Dans le domaine des courses de chevaux, nous parlons souvent de l’aspect familial de notre sport. Des grands-pères et papas enseignant à leurs enfants et petits-enfants,
l’art des courses de standardbreds. Ce sport ne peut pas s’apprendre à l’école, ça c’est certain. Par Dan Fisher / Traduction Louise Rioux
Les gens parlant de notre riche histoire diront que nous devons toujours nous rappeler ceux qui nous ont précédés car si ce n’était d’eux, nous n’aurions rien.
Aussi vrai cela soit-il, combien d’entre nous prenons cela au sérieux? Pensons-nous présentement à tout ce que ce-la signifie ou cela nous entre-t-il par une oreille pour en ressortir par l’autre pour la plupart?
Asseyez-vous et jasez avec un homme tel Chuck Lawrence une seule fois, (co-propriétaire/éleveur de la superstar pouliche ambleuse Boadicea), et je vous promets que le vrai sens des mots famille et histoire de notre sport, vous transpercera haut et fort.
« Mon père me gardait souvent et m’emmenait avec lui sur la charrette de jogging tandis que ma mère s’occupait de mon petit frère à la maison… j’y ai passé essentiellement toute ma vie, » nous raconte Chuck Lawrence, « Mon père s’occupait de la ferme et entraînait, tout comme plusieurs autres en ce temps-là. La ferme constituait la principale source de revenu, mais il a toujours eu un ou deux chevaux, et il y avait aussi une poulinière autour, d’aussi loin que je me souvienne. J’allais aux courses avec lui dans les années ’40 et je prenais soin des chevaux, et c’est ainsi que je me suis fait les dents, réellement. Nous avions une petite remorque solo et la tirions avec une auto DeSoto 1928, dans les années ’40, après la Guerre. Notre premier départ a toujours eu lieu un 24 mai à Rodney, et nous partions de là. Le Jour de la Confédération, soit le 1er juillet, était toujours un grand jour à Strathroy, de fait, c’est là que j’ai vu Keith Waples pour la toute première fois, c’était dans les années ’50, et les Campbell… Dunc et Jack et Ray, je les connaissais tous… ainsi que Margie. Ils étaient toujours là en famille. C’était une vraie histoire de famille. Il y avait l’amble Civic Holiday Pace à Stratford et puis aussi, le Derby Day à Hamburg. Nous coursions à tous ces endroits. »
Ce jeune de 86 ans, Chuck Lawrence, a l’esprit toujours aussi aiguisé qu’un couteau. Les noms de chevaux et hommes de chevaux, et même des courses spécifiques ainsi que les dates, coulent de sa langue comme s’il regardait une version de TrackIT remontant à des lignes de course d’il y a 70 ans.
« Mon frère Bill, s’est impliqué dans l’entraînement et la conduite de chevaux pour papa dans les années ’50. Je réchauf-fais les chevaux pour mon père et mon oncle Verne Evans, qui avaient quelques bons chevaux, et voulait que j’aille sur la route avec lui. Will Fraser était son entraîneur, et il était un sacré bon homme de chevaux… il entraînait Blue Again, et lui et le propriétaire le transportaient par camion sur toute la distance vers Santa Anita (Southern California) et ils gagnèrent la prem-ière course ‘Free For All Pace’ d’une valeur de 50 000 $, après la Deuxième Guerre Mondiale. J’étais un bon élève par con-tre, et ma mère disait, ‘Tu vas aller à l’école.’ Ma mère a posé les jalons nécessaires et je suis donc devenu Comptable Agréé. J’ai poursuivi et ai connu une belle carrière… je ne suis pas resté en comptabilité, j’ai administré une très importante com-pagnie de construction de routes, et j’étais tout aussi en amour avec ce domaine que je ne l’étais avec les chevaux. »
Chuck Lawrence est un homme avec qui vous aimeriez vous asseoir dans l’écurie par une journée de pluie, avec peut-être une petite bouteille de whiskey, pour parler de chevaux. À partir du nom du premier cheval qu’il a acheté avec son pro-pre argent, en 1968, aux noms de ses partenaires ainsi que ceux des anciens copropriétaires avec son père, à ceux de leurs entraîneurs, des courses auxquelles ils ont participé, les temps que les chevaux ont enregistrés ainsi que l’argent gagné, l’homme n’oublie rien. Et un tel esprit équin vif de toute évidence s’avère pratique quand il s’agit aussi de lignées et de pedigrees.
