Avec une journée inaugurale du début de septembre ayant attiré une foule compacte de 6 000 personnes, le Jockey Club Québec est bien en selle pour offrir de nouveaux espoirs pour la reconstruction de l’industrie des courses de chevaux au Québec.
Story by Paul Delean / Photographed by J.M. Duddin & Sylvain Gagnon
LE QUÉBEC FUT JADIS L'UN DES MARCHÉS LES PLUS IMPORTANTS POUR LES COURSES DE CHEVAUX, attirant des compétitions de haut niveau pour des paris de 1 M $ en moyenne par programme à Montréal. Puis, il y a trois ans, il n'y restait plus rien. L'opérateur d'hippodromes, Attractions Hippiques, a fait faillite et les quatre hippodromes ont fermé.
Arrive le Jockey Club Québec, un petit groupe d'hommes d'affaires/bénévoles sérieux dans leur intention de ressusciter le sport et lui donner un avenir. Utilisant les recettes provenant du pari sur l'Internet, l'organisme sans but lucratif, JCQ, a financé des programmes de course dans les expositions dans la province ainsi qu'un nombre limité de programmes en direct à l'Hippodrome de Québec, lesquels ont débuté en 2010. Tout cela a pris fin de façon abrupte plus tôt cette année, suite à l'annonce que l'Hippodrome de Québec allait être démoli par les bulldozers pour y ériger un nouvel amphithéâtre. Soudainement sans abri, le JCQ s'est mis à la recherche d'un lieu de remplacement, et au printemps, concluait l'entente de se porter acquéreur de l'Hippodrome de Trois-Rivières qui était vacant, pour la somme de 4 M $. En septembre, le JCQ a lancé son premier programme de dix réunions de courses en direct de l'hippodrome, maintenant renommé Hippodrome 3R.
Notre reporter, Paul Delean, a récemment rencontré à l'hippodrome, le président du JCQ, propriétaire de cheval depuis fort longtemps, Tony Infilise, ainsi que le directeur général Vincent Trudel, pour discuter de l'initiative jusqu'à maintenant et des plans pour l'avenir. Voici une transcription de cette conversation.
Q: La première question qui s'impose est pourquoi avez-vous acheté un hippodrome durant une période difficile pour l'industrie des courses de chevaux partout en Amérique du Nord?
INFILISE : Nous avions planifié de demeurer à Québec durant un certain temps, mais le maire et son entourage ont décidé de construire un nouvel aréna sur l'actuel site de l'hippodrome, alors nous avons été invités à partir. Nous avions besoin d'un toit, d'un endroit d'où nous ne serions pas expropriés ou évincés avec un très court avis, comme ce fut le cas à Québec. Nos alternatives étaient Trois-Rivières et Bedford (une petite ville des Cantons de l'Est). Nous pouvions développer un projet viable pour Bedford, où des courses lors d'expositions sont bien établies, et nous la considérions très sérieusement à cause de sa grande passion pour les courses de chevaux, et puisque nous avions cette alternative viable, cela nous a franchement aidés à réduire le prix d'achat de Trois-Rivières).
Nous avons été pris par surprise par ce qui s'est passé à Québec. Mais nous nous en sommes remis, et nous sommes en bien meilleure situation.
Q: Le Jockey Club Québec est un organisme sans but lucratif. Comment peut-il se permettre une telle acquisition?
INFILISE : Nous avons obtenu et commencé à exploiter notre licence Internet en mars 2010, ce qui nous donnait l'exclusivité sur les paris sur les courses de chevaux (dans la province) à partir de cette date, et cela nous a permis de lancer cette opération en partenariat avec Woodbine Entertainment (WEG), qui nous fournissait toute l'administration de bureau ainsi que les ententes, en échange d'une commission. Cela nous a procuré une source de revenus… notre seule et unique, pour commencer. Cela nous a permis de présenter des courses en direct. Nous ne faisons pas de profit avec les programmes sur place, parce que nous payons plus en bourses que notre part de pari, mais nous avons été très prudents dans nos dépenses et cela nous a aidés quand vint le temps de conclure ce marché. Trouver du financement pour un organisme sans but lucratif n'est pas facile, particulièrement, aux taux de créance prioritaire, mais notre réputation d'administrateurs financiers sérieux au cours des années précédentes, notre modèle d'affaires, plus l'équipe impliquée, l'expérience et les accomplissements des membres du conseil du JCQ, ont fait que la banque s'est sentie bien à l'aise de nous consentir un prêt. Nous l'administrons comme une compagnie privée et c'est ce qu'ils ont vu. Nous avons pu obtenir un prêt hypothécaire de 3 M $ de la Banque Nationale - duquel le tiers est garanti par six membres du conseil. Nous avons acheté la piste pour la somme de 4 M $ d'une des compagnies du Sénateur Paul Massicotte, laquelle avait racheté les intérêts de créditeurs garantis (Attractions Hippiques), y compris cet actif. La négociation n'a pas été facile, mais elle s'est déroulée de façon professionnelle et cordiale et nous en sommes finalement arrivés à une entente.
