et salutations fusent des deux côtés et il est évident, même pour qui ne le saurait pas déjà, que la salle est un lieu des plus accueillants.

Tetrick semble être arrivé assez tôt, sachant que sa première course est la 4e – une éliminatoire de la Shes A Great Lady – mais quand je lui demande s’il arrive directement de Yonkers, où s’était tenue quelques heures plus tôt le Yonkers International Trot, il secoue la tête en signe de dénégation et explique : « En fait, j’ai conduit cette fois-ci. Je vais être sur la route pour environ deux semaines et demie, et je voulais simplement avoir ma propre voiture avec moi. »

Inscrit pour conduire dès la 1re course à The Red Mile, à Lexington, le lendemain après-midi – un trajet de 864 km depuis Mohawk –, le week-end s’annonçait évidemment épuisant pour Tim.

Yannick Gingras, originaire du Canada mais installé aux États-Unis depuis la majeure partie de sa vie adulte, est le prochain « visiteur » à arriver, et il est accueilli par une pluie de « Félicitations ». Personne n’ignore dans la salle que Gingras, quelques heures auparavant, avait remporté la fameuse Yonkers International dotée d’un million de dollars, sur le sulky du représentant canadien Lexus Kody. Yannick parle brièvement, pour ceux qui écoutent, de cette victoire, avant d’enchaîner avec une deuxième histoire, celle d’un cheval qu’il conduit et dont il est copropriétaire, qui était favori à 8/5 dans la course suivant l’International – une Invitation Trot de 200 000 $.

Yannick était perplexe du résultat de cette épreuve, car son propre cheval avait reculé jusqu’à une lointaine 7e place, alors même que, selon le conducteur, il avait bénéficié d’un parcours parfait. « Je venais juste de gagner la grosse course, et ensuite je pensais avoir le « trip » parfait avec mon propre cheval – pour une belle bourse – dans la suivante. Je ne sais pas ce qui s’est passé », dit-il en haussant les épaules, « mais quand le moment est venu de foncer, il n’avait tout simplement plus rien à donner. »

C’est un rappel brutal, même pour ceux d’entre nous qui ont passé leur vie dans le milieu et l’ont vécu de l’intérieur : les sommets peuvent être vertigineux, mais les creux – qui surviennent souvent quelques instants plus tard – peuvent être terriblement profonds.

La plupart des gens qui avaient regardé la carte de Yonkers plus tôt dans la journée auraient pensé que Yannick avait connu une journée incroyable – ce qui était le cas. Mais ici, dans la salle des conducteurs, c’est l’aspect humain qui transparaissait. Pendant un instant, il n’était plus que cet autre propriétaire – comme beaucoup d’entre nous – déçu que son cheval n’ait pas répondu présent dans une grande course.

Peut-être est-ce, en partie, ce qui fait le charme de cette salle? C’est un endroit où ces hommes – qui travaillent sous une telle pression et une telle surveillance – peuvent relâcher un peu la garde et simplement être eux-mêmes. Et c’est une autre raison pour laquelle je ne raconterai qu’une partie de ce qui s’y dit. Des générations de conducteurs m’ont ouvert la porte de leur univers dans cette pièce, et jamais je ne trahirai cette confidentialité.

Cela dit, en y étant assis samedi dernier, j’en suis venu à la conclusion qu’il restait tout de même une façon de raconter l’essentiel de l’histoire, tout en préservant cette confiance… et en lisant cette dernière phrase, nul doute que plusieurs des hommes de chevaux qui étaient là ce soir-là pousseront un profond soupir de soulagement – lol.

Drivers' Room

Au moment où les courses s’apprêtent à commencer, la partie de gin disputée par McNair, MacIntosh, Borth, les Henry et Billy Davis Jr. prend miraculeusement fin, pile à temps pour que ceux qui participent à la première épreuve puissent se préparer. Cette synchronisation incroyable donne l’impression que ces gars ont déjà pratiqué ce petit mélange cartes-courses une ou deux fois auparavant.

Alors que mon vieil ami Dougie McNair fourre ses gains dans sa poche, il enfile aussi ses couleurs bordeaux et noir bien connues. Quelques collègues à qui il vient de soutirer de l’argent le taquinent en disant qu’il va être en retard pour la parade, mais il rétorque qu’il part de la 10e position dans la 1re – une très mauvaise position – mais, ce qui lui donne environ 30 secondes de plus pour se changer. McNair attrape son casque et son fouet et, jetant un coup d’œil à l’un des téléviseurs – désormais tous réglés sur les courses – je le vois quelques instants plus tard rejoindre son cheval au moment exact où il devait être là… donnant aussi l’impression qu’il avait déjà pratiqué ce petit mélange cartes-courses une ou deux fois auparavant.