Quand M. Lawrence parle de certaines poulinières qu’il a possédées, ainsi que de leur progéniture, il est facile de le suivre sur TrackIT pour rapidement réaliser qu’il est l’un des rares n’ayant pas besoin d’un ordinateur – il se souvient. Il parle des poulains des années ’70 et ’80, dans l’ordre de leur naissance, et de la façon dont ils se sont développés, comme s’ils étaient nés il y a seulement cinq ans. L’homme, selon les statistiques de Standardbred Canada, est l’éleveur de 45 poulains vivants depuis 1976, ayant gagné bien au-delà de 2 M $, semble se souvenir de détails spécifiques au sujet des 45.
Au cours des années ’70, comme le fils de Chuck, Donald, grandissait, et après une année à l’Université de Guelph, il suivit les pas de la famille et laissa l’école pour entraîner et mener quelques-uns des chevaux de son grand-père, Gordon. Alors que Donald se chargeait maintenant de beaucoup des travaux pratiques, le frère de Chuck, Bill, devint Juge de l’ORC. La famille était définitivement immergée dans l’industrie, sur trois générations à ce moment-là.
Alors qu’en est-il de l’histoire de Boadicea? D’où vient-elle? Comment s’adapte-t-elle? La réponse à ces questions re-pose davantage sur la famille, certainement.
« J’ai eu une poulinière que j’ai élevée, nommée Black Glass… elle descendait d’une demi-sœur du meilleur cheval de mon père, Mr Bohana, alors elle était une poulinière de la famille à mes yeux, » déclare Chuck fièrement.
Et revoilà ce mot... ‘famille’.
« Black Glass a produit les gagnants d’environ 1,2 M $ », en parts de l’éleveur. Et en tant que favorite absolue, en jetant un regard à TrackIT, le chiffre déclaré se prouve exact. « Elle a produit des chevaux tels Judge Cam (p,1.49.3; 652 760 $). J’ai eu Judge Cam à deux et trois ans, et je l’ai vendu. Il fut éventuellement revendu à deux frères d’Irlande du nom de Flanagan.
Elle fut une grande poulinière pour nous, mais elle est décédée en 2011 en donnant naissance à Camluck. Nous les avons perdus tous les deux. À peu près au même moment, mon petit-fils, Gordon, (enregistrez ici une 4e génération de Lawrence) avec un de ses amis, pensaient à acheter un yearling, et ils faisaient le tour des encans, et je sais ce qui peut arriver dans cette industrie. Je leur dis que s’ils voulaient devenir propriétaires de quelque chose, que j’avais besoin maintenant d’un peu d’aide, n’étant plus très jeune. Il est donc monté à bord avec moi et nous avons acheté Rose Seelster (mère de Boadicea) pour la somme de 10 K $ à l’un des encans de Standardbred Canada à Flamboro Downs. Elle valait à l’origine 100 K $ mais j’avais été informé par quelqu’un de ne pas l’acheter car elle n’était pas un tellement bon cheval de course. Quelqu’un me dit qu’elle valait plutôt 7 500 $ en réclamation mais cela n’était pas réellement possible… une pouli-nière peut être un cheval de course moyen et si l’ADN est juste, elle peut devenir toute une reproductrice… J’aime les lignées. Et elle avait une tête de train de marchandises… J’ai bien aimé ce que je voyais et je l’ai achetée. »
Au fur et à mesure que M. Lawrence se remémore certaines poulinières qu’il a possédées, ainsi que leur progéniture, on peut le suivre sur TrackIT et réaliser rapidement qu’il est une des rares personnes n’ayant pas besoin d’ordinateur – il se souvient. Il parle de rejetons des années ’70 et ’80, dans leur ordre de naissance, et comment ils se sont révélés, comme s’ils avaient été engendrés il y a cinq ans à peine. L’homme qui, selon les statistiques de Standardbred Canada, est l’éleveur de 45 yearlings vivants, qui s’en allaient à l’encan, et je sais ce qui peut arriver dans cette entreprise de chevaux de course. Je lui ai dit que s’il voulait devenir propriétaire de quelque chose,
La poulinière avait déjà un rejeton de Stonebridge Regal et elle était gestante d’un descendant de Santanna Blue Chip lorsque ses nouveaux propriétaires l’ont acquise. Ce poulain serait une pouliche qu’ils ont appelée Nurse Molly (p,3,1:55.2s; 34 922 $).
