Le Cercle du Vainqueur du Woodbine Mohawk Park vivait un tourbillon d’émotions après le tour de force de
Tall Dark Stranger lors de la course d’un million de dollars de la North America Cup présentée le 29 août dernier. Par Keith McCalmont / Traduction Louise Rioux
Le poulain de Bettors Delight, entraîné par Nancy Takter pour le compte des propriétaires Crawford Farms Racing, Marvin Katz, Caviart Farms, et Howard Taylor, ambla le tracé en route vers une victoire en 1:48.2, et Tall Dark Stranger semblait excité et prêt pour le tour de la victoire du-rant la présentation du trophée.
Yannick Gingras, qui faisait face à des défis sans précédents pour la conduite de la course du favori, avait passé les deux semaines menant à la course en quarantaine, la dernière semaine tout seul; et retenant ses larmes lors de l’entrevue d’avant-course, regardant la caméra, il s’adressa directement à sa famille - « Vous me manquez. »
Le co-propriétaire Marvin Katz, qui avait loué un cottage isolé donnant sur le Lac Simcoe pour s’assurer que son talentueux meneur dans son meilleur état pour conduire, était en extase.
« Je suis fou de joie, vraiment, » dit Katz. « Je fais cela depuis très longtemps, et j’ai été chanceux d’avoir plusieurs grands chevaux, mais je pense que celui-ci se mesure à d’autres grands chevaux que nous ayons vus. C’est historique. Ce qu’il a fait ce soir n’a jamais été réalisé aupar-avant. Il a gagné le Metro à deux ans, ainsi que la Breeders Crown – il revient à trois ans, et gagne le Meadowlands Pace et a gagné la North America Cup. Somebeachsomewhere, Captaintreacherous… n’ont pu faire cela, mais lui l’a fait. »
Le soir ayant vu Gingras gagner l’Eternal Camnation aux guides de Caviart Audrey entraîné par Takter ainsi que Roses Are Red avec Warrawee Ubeaut dans la course avant la North America Cup, le meneur de souche canadienne était un homme en mission, avec la ferme intention de sécuriser sa première victoire en ce riche événement.
Gingras permit à Tattoo Artist, aux guides de Bob McClure sur le sulky, de mener le peloton dans un premier quart de mille en :25.4, avant de commander à Tall Dark Stranger de prendre la commande. La course se termina dès que le puissant poulain s’empara de la tête.
« J’ai parlé à Nancy au cours de la semaine et lui ai dit, ‘si je dois être en avant, je vais l’embêter’ « dit Gingras au sujet du talentueux cheval bai, élevé au Kentucky par James Avritt, Sr. « Je pense qu’il est plus fort qu’ils le sont présentement, et il peut les fatiguer juste à essayer de le suivre. »
Sans aucun doute, les autres conducteurs de la course pensent la même chose de Gingras, qui continue de se bâtir un registre qui com-prend 7 555 victoires pour plus de 190 M $ en bourses.
La famille Katz, tout sourire d’une oreille à l’autre dans le cercle du vainqueur, s’est assurée de prendre un instant pour remercier la famille Gingras.
« Yannick s’est dépassé, » dit Katz. « Sa famille a tout fait pour rendre cela possible. »
* * * *
Bien que Gingras habite aux États-Unis maintenant, il était heureux de revenir dans son pays, le Canada, pour la North America Cup, même s’il croit que certains de ses collègues du monde des chevaux auraient plutôt souhaiter qu’il soit resté à la maison, le monde continuant de combattre la pandomie du COVID-19
« Je pense que certaines personnes craignent le COVID et je comprends cela, » dit ce natif de Sorel, Québec, Canada, âgé de 41 ans.
Gingras dit avoir contracté le coronavirus au mois de mars et qu’il est maintenant négatif après de nombreux tests. Avec son épouse et leurs trois enfants, ils ont passé les 14 jours précédant la North America Cup dans un chalet de Barrie, sur les rives du Lake Simcoe, ne sortant que pour poursuivre son isolement à Mohawk, là où il a mis au point une conduite gagnante lors de l’élimination de la Cup.
« J’ai fait tout ce qu’on m’a demandé. Je ne suis pas allé sur les fermes. Je me suis isolé à une certaine partie du paddock. J’ai respecté le protocole, » dit Gingras. « Mais aussi, je suis Canadien, comme quiconque. Je paie des taxes ici au Canada depuis l’âge de 18 ans et je n’ai jamais cessé. J’ai les mêmes droits et je n’ai jamais mis personne en danger. J’aurais pu sortir avec les gars, mais je ne l’ai pas fait. Je n’ai mis personne en danger. Je rentrais à la maison avec ma famille. »
Gingras a vite fait de louanger Woodbine Entertainment pour leur aide à comprendre la navigation stricte entre les protocoles que l’organisation avaient établis.
