L’un des huit finalistes qui a une chance de représenter le Canada au Championnat Mondial des conducteurs en Italie en 2023, la carrière de Pascal Bérubé en a fait du chemin depuis 2012, lorsque l’Hippodrome de Québec a fermé définitivement. Obligé de travailler comme boucher - un travail qu’il aime et qu’il exerce toujours - Bérubé a envisagé de quitter complètement les chevaux. Il s’est toutefois accroché, faisant souvent le trajet aller-retour de huit heures entre son domicile de Portneuf, au Québec, et l’hippodrome Rideau Carleton, juste pour conduire quelques chevaux. Maintenant, la patience du conducteur qui aime s’amuser paye enfin, et ses statistiques de conducteur n’ont jamais été meilleures. Par Paul Delean // Traduction Manon Gravel
Dans les jours sombres d’il y a dix ans, lorsque le dernier hippodrome en activité au Québec a fermé et que son gagne-pain a disparu, l’homme à chevaux, Pascal Bérubé, n’aurait pas pu imaginer une année comme 2022.
Bérubé, qui a eu 50 ans en septembre, est sur le point de remporter son plus grand nombre de victoires en 17 ans et un sommet en bourses pour une seule année de conduite avec plus de 825 000 $ déjà amassés à la piste de Rideau Carleton à Ottawa et à l’Hippodrome 3R à Trois-Rivières.
Il a une bonne option pour son troisième titre de conducteur de l’année consécutif à l’Hippodrome 3R et a terminé deuxième derrière Guy Gagnon au classement des conducteurs à Rideau jusqu’à la fin septembre. Il est à quelques dizaines de victoires d’atteindre le chiffre remarquable de 3 000 et il a dépassé les 10 millions de dollars en bourse à vie plus tôt cette année.
Lui et sa conjointe Isabelle Binet sont en couple depuis 30 ans et ils visiteront la France cet hiver pour voir leur fils de 24 ans Olivier jouer à la défense pour une équipe de hockey appelée Les Diables Rouges de Valenciennes.
Comme mentionné plus haut, en plus de conduire des chevaux, Bérubé a un deuxième emploi qu’il adore, au rayon des viandes de l’épicerie d’un ami à Portneuf, QC, non loin de sa ferme, à mi-chemin entre Trois-Rivières et Québec.
Tout bien considéré, il ne changerait pas grand-chose à sa vie actuelle.
« Je me sens très chanceux «, a-t-il déclaré.
« Je n’ai pas l’impression de travailler, même quand je rentre de Rideau (à quatre heures de route de chez lui) à trois heures du matin. Ça n’a jamais été du travail. C’est toujours amusant. Je sais que ce n’est pas comme ça pour tout le monde. »
Il fait partie intégrante de la scène québécoise des courses attelées depuis plus de trois décennies, faisant ses débuts à l’adolescence dans sa ville natale de Mont-Joli, une communauté de 6 000 personnes dans la région de la Gaspésie au Québec, par coïncidence également la ville natale de l’un des meilleurs conducteurs du grand circuit au Canada, Louis-Philippe Roy.
Roy, 29 ans, a déclaré qu’il avait grandi en idolâtrant Bérubé, dont le père gardait des chevaux dans la même écurie à la piste locale.
« C’était avant la diffusion des courses en direct, alors nous le regardions en reprise. Parfois, on vérifiait même les résultats des courses sur le site Web de Standardbred Canada au fur et à mesure qu’ils étaient publiés pour voir comment il allait ce jour-là. »
C’était toujours un gros événement lorsque Bérubé revenait à Mont-Joli pour une visite ou pour conduire sur le Circuit Régional, a déclaré Roy. « Nous étions excités d’aller le voir. Nous avions soif d’apprendre tout ce que nous pouvions de lui. »
C’est un coup du hasard qui a conduit Bérubé, l’aîné de trois frères, à se lancer dans le sport.
Sa mère Diane Lizotte, adoptée en bas âge, décide qu’elle veut connaître sa mère biologique, et finit par la trouver, et par la même occasion, une sœur, également prénommée Diane.