« Elle est née – et nous lui avons donné le nom de la fiancée de Gordon, qui était infirmière. Lorsque le poulain est sorti (2012), Gord était tellement enthousiasmé, mais j’ai immédiatement vu qu’elle était aveugle de son œil droit. Je n’ai rien dit, et il voulait la garder. Elle était destinée à être un bon cheval. Il y avait toutefois une faiblesse de son côté droit. L’œil, et aussi elle avait des séparations à son sabot droit. Il y avait aussi toujours quelque chose qui bougeait du côté droit de sa gueule, et éventuellement, alors que je l’entraînais, j’ai demandé au vétérinaire de la coucher et nous avons trouvé une dent enterrée dans sa gueule, encore du côté droit, à l’endroit où le mors s’appuyait. Nous l’avons enlevée et elle est partie et s’est entraînée en un mille en 2:04, avec une deuxième partie en une demi-minute… parfaitement. Elle avait une tonne de vitesse mais de la manière dont elle avait été entraînée, elle ne se tenait tout simplement pas. Mais cela m’a fait penser que peut-être avions-nous en mains une réelle reproductrice.
« Mais après 2011 et au printemps 2012, vous savez ce qui arriva? Après qu’ils eurent annulé le Programme des ma-chines à sous aux hippodromes, je ne savais plus quel montant nous obtiendrions pour nos chevaux, alors je me suis tout simplement retiré pour quelque deux années. Je ne l’ai pas accouplée durant quelques années de suite… peut-être que McGuinty aimerait m’envoyer un chèque, » Lawrence fait-il fortement remarquer.
« J’aimais le croisement avec Big Jim, alors nous avons accouplé nos deux poulinières à lui en 2015. Cammies Luck n’a pas pris, mais Rose, oui, et elle a donné naissance à son poulain exactement un an jour pour jour plus tard. Gordon était là pour l’assister. Elle était tellement grosse qu’il a été difficile d’avoir son poulain. Il s’est vite retrouvé à bout de souffle et j’ai pu joindre mon fils Andrew… il est arrivé en très peu de temps et tous les deux, ils sont parvenus à la sortir. Je ne suis plus dans une position d’aider dans des circonstances comme celles-là, » dit Chuck.
Voilà juste un autre exemple de la façon dont la famille Lawrence semble toujours être là pour tous et chacun.
« Quand Boadicea est arrivée à maturité, je la nettoyais et l’habituais aux traverses. Le travail de Gordon l’occupe beaucoup mais je voyais à ce qu’elle soit attelée à tous les jours et par le temps qu’elle s’en alla chez Billy (Budd), elle était habituée au harnais ainsi qu’aux traverses et au fait d’être inspectée.
« Billy a eu un poulain issu de Sportswriter pour nous un jour, lequel je nourrissais et élevais, nommé Sports Image. Il n’était pas trop sain mais il a gagné en :52 et Billy a fait du bon travail avec lui. »
À deux ans, courant sous les soins de Budd, Boadicea allait ne connaître que cinq départs, en gagnant trois, mais elle n’a participé à aucun des événements OSS. Elle a inscrit une marque à Mohawk en 1 :53 à la mi-août, mais fut arrêtée par son entraîneur moins d’un mois plus tard.