Les courses du samedi soir battent leur plein, la table de cartes est laissée à l’abandon – pour l’instant – et l’ambiance de la soirée prend des allures un peu plus sérieuses… du moins jusqu’à un certain point.

Les « drivers » échangent abondamment entre eux, se renseignant mutuellement sur les chevaux qu’ils ont conduits ou qu’ils s’apprêtent à conduire. À un moment, j’entends Billy Davis Jr. dire à Jonathan Drury, au sujet d’un cheval non identifié : « Non, il est sécuritaire à conduire maintenant… il est « safe », mais il est lent aussi par contre. »

De temps à autre, un entraîneur fait une apparition éclair pour discuter affaires avec son conducteur, alors que l’atmosphère détendue cède peu à peu la place à une ambiance beaucoup plus fébrile.

Finalement, Dexter Dunn entre dans l’aire commune de la salle, et le nombre de salutations bruyantes qui fusent de toutes parts démontre immédiatement que, tout comme Timmy et Yannick avant lui, le Néo-Zélandais est accueilli à bras ouverts.

Dex venait tout juste d’arriver – en jet privé depuis New York – en compagnie de Yannick. Lui aussi avait savouré une belle victoire à Yonkers, remportant le trot de 200 000 $ dans lequel le cheval de Gingras était favori, avec Up Your Deo, pour Ake Svanstedt. Mais, à l’instar de Yannick, Dunn ne parlait pas tant de sa victoire que d’un moment beaucoup moins reluisant survenu lors du programme spécial de l’après-midi qui venait de se conclure.

« Le cheval [Up Your Deo] a bien couru, mais avez-vous vu celui qui a failli me tuer ? » lança Dex aux gens présents. Et il ne blaguait pas.

Quiconque regarde la reprise de la 5e course ce jour-là à Yonkers – l’Invitational Pace de 200 000 $ – comprend rapidement que Dunn n’exagérait pas. Positionné troisième à l’extérieur et tirant 3e chemin à l’entrée du dernier tournant avec Soho Firestone A, le cheval a soudainement piqué violemment vers la droite, en direction de la clôture extérieure, puis, juste avant de la percuter, a exécuté un demi-tour complet pour repartir dans l’autre sens.

Dans les mots mêmes de Dex, alors que je visionnais la reprise de ce moment sur mon téléphone : « Je n’arrive toujours pas à croire qu’il ne m’ait pas éjecté du sulky… J’ai eu toutes les misères du monde à rester sur mon siège. »

C’était une autre situation, et un rappel brutal pour quiconque l’aurait oublié : même si les victoires dans des invitations à 200 000 $ et les vols en jet privé paraissent enviables, la vie d’un catch driver est loin d’être un long fleuve tranquille. Conditions de travail dangereuses, pression constante liée aux performances, horaires de voyage effrénés – pour ne nommer que cela – sont autant d’éléments auxquels nous, les « non-drivers », ne pensons pas toujours lorsque nous envions leur quotidien.

Et puisqu’on parle de danger, alors que les chevaux de la 3e course à Mohawk s’avancent sur la piste, un cheval dans la parade d’avant-course attire l’œil de Tim Tetrick.

« Je suis désolé, mais ce cheval est dangereux, » dit-il sans sourire en hochant la tête vers l’écran de télévision. « Il a failli me tuer quand il avait deux ans et il n’est jamais devenu plus sûr depuis. À un moment donné, j’ai carrément refusé de le conduire… Honnêtement, je n’arrive même pas à croire qu’il course encore. »

Trevor Henry, Bob McClure et quelques autres interviennent aussitôt, entièrement d’accord, partageant tous des histoires similaires à propos du même cheval. Écouter certains des meilleurs conducteurs d’Amérique du Nord comparer leurs expériences sur un tel sujet est un rappel supplémentaire du risque qu’ils assument chaque jour en allant travailler.