Le conjoint de sa sœur était un homme à chevaux, Jacques Sirois, qui coursait des Standardbreds sur le circuit amateur en Gaspésie.
La première fois que Bérubé, alors adolescent, les a accompagnés à l’hippodrome de Price-Mont-Joli, il a été séduit.
« Je n’avais pas vraiment de plans de carrière à l’époque, je ne savais pas ce que je voulais faire », a déclaré Bérubé, dont les intérêts au secondaire étaient principalement la musique (il jouait de la batterie dans un groupe de rock de l’ère Nirvana appelé Profana) et le hockey (il était gardien de but).
« C’était la première fois que je voyais quelque chose qui, selon moi, pouvait être mon avenir. Quand j’ai vu les chevaux s’entraîner, j’ai dit ça c’est pour moi. »
Il a commencé à donner un coup de main à l’écurie Sirois, et un an plus tard, le père de Pascal, Gilles, imprimeur de métier, a acheté un cheval de Sirois, Sir Winston Kempt.
Ce cheval en particulier était trop agressif pour être conduit par le jeune Pascal, mais le prochain achat, Jersey Mary, convenait parfaitement.
« Nous avons coursé pour le plaisir à la foire de Mont-Joli et je l’ai entraînée et conduite. C’était ma première conduite. «
Son premier départ dans une course officielle a eu lieu à l’âge de 19 ans (juin 1992) à l’hippodrome de Rivière-du-Loup avec un cheval appelé Special Drummond, dont le propriétaire voulait qu’il conduise et a payé la licence de Bérubé. Special Drummond a brisé son allure derrière la barrière mobile mais a quand même gagné, dans un mile chronométré en 2:13.4.
Il y a eu plus de victoires sur le circuit amateur, mais Bérubé ne pensait pas qu’il avait ce qu’il fallait pour conduire professionnellement, et personne ne lui disait le contraire.
Cependant, parce qu’il aimait travailler avec les animaux et que l’école ne fonctionnait pas, il a suivi sa passion à Québec, se présentant à l’improviste à l’hippodrome et décrochant immédiatement un emploi dans l’écurie de l’entraîneur Gabriel Boily, qui fut le premier de plusieurs à l’engager.
C’est à l’hippodrome de Québec qu’il rencontre pour la première fois Isabelle Binet, venue voir courser le cheval de son père. Ils se sont rapidement associés sur et en dehors de la piste, achetant un cheval ensemble, puis ensuite agrandir leur écurie publique débutant par deux premiers chevaux, propriété du père de Bérubé, à une puissante écurie à l’Hippodrome de Québec et à l’Hippodrome de Trois-Rivières, où ils viendront dominer les classements autant de conducteur que d’entraîneur.
Mais il a fallu un certain temps à Bérubé, qui idolâtrait les conducteurs vedettes canadiens Luc Ouellette et John Campbell, pour commencer à conduire lui-même. « Il m’a fallu quelques années (après sa victoire sur le Circuit Régional) pour obtenir ma licence pour conduire sur les plus grandes pistes », a-t-il déclaré. « Jusqu’alors, je ne me voyais pas capable de conduire à ce niveau. »
Une victoire dans la finale du Circuit Régional à l’Hippodrome de Québec en 1993, avec la jument de son père Pegasus Rebecca, l’a convaincu de franchir le pas. Sa première course et sa première victoire en tant que professionnel sont survenues avec le même cheval à Québec en 1994, lorsque le duo a remporté une course à réclamer 3 000 $ par six bonnes longueurs.
Ainsi a commencé une carrière productive de 15 ans pour Bérubé, qui a dépassé 100 victoires par année de 1999 à 2009 et qui a eu un sommet en carrière de 215 victoires en 2003.
Au-delà du circuit « Québec-Trois-Rivières », il faisait une incursion occasionnelle à l’Hippodrome de Montréal, remportant notamment la finale du Prix du Québec dotée d’une bourse de 85 000$ en 2008 avec l’ambleur âgé Stallone.
Cependant, tout semblait s’effondrer pour Pascal en 2012, lorsque l’Hippodrome de Québec a fermé définitivement, et fut rasé pour faire place à un nouvel aréna.