« Je ne sais pas s’il s’agissait de boiterie ou si elle avait perdu son allure, mais Billy m’appela un jour et dit, ‘Nous lui avons enlevé ses fers, et nous partons avec elle pour cette année.’ Il ne me donna même pas la chance d’argumenter, » dit le sympathique horseman en riant. « Dr McMaster lui a dit de ne plus rien faire avec elle, qu’elle avait un brillant avenir, et de la ramener à la maison. Nous l’avons donc ramenée à notre ferme et l’avons hivernée puis retournée à Billy lorsqu’elle fut prête. »
Le reste est histoire, comme on dit. Au cours de l’été de 2019, Boadicea est devenue la pouliche la plus rapide de l’histoire du programme OSS, gagnant en 1 :49 à trois différentes occasions. Elle a participé aux six événements OSS Gold, en gagnant quatre, y compris la ‘Super Final’ d’une valeur de 225 000 $, terminant deuxième aux deux autres. Elle a également connu une difficile deuxième place contre Tall Drink Hanover aux Simcoe Stakes, et avec 417 652 $ en banque pour 2019 seulement, les propriétaires ont alors pris la décision de compléter la saison de leur étoile avec la Breeders Crown, laquelle allait se tenir localement à Woodbne Mohawk Park. L’inscription était de 52 000 $ USD.
« Ce ne fut pas vraiment une décision difficile à prendre que celle de compléter ses revenus. Ce fut cette course au Simcoe qui a fait cela. (Andrew) quand McCarthy, qui conduisait Tall Drink Hanover, a mentionné après coup qu’elle le re-montait vite… il savait très bien que nous l’aurions battu si nous étions sortis plus tôt. Et nous l’aurions fait mais Sunny Dee étant à l’extérieur, nous ne pouvions plus sortir à temps.
« Nous en sommes venus à la conclusion que si elle pouvait se mesurer à Tall Drink, elle méritait de participer… alors nous l’avons inscrite, et cela n’a pas très bien été pour elle, mais il faut absolument laisser ces choses derrière soi. Doug McNair m’a dit ‘elle a vidé les tripes des autres pouliches par le temps qu’elles atteignent les trois quarts… et c’est vraiment un beau compliment, maladroitement rendu, mais vrai. Elle n’a pas réellement eu de chance de réussir cela, mais ce sont les courses. »
Le 1er février dernier, aux O’Brien Awards, ce furent deux rivaux d’élevage ontarien qui se disputèrent le ‘Three-Year-Old Pacing Filly Award – Broadicea c. Sunny Dee. L’équipe Boadicea, sans surprise, pouvait compter sur un grand nombre de membres de la famille et d’amis en tenue cravate noire pour l’événement. « Les courses sont populaires dans notre famille. Tout comme je me suis assis dans la voiture d’entraînement avec mon père, mes enfants et petits-enfants se sont tous assis aussi à côté de leur père ou grand-père. Gordon et moi avons loué un autocar et y avons amené 26 personnes avec nous, » dit Lawrence en riant. « Mes cinq enfants mariés ainsi que leur famille sont venus… beaucoup de monde nous a suivis au cours de l’été. La famille est tellement importante dans nos vies, mais dans cette industrie, si vous pouvez réussir qu’autant de membres de la famille vous suivent, vous êtes mieux de faire en sorte qu’ils demeurent intéressés.
Et tout au cours de 2019, Boadicea a fait cela.
À la fin, l’O’Brien est allé à son rival Sunny Dee, et à l’évidence, une grande déception s’est installée chez le plus grand groupe de l’événement. « Elle a été tellement importante pour notre groupe que j’ai dit aux gens, ‘Ne soyez pas amers à cause de cela. Vous pouvez être déçus, c’est permis, mais vous ne pouvez pas être amers. Ne portez pas cela en vous. »
Des mots plus justes ne furent jamais prononcés. Chuck Lawrence est un homme très sage.
« Le bon vieux ‘Churchill’, (Winston de son prénom,) a dit, ‘Ne renoncez jamais,’ » de se rappeler Lawrence. « Et j’ai con-tinué de le maudire à cause de cela. Mais maintenant, merci à Broadie, je comprends ce qu’il voulait dire. »