LE PROCHAIN CHAPITRE ?

‘Laisser tomber quelque chose’ est considéré comme l’un des plus grands défis de la vie. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, la perspective de s’éloigner de quelque chose qu’on aime se heurte souvent à un tas d’émotions difficiles à maitriser. Mais comment savoir quand – et si – c’est le moment ?

C’est exactement ce dilemme auquel Brian Sears a été confronté lorsqu’il a décidé de son avenir dans les courses sous harnais. Avec 10 423 visites dans le cercle des vainqueurs, 216 830 670 $ de gains, 35 victoires dans le Breeders Crown et trois Hambletonians, l'intronisé au Temple de la renommée 2017 possède un curriculum vitae qui le place dans les conversations comme l'un des plus grands de tous les temps du sport. Le 18 novembre 2023, après avoir terminé cinquième dans la course, ayant un nom tellement approprié, « I Did It Myway », et aucun d’entre nous ne savait que ce serait peut-être la dernière fois que nous verrions le « White Knight (Chevalier Blanc) » revêtir un costume de conducteur; surtout qu’il était encore proche de son apogée en termes de capacités. Étant resté pratiquement hors de vue au cours des 15 derniers mois, depuis qu’il a quitté le sulky, nombreux sont ceux qui se sont demandé si un retour à la course pourrait être envisagé pour Brian ? Des grands comme Michael Jordan et Tom Brady seront les premiers à vous dire que s’éloigner – et rester à l’écart – du jeu qu’ils aiment n’est pas facile, et cela n’a pas été différent pour Sears, qui a peut-être encore beaucoup à offrir. Après 55 381 courses avec pari mutuel et avoir accompli à peu près tout ce qu'il y a à faire dans ce sport en tant que conducteur, l'homme de 57 ans brise désormais son silence, avec TROT, pour discuter de son parcours, de sa décision de s'éloigner et pour nous rappeler qu'il y a bien plus dans la vie que les courses.  Par John Rallis // Traduction Manon Gravel

Alors qu'il s'étendait au bord de la piscine par une belle matinée ensoleillée à Paradise Island, aux Bahamas, Brian Sears ne pouvait s'empêcher d'apprécier ce que le sport des courses sous harnais a fait pour lui.

Conducteur de troisième génération derrière son père Jay et son grand-père Gene, il semblait qu'une carrière de conducteur de Standardbred était destinée au natif de Fort Lauderdale, en Floride.

« Je suppose qu'on pourrait dire ça, mais je sais que si vous aviez demandé à mon père à l'époque, il voulait vraiment le contraire pour moi dans ce temps-là », dit Brian en riant. 

« Peu importe où je grandissais, c'est-à-dire entre la Floride et le nord de l'État de New York, il y avait toujours des courses [dans ma vie], et ça n’a jamais vraiment disparu. »

« Mon père coursait beaucoup à Pompano, c'est donc là que nous passions nos hivers, tandis que nos étés étaient consacrés à courser dans le nord de l'État de New York, à Vernon Downs. C’était pénible, bien sûr, mais c’est ce qui nous permettait d’apprécier le reste encore plus. »

La proximité de Sears avec les courses de chevaux à un jeune âge n'a fait qu'accroître son intérêt, et à l'âge de 18 ans, le futur membre du Temple de la renommée a pu faire l'expérience pour la première fois de ce que c'était que de visiter le cercle des vainqueurs en tant que conducteur - quelque chose qui finirait par se produire avec une grande régularité pour lui au cours des quatre décennies suivantes.

La série d’événements qui l’ont aidé à remporter cette première victoire historique est ce qui lui a fait apprécier encore plus ce moment emblématique de sa carrière dans son ensemble.

« Quand j'avais 12 ans, je m'occupais d'un beau poulain pour mon père, et il me donnait 5 % de ce que le cheval rapportait. Avec cet argent, j'ai fini par acheter une jument nommée Mickey Wayne de mon père et un de ses propriétaires, Vincent Vangura. »
« Elle avait 26 ans et était stérile, mais elle m’a donné des poulains au cours de saisons consécutives… deux pouliches. Et je n’oublierai jamais ce qui s’est passé par la suite. »

Ces deux pouliches, issues de la vieille jument stérile que Brian avait achetée avec l’argent obtenu en grattant le fond des tiroirs, étaient les deux chevaux sur lesquels le jeune homme allait faire ses armes, les conduire sur le circuit des foires et apprendre son métier.

C’est en partie ce qu’il a appris en s’asseyant derrière elles qui lui a permis de se rendre au cercle des vainqueurs de Vernon Downs à 18 ans, avec Alicia Blue Chip, sa toute première victoire au pari mutuel. Les deux pouliches de son élevage maison ont été le début de tout pour l'aspirant conducteur.