« Les gens de WEG ont été vraiment tellement serviables, et ils disposent d’un bon protocole pour protéger leur produit, » de dire Gingras.
On estime qu’il y a eu plus de 24,6 M de cas de coronavirus dans le monde et plus de 835 000 décès.
En tant qu’époux, père, ami et athlète, Gingras dit avoir pris au sérieux les chiffres inquiétants.
« J’ai attrapé un virus en mars, » dit-il. « J’avais perdu mon sens de l’odorat et du goût, mais à ce moment-là, ces symptômes étaient incon-nus. Je ne pouvais pas être testé au New Jersey, mais j’ai reçu deux tests d’anticorps positifs en avril. J’ai présenté ces résultats à la frontière et ils m’ont été pratiques.
Afin de rentrer à la maison au Canada pour conduire, Gingras a eu besoin de beaucoup de documentation.
« J’ai communiqué à plusieurs reprises avec le Services Frontaliers, » dit Gingras. « Une dame m’a envoyé les listes d’exemption à lire pour voir ce pour quoi je me qualifierais. Une réponse souvent répétée fut ‘Fréquentes traversées frontalières’ pour affaires. »
Gingras a présenté son passeport canadien à la frontière ainsi qu’un récent test négatif pour le COVID des É.-U., ses tests d’anticorps posi-tifs, » la documentation notifiant qu’il s’agissait une propriété isolée où il écoulerait sa quarantaine, ainsi que le protocole de Woodbine exi-geant que Gingras passe un autre test COVID négatif en sol canadien.
Après voir suivi tous les règlements et respecté les protocoles en place, c’est compréhensible que Gingras ait été frustré avec ceux qui remettaient en question son intégrité.
« Il y avait des gens qui croyaient que je n’avais pas obtenu l’exemption et me traitant en fait de menteur, mais ne je suis pas certain qu’ils réalisaient que le fait de contrefaire un document fédéral signifiait du temps en prison. J’aime courser des chevaux mais je ne suis pas prêt à aller en prison pour cela, » dit Gingras. « De plus, j’ai trois jeunes enfants. Je ne veux pas attraper le COVID non plus. Dans tout le Canada, je suis probablement la personne la plus sécuritaire qu’il y ait. Je n’ai été autour de qui que ce soit et j’avais un test négatif de COVID avant de partir du New Jersey. »
* * * *
Le plan était de venir ici pour une période de six semaines, et pour ceux qui pourraient penser que Gingras a fait tous ces efforts pour l’argent, pensez-y encore.
Le vétéran conducteur n’avait jamais gagné de North America Cup et il en voulait désespérément une, non seulement pour lui, mais pour le poulain de Bettors Delight qu’il porte près de son cœur et qui lui est très cher.
Beaucoup de cela est du domaine des objectifs personnels, » dit Gingras. « Côté argent, je mets beaucoup d’œufs dans le même panier. Il y a sept à dix courses qui réussissent ou pas (au Canada) c’est une initiative réussie ou pas. Il vous faut bien faire, pas nécessairement gagner, mais bien faire lors de la North America Cup, la Canadian Trotting Classic, le Maple Leaf Trot, ainsi que le Canadian Pacing Derby. Il vous faut avoir le meilleur cheval possible que vous le pouvez pour le mener dans ces courses et bien faire.
« Ce n’est pas le fait qu’il n’y ait pas de grosses courses à domicile, » de continuer Gingras. « Il y a de l’argent lors du Pennsylvania Sires Stakes, et il y a aussi une ou deux courses dans la plupart des divisions et des finales. Côté monétaire, si j’ai du succès et connais une belle course, alors je ferai plus d’argent ici, mais si non, j’aurais pu faire le même argent à la maison. »
Mais il ne s’agit pas exclusivement d’argent pour Gingras. Il a investi des centaines d’heures et des milliers de milles à construire des rela-tions qui lui ont souvent apporté de conduire certains des meilleurs chevaux du sport, y compris Tall Dark Stranger.
