Depuis plus d’un demi-siècle, le docteur Robert R. Webster a été un vétérinaire et un éleveur dévoué, et son travail lui a valu de décrocher un record unique de l’élevage canadien. Bien que cet insulaire de 78 ans et résident de l’Île-du-Prince-Édouard, ait ralenti au cours des quelques dernières années après un infarctus, cela ne signifie nullement pour ce horseman passionné, de tout quitter pour autant.
By Brittney Mayotte & Traduction Louise Rioux
Le record unique de Bob en élevage en est un qu’il détient au détriment même de toutes les grandes fermes d’élevage bien connues du Canada. Il a eu (et enregistré) au moins un foal standardbred chaque année, et ce, durant 40 années consécutives. C’est la plus longue séquence au nord de la frontière.
« Oh, je ne pense pas à ces choses-là, » dit Bob en riant, quand nous lui mentionnons qu’il détient ce record. « C’est mauvais de ne penser qu’à soi-même. Mieux vaut aller de l’avant et faire ce qui se doit et profiter pleinement de ce que l’on fait. Et j’en ai profité, j’aime accoupler des juments et élever des foals. Vous connaissez le succès, mais combien de choses ne fonctionnent pas quand vous avez beaucoup de chevaux dans votre entourage. Ce ne sont pas que des temps heureux, vous pouvez en être certain, et de nos jours, c’est encore pire. Je ne voudrais pas être un jeune qui achète aujourd’hui une ferme et fait ce que j’ai fait. Je pense qu’il en perdrait sa chemise. Mais en ces temps-là, il était possible de faire un peu d’argent. »
Ce horseman de troisième génération fut d’abord initié aux courses sous harnais alors qu’il n’était qu’un tout jeune garçon, dans les années ’30, en suivant son père, Wilber, à l’événement Old Home Week. Son expérience de travail auprès des chevaux, lui est venue tôt dans sa vie, puisque c’était le principal moyen de transport de la famille pour se rendre de leur petite ferme, moulin à eau de farine et à scie en ville à Marie, Île-du-Prince-Édouard. « Je n’ai jamais manqué de travail, même en très bas âge, » se rappelle Bob, qui a acheté sa première ferme de chevaux à l’âge de 12 ans pour la modique somme de 50 $.
Entretemps, son père, un vétéran de la Première Guerre Mondiale, possédait une étalonnerie dès le tournant du siècle, avec le trotteur Bingen. « C’est un accouplement pas mal vieux, » dit Bob en souriant. « Il faut remonter à bien des années derrière pour arriver à Bingen. »
Remontant encore plus loin dans le temps, le grand-père de Bob, dont il porte le même prénom, était lui aussi un horseman. Bob a grandi sur la ferme familiale dans la petite ville tout en allant dans une école ne comptant qu’une classe. Après avoir manqué quelques années d’école en raison de la santé défaillante de son père, il a lancé son dévolu sur la profession de vétérinaire, et avec les encouragements de quelques voisins, Bob est retourné à l’école pour poursuivre ses études. Malgré le fait qu’il devait surmonter les handicaps d’apprentissage liés à la dyslexie, il a persévéré tout au long de ses quatre années d’études au Prince Of Wales College à Charlottetown puis au Ontario Veterinary College (aujourd’hui l’University of Guelph), durant cinq années.
Durant sa formation collégiale et même après sa graduation, Bob a visité plusieurs des fermes d’élevage de l’Ontario, y compris la très renommée ferme des Armstrong Brothers, en compagnie de son collègue, Dr Glen Brown, celui qui devint par après, le gérant et vétérinaire de la ferme.
« Je suis allé dans presque toutes les fermes d’élevage et j’ai essayé d’apprendre tout ce que je pouvais d’eux parce que nous ne recevions pas cette formation pratique à l’université, » explique-t-il. « On nous disait que nous ferions mieux de travailler sur les tracteurs plutôt que sur les chevaux, ces derniers étant en voie d’extinction. »
L’intérêt de Bob pour les chevaux, par contre, était trop fort pour abandonner. À sa graduation en 1959, il est retourné à l’I.P.E. pour y travailler en pratique mixte, découvrant très rapidement qu’il était attiré par la médecine équine et la reproduction.
Bob, qui a siégé à titre de directeur de l’American Association of Equine Practitioners (AAEP) durant 10 ans comme représentant de la région Atlantique du Canada, a pratiqué la médecine vétérinaire durant 35 ans jusqu’à ce que lui et ses partenaires vendent leur clinique à l’école vétérinaire en 1987. Bob a pris sa retraite plus tard, soit en 1994, mais a conservé sa licence afin de continuer son travail dans la reproduction à la ferme durant 15 années de plus.
Tout en pratiquant, Bob a lancé sa petite exploitation d’élevage quand lui et sa femme, Nina, ont acheté une ferme en 1972, Hollylaine Island Farm. C’est cette année-là que débuta sa longue séquence en élevage – avec un seul foal. « Tout cela a commencé sur une très petite échelle puisque nous avions quatre filles à élever et qu’il fallait payer les factures, » admet Bob. « Nous avons acheté cette ferme à Brookfield, sur laquelle il a fallu construire des écuries, monter des clôtures et fertiliser, mais c’était un emplacement privilégié. »
Il acheta son premier cheval entier en 1976 possédant un record solide de 2:00, du nom de A C S Dandy, et en produisit plusieurs autres au cours des ans, y compris Lightning Speed, Stargaze Hanover, Nukes Lobell, This Cams For You, Lisryan, Force Of Life et Sea Gull Hershey.