L’Hippodrome de Québec a été le dernier domino à tomber pour l’industrie des courses standardbred de la province, qui ne tenait qu’à un fil après la faillite en 2009 d’Attractions Hippiques, la société privée à laquelle le gouvernement du Québec avait confié la gestion des quatre hippodromes de la province. L’Hippodrome de Montréal, Aylmer et Trois-Rivières étaient déjà fermés.
Pour Bérubé, c’était la plus sombre des époques. « J’étais sur le point de tout lâcher », a-t-il déclaré.
Pour joindre les deux bouts, il a commencé à travailler dans l’épicerie d’un ami.
« Le boucher prenait sa retraite et ils n’avaient trouvé personne pour le remplacer, alors j’ai dit que j’essaierais. J’ai passé sa dernière semaine, là, avec lui, en apprenant le plus possible. J’ai appris à couper de la viande, à faire des saucisses. J’ai découvert que j’aimais faire ça, j’aimais les gens avec qui je travaillais et je côtoyais le public... Je me sentais apprécié. Dix ans plus tard, je le fais toujours, de deux à cinq jours par semaine, selon la période de l’année et selon mon horaire aux courses »
Même s’il appréciait sa nouvelle vocation, les chevaux étaient toujours au centre de ses préoccupations, alors lorsque le propriétaire Pierre Leclerc a appelé pour lui demander s’il pouvait qualifier quelques chevaux pour lui à Rideau Carleton - à quatre heures de route aller et retour - Bérubé s’est dit, « Pourquoi pas ?»
« Dès que je suis retourné en piste, j’ai pensé que je ne pouvais pas arrêter d’avoir ça dans ma vie. Cela m’a rendu heureux. »
Il avait encore besoin de clients pour ses services, et cela a pris du temps.
Son total de victoires est passé de 101 en 2009 à seulement 21 en 2010, et avec beaucoup moins de départs que d’habitude, le conducteur habitué aux saisons de 100 victoires n’en a jamais remporté plus de 41 en un an jusqu’en 2018.
C’est à ce moment-là que les demandes occasionnelles de conduire à Rideau sont devenues plus fréquentes, en particulier de la part d’entraîneurs de sa province natale, donc, avec plus d’opportunités, son nombre de victoires a recommencé à augmenter.
Il est maintenant une figure marquante à Rideau, associé à des chevaux comme le favori des fans, National Debt, un ambleur dans la classe des « Préférés » avec plus de 80 victoires en carrière, dont la moitié avec Bérubé sur le sulky.
Le propriétaire de Standardbred, François Morin, une connaissance de 25 ans qui avait des chevaux entraînés par Bérubé et l’a encouragé à essayer Rideau, a déclaré qu’il n’y avait aucun doute dans son esprit qu’il obtiendrait sa place.
« Pascal est une personne très calme et réfléchie dans la vraie vie, et une personne très agressive et réfléchie sur la piste. Il analyse ce qui se passe et Rideau l’a aidé à améliorer son jeu. Il a toujours voulu gagner. Une chose à son sujet, il collabore avec les entraîneurs pour que les chevaux soient à leur meilleur. S’il conduit pour vous, il prendra le temps après la course de vous dire, très calmement, ce que vous pourriez changer pour un meilleur résultat la prochaine fois. Il veut que le cheval soit meilleur. »
En ce qui concerne l’Hippodrome 3R, lors de sa réouverture à l’automne 2012, avec un horaire limité sous la direction de l’OSBL Club Jockey du Québec, Bérubé n’a pas eu besoin de se faire prier longtemps pour retourner sur une piste qu’il fréquentait régulièrement avant que l’industrie ne s’effondre.
Depuis ce temps, il a été un conducteur dominant là-bas, et d’autant plus cette année, avec son pourcentage de victoires oscillant autour de 30 % et son UDRS actuel à un incroyable 0,465.
Pratiquement tous les chevaux qu’il conduit sont des gagnants potentiels à l’Hippodrome 3R, où il est passé maître dans l’art de les sortir de la barrière.