« Je ne me souviens pas combien de courses il m'a fallu pour remporter cette première victoire, mais je peux vous assurer que cela serait arrivé plus tôt si mon père m'avait laissé conduire certaines des meilleures montures », plaisante Brian. « Il m'a fait conduire les mauvais, mais cela m'a aidé à apprécier encore plus m'asseoir derrière les bons. »

Le père de Sears essayait de faire de son mieux pour enseigner à son fils les défis liés à la conduite de chevaux. Il y a beaucoup d’échecs avant d’atteindre le sommet, et souvent, de nombreux conducteurs n’ont pas l’opportunité d’atteindre le sommet dans les courses. Cela n’a cependant pas empêché Brian de poursuivre son rêve.

« Mon père ne voulait pas que je conduise des chevaux parce qu'il savait à quel point c'était un défi, surtout pour lui », admet Brian. « Il voulait que j'aille à l'école et que je poursuive mes études, alors c'est exactement ce que j'ai fait par respect pour lui... ou du moins j'ai essayé de le faire (en riant). »

Sears a fréquenté l'Université d'Auburn, où il a étudié pour devenir vétérinaire, mais un diplôme universitaire n'allait pas satisfaire son désir de compétitionner, un feu suffisamment fort pour repousser toute idée d'échec. 

« Je me souviens que mon père n’était pas très enthousiaste face à ma décision de quitter l’école pour poursuivre l’idée de conduire des chevaux. Il a appelé Joe Pavia, qui était marié à ma sœur, et l'a supplié à me convaincre de rester à l'école. »

« Le lendemain, alors qu'ils joggaient des chevaux sur la piste, Joe a dit à mon père qu'il m'avait en fait parlé, et mon père a répondu en disant 'Ouais, super travail, il est toujours sur le chemin vers la maison en ce moment (en riant).' »

Au cours de ses six premières années de conduite à temps plein (entre Pompano Park et Vernon Downs), Sears a constaté une augmentation de ses accomplissements chaque année, dans toutes les catégories reliées à son métier. Puis, après avoir établi des sommets en carrière en 1993 au niveau des victoires (108) et des gains (248 541 $), il a décidé qu'il était prêt à en faire plus.

« J'ai adoré courir à Pompano parce que l'ambiance était toujours extrêmement électrique. Tout le monde avait toujours hâte de courir là-bas car il y avait tellement de gens qui s'amusaient. En ce qui concerne les courses, on allait pas s’assoir derrière des superstars, mais j’ai tellement appris et j’ai passé de très bons moments en le faisant. C'est vraiment triste de savoir que ça n'existe plus. »

« Quant à Vernon, les choses se passaient très bien pour moi là-bas… J'ai remporté le Rising-Star Award en 1991 et je me sentais plutôt bien quant à la façon dont j'avais progressé au cours des deux années qui ont suivi. À partir de ce moment-là, j’ai senti que j’étais prêt pour une plus grande opportunité. »

Après la fin du meeting à Vernon Downs en 1993, Sears n'est pas retourné en Floride pour l'hiver comme il le faisait habituellement. Sa prochaine destination était décidée et c’était à Pittsburgh, où il tenterait de compétitionner à The Meadows. 

« Gates Brunet, qui fait partie de ma famille, m'a déposé à The Meadows cet hiver-là alors qu'il se rendait en Floride », se souvient Brian. « C'était évidemment un grand changement pour moi, étant donné que c'était mon premier hiver sans passer par le Sunshine State, mais je sentais que c'était une étape nécessaire [dans ma carrière]. »

« Je me souviens qu’il m’a dit : ‘Je reviendrai te chercher à n’importe quel moment, juste à m’appeller’. Heureusement pour moi, cet appel n'a jamais été nécessaire (rires). »

Il n’a pas fallu longtemps à Sears pour avoir un impact dans son nouvel environnement, puisqu’il a remporté trois victoires lors de ses huit premiers départs à The Meadows, faisant ainsi sentir sa présence très tôt.

« Je savais qu'il y aurait des possibilités de trouver des « drives » [à The Meadows] considérant ceux qui conduisaient là-bas », déclare Brian. « Dave Palone était souvent inscrit sur quatre ou cinq [chevaux] par course, ce qui signifiait qu'il y avait des opportunités pour des gars comme moi d’obtenir quelques conduites. »

« Heureusement pour moi, j'ai développé une excellente relation avec une femme nommée Cricket, qui travaillait au secrétariat des courses de The Meadows. Elle savait que j'avais hâte de conduire et m'a aidé à faire connaître mon nom pour du travail supplémentaire. Là-dedans, elle a joué un grand rôle. »

En 1994, sa première année complète à The Meadows (il y est également resté tout l'été), Sears a vu son nombre de courses et de victoires presque tripler. Il a établi un record de victoires en carrière pour la septième année consécutive (321) et ses gains ont été multipliés par cinq, ses bourses éclipsant 1,2 million de dollars pour l'année. 