« Les objectifs personnels que vous vous fixez importent. Je n’ai rien contre les courses ‘stakes’ de reproducteurs, mais je veux gagner les grosses courses. « C’est ce pourquoi je travaille fort, » dit Gingras. « Vous allez aux courses de poulains et les entraînez et essayez de bâtir des relations au cours de 10 ou 15 ans pour obtenir les chevaux que j’ai à mener aujourd’hui. Des chevaux comme Tall Dark Stranger et Ready For Moni n’arrivent pas tous les jours. Ce sont des chevaux d’une seule fois dans la vie et présentement, ils viennent tous ici. »
Une victoire suite à une disqualification lors de la Breeders Crown de l’an dernier à Woodbine Mohawk Park, sur le maintenant retraité rival Papi Rob Hanover, fut une course qui a contribué à emmener Tall Dark Stranger et Ready For Moni aux avant-plans, mais Gingras a dit que cer-tains disaient encore ne pas croire au courage de ce poulain.
Une bataille épique menant à la victoire du Meadowlands Pace en juillet, a prouvé le contraire.
Tall Dark Stranger a pris la commande suite à un mouvement audacieux dans le backstretch, mais Papi Rob Hanover et le conducteur David Miller ont attaqué dans le tournant et ont pris la tête dans le droit.
La course était terminée jusqu’à, soudainement, elle ne le soit plus.
Un Tall Dark Stranger rebondissant batailla courageusement à la rampe et se mérita la victoire aux mains d’un Gingras jubilant et levant le poing à la ligne d’arrivée.
« C’était émotionnel, » dit Gingras. « Vous vous bataillez… les sports ont besoin de rivalités comme celles-là, et l’an dernier, à la Breeders’ Crown, il en a été fait démonstration. Mon cheval est revenu en combattant et il m’a même procuré plus de joie. Ce sont ces genres de courses que vous voulez gagner, et oui, je deviens émotionnel, mais je pense que c’est une bonne chose. Je crois que les gens aiment voir que nous aussi nous avons des sentiments, et que cela signifie quelque chose pour nous. Cela a définitivement été très significatif pour moi de gagner ce jour-là.
« Il ly a des gens qui viennent me voir depuis le Meadowlands Pace et qui me disent ‘nous ne croyions pas qu’il reviendrait pour gagner cette course’, » de continuer Gingras. « Je suis extrêmement fier du cheval qu’il est devenu. C’est un combattant formidable. Certains chevaux peuvent posséder une accélération plus rapide, mais ils ne peuvent pas courir plus vite que lui. Quand il arrive à cette grande vitesse, il y reste pour longtemps. Il veut gagner des courses et voilà quelque chose qui ne peut s’enseigner. »
Gingras dit que la victoire est toute aussi importante pour son cheval que pour lui. L’achat du yearling à 330 000 $ à la Lexington Selected Sale, a maintenant mis en banque plus de 1,9 M $ en bourse.
« Gagner ces courses d’un million de dollars, figure sur la liste de tout un chacun, particulièrement cette année, avec tout ce qui se passe autour de nous, » dit Gingras. « Essentiellement, je le veux pour le cheval. Il possède un formidable pedigree et détient déjà une longue liste d’accomplissements, mais je veux aussi cela sur son pedigree. »
Une partie de la motivation tient au souvenir de la perte difficile de Father Patrick, entraîné par le père de Nancy, Jimmy Takter, qui a cassé derrière la barrière lors de l’Hambletonian 2014, niant les cotes du favori dans la victoire de la fameuse course.
« Cela m’a affecté. » dit Gingras. «Je me suis fait battre lors de l’Hambo par Mission Brief (2015) et été battu par un nez avec Southwind Frank (2016), mais cela ne me dérange pas du tout. Avec Mission Brief, j’ai lancé un appel à ce moment-là, et si on me redonnait le choix, aussi fou que cela puisse paraître, je le referais.
« Southwind Frank n’était pas à son meilleur ce jour-là et il voulait courir durant tout le droit. Je croyais avoir fait du très bon travail, cela dit sans regret, » de continuer Gingras. « Cette année, avec Ready For Moni (deuxième après la pouliche Ramona Hill), je pense que c’était une grande course et la pouliche a extrêmement bien couru et parfois, il vous faut lever votre chapeau et dire ‘félicitations’. »
Mais Gingras a confessé son regret auprès de Father Patrick’s Hambo et son désir de s’assurer que Tall Dark Stranger ne se verrait pas priver d’une victoire classique similaire.
« J’ai des regrets quant à Father Patrick parce que peut-être que j’aurais pu faire quelque chose de différent et maintenant cette course ne figurera jamais à son palmarès, » dit Gingras. « Il était un formidable cheval. Je gagnerai peut-être une Hambo un jour, mais il n’aura jamais plus d’autre chance, et c’est ça la triste partie.