« Il est très bon et compétitif, et il est à l’écoute du cheval », a déclaré Louis-Philippe Roy. « La première fois qu’il conduit un cheval, ce cheval est souvent dangereux (un gros potentiel de gagner la course). Il fait sortir la vitesse et leur donne une chance de gagner. »
L’annonceur de l’Hippodrome 3R, Guy Lafontaine, qui a annoncé des milliers de courses dans lesquelles Bérubé conduisait, a déclaré qu’il allie agressivité, maturité et joie de vivre. « C’est un gars qui aime s’amuser, toujours souriant. Il se considère chanceux et ça se voit », dit Lafontaine.
Depuis 2019, lorsque la charge de travail de Bérubé à Rideau a augmenté, il a dépassé les 100 victoires à chaque saison. Il avait un record en carrière de 831 648 $ de bourses en 2019, mais ce total sera presque certainement éclipsé cette année.
Il pense qu’il est un conducteur meilleur et plus complet aujourd’hui qu’à n’importe quelle autre époque, et c’est certainement ce que les chiffres démontrent. Son UDRS global en 2022 est proche de 0,400, le plus élevé depuis qu’il a commencé à conduire régulièrement.
« C’est une combinaison de choses, je pense. La confiance, l’agressivité, la patience, l’expérience accumulée, la confiance des entraîneurs qui me donnent de bons chevaux à conduire. Les bons entraîneurs ne vous utiliseront pas si vous ne pouvez pas livrer. »
« Quand je suis allé à la Gold Cup and Saucer à Charlottetown cette année (pour conduire Major Hill), j’étais excité, pas nerveux. Ce n’est pas la même chose. C’est comme ça que je vois ça maintenant. »
« J’aime pouvoir obtenir des résultats pour les gens qui ont travaillé toute la semaine pour préparer ce cheval, finir le travail pour eux. Leur donner le résultat qu’ils espéraient. C’est vraiment gratifiant. »
Lui et Binet avaient leur propre écurie, entraînant à un moment donné jusqu’à 42 chevaux, mais ils ont complètement abandonné l’année dernière, et il est maintenant exclusivement un conducteur, remplissant le reste de sa semaine avec des quarts de travail à l’épicerie et des matchs de hockey dans une ligue de garage.
« J’ai commencé à avoir plus de conduites à Rideau et c’était tout simplement trop de travail, devoir quitter rapidement l’Hippodrome 3R le dimanche après-midi pour arriver à Rideau à temps pour la première course tout en prenant des dispositions pour ramener nos chevaux à la ferme après les courses de Trois-Rivières, » dit-il. « Des amis nous ont aidés, mais vous détestez devoir compter sur les autres. »
Morin a remarqué une différence positive depuis ce changement.
« Je pense qu’il est plus détendu maintenant. Il a plus de temps pour penser aux courses sans devoir gérer une écurie. Il était trop occupé avant. Il a toujours été un gars agréable, jamais jaloux. Juste un bel être humain. »
Bérubé a dit qu’il est heureux là où il est et qu’il n’a plus aucune aspiration à suivre d’anciennes vedettes de Trois-Rivières comme Roy, Daniel Dubé et Yannick Gingras vers des circuits plus grands et plus riches.
En fait, il aime toujours les pistes du circuit amateur et revient régulièrement dans sa ville natale de Mont-Joli pour courir lorsque le circuit régional y présente une journée de courses. « Je me souviens d’avoir vu les Roy là-bas, Louis-Philippe et Pierre-Luc, quand ils étaient plus jeunes. Je leur donnais des fouets et ils étaient si heureux. C’est drôle de penser que j’inspirais Louis-Philippe et que maintenant c’est le contraire, mais je n’ai pas l’impression de rater quoi que ce soit. J’aime ma vie. Je ne changerais rien. »
Oh, peut-être une chose.
« Je n’ai toujours pas de victoire à Mohawk, et j’aimerais en avoir une », a-t-il déclaré. « Peut-être que cet hiver, je vais réclamer un cheval, le laisser à un ami comme Richard Moreau et aller le conduire quand il sera inscrit. Il y a quelque chose à Mohawk. Comme à The Meadowlands, il y a une aura comme nulle part ailleurs. »
Avec la façon dont les dernières années se sont déroulées, ne pariez pas contre lui pour remporter cette victoire.