Après que quelques-unes des premières courses sont terminées et que les éliminatoires de stakes (aux pelotons plus restreints) s’annoncent, le jeu de cartes refait surface et une partie de Gin démarre à nouveau. À un moment, Trevor Henry fait son entrée et constate que les plus jeunes ont commencé une partie sans lui, mais quelques instants plus tard, je le vois quand même cartes à la main…

Ce n’est pas une mince affaire que de suivre le déroulement de la partie de cartes des conducteurs – et quand je demande comment Trevor s’est retrouvé à jouer malgré tout, les rires et les plaisanteries fusent à propos du fait que « les boys Henry », c’est comme une entrée d’écurie 1 et 1A, et ils volent toujours l’argent de tout le monde. »

Ces remarques n’étaient absolument pas sérieuses, et tous les protagonistes souriaient et/ou riaient tout en se lançant leurs pointes. Je n’ai d’ailleurs jamais eu de réponse claire à ma question, mais une chose est certaine : quand les courses interfèrent avec les parties de cartes (ou est-ce l’inverse ?), les joueurs doivent former des équipes pour pouvoir quitter la table en plein milieu afin d’aller conduire un cheval.

Honnêtement, observer à moitié tout ce petit manège à une vingtaine de pieds de distance, en essayant d’y comprendre quelque chose tout en écoutant les blagues et les éclats de rire, est probablement plus divertissant que de participer à la partie elle-même.

Blake MacIntosh est maintenant de retour à la table de cartes lui aussi, et Yannick Gingras se détend sur le sofa à ma gauche — c’est à ce moment-là que ça devient évident qui sont ceux forment l’un des « vieux couples mariés » dans la salle.

Une petite pointe lancée par Blake appelle une réplique semblable de Yannick – après qu’on ait mentionné que Tyler Jones est marié à une avocate – et bientôt, on entend les habituelles moqueries à propos de Mitch Marner, des Canadiens de Montréal, des Maple Leafs de Toronto et ainsi de suite. Pour quelqu’un qui ne les connaîtrait pas, les deux pourraient sembler des ennemis jurés, mais pour ceux qui les connaissent, il est clair qu’ils sont amis. Ils se taquinent autant qu’ils s’en renvoient, et chacun encaisse avec le sourire. Puis, quelques instants plus tard, je les entends discuter affaires, Blake se demandant s’il pourrait confier une monture à Yannick aux États-Unis la semaine suivante.

Une fois le volet affaires réglé, l’un des deux relance une autre craque en direction de l’autre, et c’est reparti. J’interviens finalement : « Vous vous ennuieriez à mourir si vous n’aviez pas l’un l’autre à torturer. » Ils éclatent de rire en même temps et hochent la tête en signe d’entière approbation.

D

À mesure que les épreuves de stakes dominent le programme en deuxième moitié de soirée, l’ambiance de la salle devient un peu plus calme. À un moment, je lance à haute voix qu’il est certain que la pièce est plus tranquille quand [le principal provocateur] Ricky Zeron n’est pas là, ce à quoi Travis Henry répond : « Ricky est calme comparé à The Answer [Scott Young]. Attends de voir quand il va arriver. »

Un autre facteur qui contribue parfois à calmer l’atmosphère, comme partout ailleurs dans la société aujourd’hui, c’est l’utilisation effrénée des téléphones portables. Je regarde autour de moi, un peu attristé, et vois une demi-douzaine de gars le nez plongé dans leur cellulaire. Mais une nouvelle tombe bientôt et transforme nos téléphones en outils de divertissement pour le reste de la soirée.

La rumeur veut que Dan Noble ait remporté trois courses à Scioto Downs ce soir-là, en 1:47. Toutes avec des chevaux entraînés par sa femme.

La salle, un moment, presque silencieuse, s’enflamme à nouveau, alors que chacun se rue sur son téléphone, visitant le site de l’USTA, HPI ou autre équivalent, pour tenter de confirmer la rumeur.

« :25.4, :51.3, 1:18.3, 1:47 », lance une voix en annonçant les fractions du cheval vainqueur de la 4e course de Noble à toute la salle.

« :26, :53.2… ouais, il l’a vraiment bien mené celui-là », crie une autre voix, déclenchant un éclat de rire général.

Alors que l’agitation continue de tourner autour de ces lignes de résultats incroyables en provenance de Scioto, et que chaque nouvel arrivant se voit raconter la nouvelle difficile à croire, les résultats de la 8e course de l’hippodrome de l’Ohio tombent. « Il vient de gagner avec Helium en 1:46.4 », annonce quelqu’un. La salle explose à nouveau.

Mais de grandes courses s’annoncent encore sur la carte de Mohawk, et les occupants de la salle des conducteurs doivent se reconcentrer sur leur travail. L’effervescence autour de la distraction venue de Scioto finit par retomber.