« Tall Dark Stranger possède déjà un riche cv et il aura de bonnes poulinières lorsqu’il commencera sa carrière de reproducteur, » d’ajouter Gingras. « Mais ce n’est pas seulement cette course, vous les voulez toutes. Ce sont des courses de chevaux et rien n’est garanti. »
* * * *
Jouer à des jeux de société au chalet demeure un doux souvenir pour plusieurs familles canadiennes, mais peut-être ne confirmerez-vous pas ce sentiment avec Vicky Gingras.
« Mon épouse a apporté un jeu de dames au chalet pour passer le temps durant la quarantaine, » dit le conducteur perplexe. « À la premi-ère partie, elle m’a battu. Je n’étais pas heureux de cela et elle se moquait de moi. Je l’ai défaite une douzaine de fois d’affilée et après cela elle dit, ‘Pourquoi dois-tu agir comme cela? Pourquoi ne peux-tu pas me laisser gagner pour que nous puissions continuer de jouer? »
Sans aucun doute, il y a un certain nombre de conducteurs pouvant compatir au sort de Vicki.
« Je fais définitivement dans la stratégie. J’essaie toujours d’avoir l’avantage et j’essaie de faire la même chose quand je course, » dit Gingras. « Dans une course, mon avantage est de bien connaître tous les chevaux. J’ai une très bonne mémoire des forces et faiblesses non pas de mon seul cheval, mais de tous les autres.
« Vous essayez de conduire votre cheval d’une certaine façon pouvant peut-être placer un autre cheval à un endroit dans lequel il ne veut pas être, » de continuer Gingras. « Cela ne fonctionne pas toujours et plus souvent qu’autrement, ça ne fonctionne pas, mais c’est le but. Placez votre cheval au meilleur endroit possible et l’autre cheval à battre au plus mauvais endroit possible. »
Avec un peloton de talent composé de 10 chevaux dans la North America Cup, Gingras savait qu’il aurait à faire un mouvement décisif, et savait très bien que rien d’autre que la victoire lui éviterait la critique.
« Il y a de nombreuses décisions à prendre rapidement, » d’admettre Gingras. « Si vous hésitez un quart de seconde, ce mouvement ne vous est plus disponible et la décision suivante arrive. C’est la même chose pour tous les conducteurs. Cela semble définitivement plus facile sur la ligne de côté, mais ne vous méprenez pas – quand je regarde le hockey, je maudis aussi ces gars-là. Alors, je n’ai aucun problème avec les gens qui essaient de deviner. » Une chose que Gingras a dite c’est qu’il n’essaiera pas de deviner sa décision de venir en Ontario.
« J’ai pris la décision de venir ici non pas seulement pour la North America Cup, mais parce que la plupart des grands chevaux que je con-duis s’en venaient ici. Ça me rendait les choses difficiles de ne pas venir. » « Ready For Moni, Sorella, Tall Dark Stranger ainsi que tous les meilleurs deux-ans que je pensais avoir eus y venaient aussi. Cela me rendait les choses difficiles de ne pas être sur place. »
Mais quatre jours avant la course, Gingras a exprimé un regret.
« Ma famille est partie aujourd’hui. J’espérais qu’ils resteraient un peu plus longtemps, mais l’école reprend, comment dire, ce matin, » dit Gingras. « Ce n’est pas aussi agréable sans eux et nous serons séparés pour quelque temps. Ce n’était pas une agréable matinée, mais c’est le sacrifice que nous devons faire présentement. La famille est toujours numéro un pour moi, tout le reste vient après. Je veux passer mon temps auprès des enfants. »
Comme des courses importantes telles la Mohawk Million, le Canadian Pacing Derby et le Maple Leaf Trot à l’horizon, Gingras dit qu’il pour-rait bien être seul en Ontario jusqu’au 19 septembre.
« Je ne verrai pas mon épouse ni mes enfants avant le milieu de septembre et cela est très pénible. Cela va être la partie la plus difficile, » dit Yannick.
À peine quelques enjambées après la fin de la North America Cup, Gingras pompa tranquillement le poignet. C’était tout autant un signe de soulagement et de joie de la victoire qui peut-être, pour un moment, faisaient oublier l’absence de son épouse et ses enfants.
Il y avait certainement de la joie pour son cher poulain.
« C’est le meilleur poulain ambleur que j’ai mené. Il n’y a aucun doute dans mon esprit. C’est un animal étonnant, » dit Gingras. « C’est un cheval formidable et il est à la hauteur de son pedigree. »
Comptant des victoires telles la Pepsi North America Cup, il va sans dire que Tall Dark Stranger sera un jour mis à une retraite de reproduc-tion, et qu’avec un arbre généalogique aussi fort que le sien, il va sans dire qu’il sera un reproducteur populaire. Et à titre de vétéran con-ducteur, Gingras tiendra à souligner – la famille, c’est important.