Q: Quelle est votre stratégie en ce qui concerne cet hippodrome en particulier et les autres exploitations affiliées au JCQ pour les prochaines années?
INFILISE : Ce sera le pivot. Nous voulons offrir des courses attrayantes pour les amateurs et le public parieur tout en favorisant l'élevage du Québec. Nous voulons pouvoir vendre notre signal via le pari inter-piste à travers le Canada et les États-Unis. Nous avons sélectionné des heures de course propices au développement de l'intérêt pour le pari. Pour les propriétaires de chevaux, cela signifie du sacré bel argent qui sera disponible pour les chevaux d'élevage québécois en 2013, 2014 et 2015, parce qu'il y avait relativement peu de chevaux élevés ici. Cela créera de la valeur et ce faisant, procurera quelque soulagement aux éleveurs. Nos projections financières sont de l'ordre de 1,6 M $ en bourses l'année prochaine, 2 M $ l'année suivante et 2,5 M $ la troisième année. Nous avons déjà deux salons de pari ouverts, en plus du centre de pari inter-piste à l'hippodrome. Dès l'été prochain, nous devrions en avoir dix. Cela devrait nous permettre d'atteindre largement notre objectif en ce qui concerne les salons de pari.
Q: Quelle importance revêt le fait d'avoir une piste à Montréal selon la vision du JCQ?
INFILISE : C'est l'un des meilleurs endroits, la clé vers le succès futur et la viabilité de l'industrie. La majorité des propriétaires de chevaux sont de la région de Montréal. La plupart des paris hors piste se fait là. Nous devons faire nos preuves ici, démontrer que nous sommes des administrateurs compétents, construire les bourses ici, trouver la formule gagnante qui nous permettrait de financer une piste dans la grande région de Montréal. Nous voulons deux pistes au Québec comportant des programmes complémentaires. Cet endroit est une belle installation et mérite des courses de grande qualité, Montréal aussi.
Q: Vincent, vous travailliez auparavant à Loto-Québec (l'organisme provincial des loteries). Historiquement, son rapport avec l'industrie des courses de chevaux a été tumultueux. Quel lien, s'il y a lieu, voyez-vous ou espérez-vous voir entre les deux pour l'avenir?
TRUDEL : J'y vois des occasions d'affaires que nous pourrions développer avec Loto-Québec. Voyez ce que d'autres pays font - comme le Pari Mutuel Urbain (PMU) en France, où ils ont plus de 10 000 points de vente et 9,5 G d'Euros en pari mutuel.
INFILISE : Nous sommes en bons termes avec Loto-Québec. Nous sommes présentement partenaires dans l'édifice (à Trois-Rivières, où le centre de jeux de hasard de Loto-Québec est contigu au clubhouse de l'hippodrome). Nous avons un intérêt commun, et avons déjà des initiatives communes, qui sont d'attirer les amateurs à ce site. Nous sommes à la recherche d'occasions bénéfiques à tous pour construire sur ce nouveau départ. Ce qui est bien pour le hall de jeu l'est aussi pour nous, et vice versa.
Q: Vous avez adopté une démarche très conservatrice, en clair-obscur, non conflictuelle depuis la naissance du JCQ en 2009. C'est en quelque sorte un genre de dérogation à ce qui a été une industrie très fragmentée et récalcitrante. Qu'est-ce qui vous a motivé?
INFILISE : Nous ne sommes pas là pour débattre de ce qui est arrivé dans le passé. Nous devions être positifs, regarder en avant et être unis. Ce ne fut pas facile de trouver des gens pour comprendre que 'nous sommes eux, ils sont nous, il n'y a pas de conflit d'intérêt'. Tout le surplus revient aux hommes de chevaux et à l'industrie. Mais nous devons parler aux autorités d'une même voix. Nous en avons fait notre priorité. Sans unité, rien n'est possible. Nous avons aussi choisi de ne pas attaquer le gouvernement sur ses positions historiques. Nous voulions un vrai nouveau départ. Et je pense que nous avons réussi de grandes foulées pour ce qui est de convaincre les politiques et fonctionnaires que nous avons un modèle viable.
Q: Le JCQ a connu de nombreux changements d'adhésions au cours de sa courte existence. Pourquoi?
INFILISE : Plusieurs membres ont pensé que nous étions de trop petits joueurs. Premièrement, nous essayions d'acheter les actifs d'Attractions Hippiques avant que leur valeur ne soit pas trop négative, et quand cela ne s'est pas matérialisé, quelques-uns ont perdu de leur intérêt. Ils ne voulaient pas repartir à zéro et suivre la voie plutôt modeste du pas à pas que nous avons prise. Une partie fut péniblement lente.