« This Cams For You nous a procuré les plus beaux souvenirs, » fait-il remarquer. Bien que le fils de Cam Fellow issu de Tarsola Hanover ne fut pas tout à fait l’étalon qu’ils espéraient, il s’est avéré un cheval de course rude en dépit du fait qu’il s’était infligé une grave blessure plus tôt en carrière. Bob acheta This Cams For You pour fins d’accouplement après que ce dernier se fut casser une patte postérieure ce qui a nécessité l’implantation de deux plaques et 13 vis. Après avoir été en service pour l’accouplement durant une année, Bob a reconnu en son ambleur, son désir de retourner à la compétition.
« Il voulait courser et ne voulait plus se contenter de n’être qu’un reproducteur, » dit-il. « Après avoir accouplé des juments durant un an, j’ai commencé à l’attacher et à l’entraîner, ce qui ranima sa flamme. Il m’a beaucoup appris sur l’entraînement des chevaux. Il voulait être un gagnant et pour ce faire, dans le dernier droit, il puisait dans ses limites pour arriver à se creuser un écart, plongeant vers l’avant. »
This Cams For You a réussi son retour en courses et a compétitionné sur le circuit Maritime Invitational ainsi qu’au Québec à partir du milieu jusqu’à la fin des années 1990. Il a même eu un départ lors de l’épreuve Gold Cup & Saucer de 1996. Bien que les accouplements ont procuré à Bob et sa famille, de très nombreux frissons en piste, le horseman a également savouré beaucoup de succès en tant que petit éleveur. Il a élevé quelque 350 foals au cours des ans, y compris de très nombreux et meilleurs des performeurs sur les courses ‘stake’ des Maritimes. Parmi ses champions, il y a Island Cindy, Island Quisite, Island Ribbon, Island Reba, Island Storm, Island Tradition, Island Galeforce, et Island Redemption.
Bob Webster a récemment été reconnu meilleur éleveur du circuit P.E.I. Colt Stakes des 75 dernières années et s’est mérité à deux reprises la Glen Kennedy Memorial Award pour sa contribution exceptionnelle à l’industrie de l’élevage. De plus, plusieurs de ses foals ont été reconnus meilleurs poulains et juments des Maritimes.
Par contre, à travers tous ses succès, Bob demeure humble et terre à terre. « Nous avons éduqué quatre filles et nous avons aujourd’hui six petits-fils et trois petites-filles, » nous fait remarquer cet homme de famille, quand nous lui demandons de quoi il est le plus fier dans sa vie. « Nous avons pu payer nos factures et nous fabriquer une retraite confortable grâce en partie à notre bon ami et comptable compétent depuis 52 ans, Jack Mulligan. Nous sommes passés à travers 2009 en vie après un grave infarctus et après cet épisode, nous avons réussi à diminuer dramatiquement notre population chevaline et continuer de profiter de la vie sur la ferme. »
La conscience professionnelle et la passion de Bob sont apparues non seulement dans sa carrière, mais aussi dans sa vie de famille. Lui et sa femme sont mariés depuis 54 ans, croyez-le ou non, ils se sont rencontrés alors que Bob était à la maison pour les vacances d’été durant ses études à l’école de médecine vétérinaire et que Nina était en vacances à l’I.P.É.
« Nous nous sommes rencontrés à l’Île au The Rollaway – un endroit où l’on dansait, » se rappelle Nina, qui travaillait comme assistante dentaire à Halifax à ce moment-là. « En fait, il m’a d’abord vue sur la rue. Il m’a regardée et a dit ‘je serais bien d’accord de sortir avec elle,’ et ce même soir, il m’a rencontrée à la danse. Il est rentré à la maison ce soir-là et a appelé sa soeur Millie et lui a dit, ‘je viens de rencontrer la fille que je vais épouser.’ Nous nous sommes mariés l’année suivante! »
Aujourd’hui, le couple a quatre filles, Barbie, Janet, Susan et Nancy, qui travaillent toutes dans le domaine médical. Leurs deux aînées ont été leur inspiration pour la composition du nom de la ferme, leurs seconds prénoms ayant été combinés pour en arriver à ‘Hollylaine.’ « Toute la famille aimait les chevaux, particulièrement Nancy, » dit Webster de sa cadette, qui a épousé Greg Peck, entraîneur du triple millionnaire trotteur, Muscle Hill. « Elle a fait de l’entraînement et a pris soin de notre écurie durant un été jusqu’à ce que j’arrive à la persuader de se doter d’une bonne instruction et d’oublier de gagner sa vie dans l’industrie des courses. Ma femme Nina s’implique beaucoup dans les tâches administratives, ventes, enregistrements, et prend des photos des yearlings pour les encans, affiches et dans l’appellation des foals. »
Maintenant, le travail sur la ferme de 75 acres est moindre puisque les Webster ont loué une partie de la terre à des maraîchers locaux. « Cela nous facilite la vie n’ayant plus à travailler le sol, » dit Bob, qui se prépare à partir pour sa retraite hivernale en Floride. « Nous n’avons plus que quatre poulinières et n’avons plus d’étalon car ils peuvent être durs avec vous parfois. »
« Nous avons eu deux foals l’année dernière et deux cette année. Nous les garderons peut-être, on ne sait jamais. Je ne fais pas de projection trop loin en avant. Parfois j’aime en entraîner un et les avoir autour. C’est agréable l’été, d’aller aux différentes pistes. Cela nous occupe. Nous avons obtenu d’assez bons résultats au cours des ans, mais quand vous diminuez votre population, vous diminuez aussi dans ce domaine. »
Malgré cette rationalisation, Bob n’a pas dans ses projets immédiats de cesser d’accoupler ses propres juments. « Si je ne m’y plaisais pas, je ne le ferais pas, » dit-il dans un sourire.