Un peu plus tôt dans la soirée, Bob McClure avait remporté la première éliminatoire du Metro Pace à Mohawk, préservant son invincibilité avec Beau Jangles, en 1:49.3. La 9e course était la deuxième éliminatoire du Metro, et nous regardons Tetrick s’imposer aussi facilement, en 1:49.4, avec l’invaincu Frantic Hanover.

Alors que la reprise montre Frantic Hanover franchissant le fil sous un simple « death-grip » (retenu au maximum), et que Bobby est à ma gauche et Timmy à ma droite, je suggère ironiquement à Tetrick que son cheval semblait avoir été fortement sollicité. Il me jette un regard en coin, esquisse un sourire en coin, me fait un clin d’œil et répond : « Ouais, il a tout donné ce soir les gars. »

Après ces prestations dominantes, le Metro Pace 2025, prévu pour le 20 septembre, allait assurément être un rendez-vous attendu par les amateurs de courses à travers l’Amérique du Nord. Mais la « course dans la course » avait déjà commencé dans la salle des conducteurs de Mohawk – en partie grâce à mes petites blagues, je suppose.

Au départ de la 10e course, tous les regards se tournent vers les écrans : la grande rivalité Sylvia Hanover / Twin B Joe Fresh reprend dans la finale des Milton Stakes. Cette fois-ci, c’est Joe Fresh et son conducteur/propriétaire minoritaire Dexter Dunn qui l’emportent, égalant au passage le record canadien de 1:47.4.

De retour dans la salle, Dex reçoit de nombreuses félicitations, mais il n’a guère le temps de célébrer : avec Yannick et James MacDonald, il doit attraper un vol de nuit pour Lexington.

Alors qu’il se prépare à partir, je lui demande comment la salle des conducteurs d’ici se compare à celles de son pays natal, la Nouvelle-Zélande. Il me répond : « Ce n’est pas du tout pareil, en fait. Là-bas, on n’a pas de salle comme celle-ci. Chez nous, on s’attend à ce que les conducteurs participent davantage, notamment en attelant eux-mêmes leurs chevaux. Je préfère un peu la façon dont ça se fait ici, à vrai dire », ajoute-t-il avec un sourire sec et un petit rire.

En ce qui concerne le vol, afin de pouvoir conduire le lendemain à The Red Mile, James a dû se désister de sa course à Mohawk dans la 12e épreuve pour y arriver, puisque le pilote avait dit qu’il ne pouvait pas attendre. Ce faisant, il a reçu une amende des juges de l’AGCO – même si l’heure de départ ne dépendait absolument pas de lui. Une décision qui ne semble pas très équitable – encore un de ces aspects que bien des gens ignorent à propos du métier de conducteur.

Louis Roy, lui, n’était pas en lice dans les 11e et 12e courses ce soir-là. Il m’avait dit plus tôt qu’immédiatement après la 10e épreuve, lui et son compatriote québécois Samuel Fillion allaient prendre la route vers l’Hippodrome 3R pour participer à la grande journée de finales prévue dans leur province, le dimanche.

« C’est un trajet de huit heures, » a soupiré LPR. « On va rouler cette nuit jusqu’à ce qu’on soit trop fatigués, puis on terminera demain matin. »

De son côté, Jody Jamieson essayait de planifier un déplacement vers l’Ohio – pour le Little Brown Jug. J’ai entendu Blake dire qu’il pourrait probablement l’y amener, mais qu’il ne pourrait pas le ramener, puisqu’il devait filer directement en Indiana par la suite.

Sur le plan local, Travis Henry, qui a une jeune famille à la maison, a conduit le lendemain après-midi à Clinton, avant de compléter le programme double du dimanche soir à Flamboro.

Et puisqu’on parle de Flamboro, c’est justement là que le Dr Ian Moore, 71 ans, m’a dit qu’il passerait sa soirée du dimanche. Pas pour y courir, mais pour agir comme vétérinaire de la Commission. Il avait prévu de piloter son avion vers l’Ohio dimanche (il a Prince Hal Hanover dans le Little Brown Jug), mais il a finalement repoussé son départ à lundi matin, expliquant que Flamboro n’avait littéralement personne d’autre. Il s’est porté volontaire pour assurer les dimanches soir afin d’éviter que les courses ne soient annulées.