Des fermes et éleveurs ont fait faillite, les propriétaires de chevaux ont perdu de grosses sommes d'argent, et nous faisions des pas de bébé. Mais quelques-uns parmi nous avions le sentiment qu'il n'y avait pas d'autre moyen. Nous devions reconstruire notre crédibilité et attendre que les chiffres parlent.
Q: Un changement de gouvernement au Québec change-t-il ou complique-t-il vos projets de quelque manière que ce soit?
INFILISE : Nous n'avions aucune entente avec le gouvernement sortant libéral. Nous avions discuté avec tous les partis. Il y va de l'intérêt de tout gouvernement de nous écouter; nous sommes une voix importante dans les domaines du jeu et des secteurs agricoles. Si vous envisagez de créer des emplois, nous faisons partie de la solution.
Q: L'intégrité est un mot qui revient souvent dans votre discours, et vous obligez maintenant les participants à signer un formulaire les engageant à respecter - une liste de règlements avant de les autoriser à participer aux courses de chevaux. Pourquoi est-ce si important?
INFILISE : Nous voulons que les gens comprennent que, pour que nous ayons de nouveaux produits de paris, à l'évidence, il faut qu'il y ait une grande confiance dans l'intégrité du produit. C'est l'élément critique de notre succès à venir. Il y va de l'intérêt de tous, c'est la responsabilité de tous. Notre objectif est de suivre une rigueur similaire à celle de WEG, malgré notre plus petite taille. Nous avons la même philosophie, les mêmes objectifs qu'eux. Et je me dois de dire que nous avons été très bien accueillis et appuyés par les administrateurs et le personnel subalterne de l'ATAQ (l'association provinciale des hommes de chevaux).
Q: Vous avez commencé à demander 25 $ pour les qualifications. Comment cela a-t-il été reçu?
INFILISE : Il y a eu des questions au début. Notre façon de l'expliquer : nous essayons d'aller de l'avant, tout un chacun doit y mettre du sien. À six, nous avons garanti 1 M $ pour que nous ayons cet endroit; tout le monde peut payer 25 $ pour les qualifications. C'est leur façon de payer un peu les frais, un peu de l'hypothèque. C'est leur façon de contribuer au succès et au bien-être financier du JCQ. Cet endroit leur appartient… ils devraient s'en sentir propriétaires. Et puis, c'est moins cher que de conduire jusqu'à Rideau-Carleton.
TRUDEL : Il y a eu des commentaires avant que nous l'implantions. Aucun depuis.
Q: Pourquoi l'ancien exploitant des hippodromes du Québec a-t-il échoué et comment serez-vous capable d'éviter un destin identique sans les machines vidéo poker (VLT)?
INFILISE : Un de nos principes directeurs est de ne pas parler de ce qui a échoué par le passé. Cela ne sert à rien. Nous savons que nous avons un modèle différent. Nous sommes apolitiques. Nous consultons les hommes de chevaux et l'industrie. Nous administrons cette entreprise de façon très serrée et contrôlée quant aux revenues et dépenses. Nous sommes attentifs à notre liquidité comme des faucons. Cela nous a permis de nous rendre là où nous sommes aujourd'hui. C'est en toute connaissance de cause que nous ne voulons pas plus de dix membres sur notre conseil, parce que nous voulons être capables de prendre des décisions sans perte de temps et focaliser sur l'exécution.
Q: Êtes-vous rendus là où vous vous imaginiez être lorsque le JCQ a débuté ses activités il y a trois ans?
INFILISE : Nous sommes un peu en retard sur là où j'aurais aimé être. Il a fallu deux ans et deux mois pour avoir les changements aux règlements nous permettant d'ouvrir des salons de pari. Nous avons boité financièrement, incapables que nous étions de procurer le niveau de bourses que nous espérions. Notre espoir était aussi de demeurer à l'Hippodrome de Québec durant plus longtemps que nous l'avons été. Il a fallu des ressources financières pour pouvoir faire un dépôt initial de 500 000 $ et nous avons maintenant des frais mensuels d'hypothèque sur l'Hippodrome 3R. Il nous a fallu nous ajuster.
Q: Combien de temps, pensez-vous, faudra-t-il avant que l'industrie des courses de chevaux au Québec puisse à nouveau soutenir ses propres hommes de chevaux et ses éleveurs?
INFILISE : C'est difficile d'y accoler une date. Ce sera progressif. À 4 M $ de bourses annuelles, ce sera encore serré. Certaines gens peuvent vivre avec cela. Il y aura un peu d'accouplements, mais ce ne sera pas une industrie viable. Pour avoir une vraie industrie viable, il faudrait 10-12 M $, et j'aimerais penser que dans cinq ans nous serons à ce niveau. C'est vers cela que nous travaillons. Et c'est dans l'intérêt de tous les Québécois qu'il faut que ça arrive.