La salle des conducteurs : oui, c’est parfois un lieu de plaisir et de rires, mais qu’on ne s’y trompe pas. Les heures que nos participants vedettes y consacrent sont longues, et le moindre moment de détente qu’ils réussissent à se procurer dans cet horaire physiquement et mentalement exigeant est amplement mérité.

Et si vous pensez que la camaraderie dans cette salle fait perdre leur tranchant compétitif, indispensable quand il s’agit de s’affronter sur la piste, détrompez-vous. J’ai vu Trevor Henry, Billy Davis Jr. et Tyler Borth plaisanter ensemble toute la soirée du 13 septembre dans la salle des conducteurs, puis les regarder se battre comme des ennemis jurés dans la 11e course de la soirée.

Borth a envoyé Its Major Major A, le deuxième choix à 9/5, en tête, forçant Davis et le favori de la course, Arbitrage Hanover, à rester à l’extérieur jusqu’au premier quart en :26. À peine le favori installé aux commandes, Borth est aussitôt revenu à l’attaque, et avant qu’ils n’aient le temps de souffler, Henry les a tous les deux « challengés » avec Rochester Flash, le quatrième choix à 9/2, qu’il a mené au demi mille en :53.3, avant d’atteindre le trois-quarts en 1:21.3. Les trois ont survécu pour terminer 1-2-3, Trevor l’emportant, mais il n’y avait absolument aucun « pacte d’amis » en vigueur.

Drivers' Room

Quant à la 12e et dernière course du programme, c’était la seule où The Answer – Scott Young – avait un engagement. Il est arrivé environ une heure avant, et il n’a pas fait mentir son ami Travis Henry. Je n’aurais jamais cru voir le jour où quelqu’un aurait une voix plus forte, dans la salle des conducteurs, que Ricky Z, mais The Answer remporte la palme. Il nous a divertis et informés, tout en nous faisant rire, pendant tout le temps où il était là, et pour ça je le remercie. Scott, c’était comme un releveur qui entre en 9e manche, et il a veillé à ce que la soirée se termine sur une note positive.

La salle des conducteurs de Mohawk Park est bien plus qu’un simple endroit pour se doucher et se changer. C’est véritablement un chez-soi loin de chez soi pour ces hommes – et parfois aussi pour les futurs conducteurs de la relève. Samedi soir, j’y ai vu le jeune fils de Billy Davis, Teddy, jouer à la balle avec Tim Tetrick, et j’ai vu Dexter Dunn saluer le fils de Jody Jamieson, Jett, d’un chaleureux « Hey Jett » accompagné d’un sourire.

C’est une pièce où les hommes de chevaux à la fois socialisent et élaborent des stratégies – où ils mangent et parfois même font une sieste. C’est là qu’ils jouent aux cartes lors d’une soirée tranquille, mais où ils ont à peine le temps de se rincer la boue des yeux entre deux courses par temps de pluie.

En redescendant les mêmes marches par lesquelles j’étais entré, six heures plus tôt, un sentiment de sérénité m’a envahi. Tant de choses ont changé dans ce monde – parfois pour le mieux, parfois pour le pire – mais la salle des conducteurs de l’OJC/WEG, elle, n’a vraiment pas changé.

Il ne reste peut-être qu’un seul endroit aujourd’hui, à Campbellville, après avoir eu des adresses sur Queen St. à Toronto (Greenwood) et sur Rexdale Blvd. à Etobicoke (Woodbine), mais ce n’est pas la salle en tant que lieu physique qui compte : ce sont les personnages qui, au fil des années, continuent de la faire vivre.

Et je suis sûr que Brownie, Paul, Wally, et tous ceux qui sont passés avant et après eux, apprécient que les gars y jouent toujours au Gin et rient aux éclats.

Ce soir-là, alors que plusieurs rentrent chez eux après une soirée de travail – Louis et Sam filant vers l’est, Timmy vers le sud, James, Dex et Yannick prenant l’avion pour le Kentucky, et Doc Moore, Blake et Jody préparant leurs déplacements vers l’Ohio et au-delà – je suis certain qu’ils trouvent tous du réconfort à savoir que cette salle des conducteurs iconique sera là à leur retour, que ce soit dans quelques jours ou quelques mois.

Je suis également certain que la plupart d’entre eux trouvent du réconfort à savoir que les murs de cette salle ne parlent pas. Parce que si c’était le cas…

Cet article a été publié dans le numéro d'octobre de TROT Magazine. Abonnez-vous à TROT aujourd'hui en cliquant sur la bannière ci-dessous.

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