Sears avait fait sa marque ; tout le monde là-bas le savait, incluant le King de la piste, Dave Palone.

« Dave [Palone] était 'l’homme de la situation' [à The Meadows], cela ne faisait aucun doute, mais j'étais là pour prouver que j'allais être là, avec lui,  à chaque étape aussi », sourit Brian.

« Je n’essaierai pas de minimiser la rivalité parce que vous avez pu voir à quel point nous étions compétitifs. Bon sang, il y avait des moments où nous oubliions que nous étions en compétition contre des chevaux, pas contre des gens… Parfois, c'était devenu une bataille à un contre un, uniquement entre nous deux (rires). »

« La compétition m'a rendu bien meilleur, et cela n'a fait que croître lorsque Dave [Miller] est également entré dans l’équation. Non seulement c’était une autre star en devenir qui était entrée dans le giron, mais c’était un autre gars qui essayait de vous baiser (en riant). »

En plus de développer son métier, Sears a profité de nombreuses autres sensations fortes en coursant à The Meadows, y compris de multiples victoires dans les « sire stakes ». Le souvenir qui l’a le plus marqué est la première fois où il a remporté leur course principale, The Adios (la première des trois de sa carrière). Il a accompli l'exploit avec Pine Valley [p,1:51.2 ; 392 651 $].

« C'était un moment incroyable pour moi. C’était mon premier gros stake, et retrouver ma famille dans le cercle des vainqueurs après la victoire a rendu cela encore plus spécial. »

« Je me souviens que j’étais troisième, ce qui, à mon avis, n'était pas la meilleure place », admet Brian. « Au lieu de tirer la guide pour attaquer, j'ai décidé de rester dans le trou [il était à 25/1] … Et soudain, Ron Pierce, qui était devant moi, est sorti du deuxième trou à mi-chemin dans le dernier tournant, ce qui m'a donné un accès direct vers le « passing lane » (voie de dépassement) …  Et je me suis faufilé. J’ignore comment mais, tout s’est bien passé (rires). »

Cette décision gagnante prise en une fraction de seconde dans une course majeure était un microcosme de la carrière de Sears. L’occasion n’était jamais trop grande pour lui, et il semblait que chaque cheval derrière lequel il était assis était toujours au bon endroit.

« Une chose dont j'ai toujours été fier, c'est la façon dont j'étudiais un programme et une course », a souligné Brian. « Il est impératif que vous soyez conscient de votre environnement, que vous sachiez quels chevaux vous affrontez et les personnes qui les conduisent. Vous ne pouvez pas simplement connaître votre cheval, il y a bien plus que ça. »

C’est ce genre d’attention aux détails, associé à son niveau de talent, qui a aidé Brian Sears à devenir une star au cours de ses neuf années de conduite à The Meadows. Cependant, tout comme ses passages à Vernon et Pompano, le « horseman » a toujours aspiré à plus.

« Sans aucun doute, si vous vouliez être un nom connu dans ce sport, vous deviez être à The Meadowlands. C’était l’endroit idéal et je le savais. »

Lorsque Sears est arrivé à East Rutherford, dans le New Jersey en 2002, il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre à quoi il avait affaire.

« Cet endroit regorgeait de talent, et cela se ressentait immédiatement dans la salle des conducteurs », déclare Brian. « Je me souviens m'être aligné derrière la barrière mobile contre neuf autres conducteurs qui avaient remporté entre 5 000 et 10 000 victoires... dès que la barrière s'est ouverte, plusieurs gars ont lâché les guides et foncé, comme « boum, boum, boum ». C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris que c’était la cour des grands… même si je suis presque sûr d’avoir été expulsé de cet endroit une dizaine de fois au cours de ma carrière (rires). »

Une fois installé à The Meadowlands, l'espoir de Sears était d'avoir l'opportunité de s'asseoir derrière quelques chevaux qualifiés de superstar, et cette opportunité s'est présentée en 2004, grâce à un poulain recrue du nom de Rocknroll Hanover [p,3,1:48.3; 3 069 093 $].

« J'étais assis derrière lui lors de son premier départ à vie à The Meadowlands [dans une course sans paris] et il a été solide. Au départ suivant, il a mal couru, et je ne l'ai pas conduit lors de son prochain départ [une troisième place dans une course pour « maidens » de 2 ans à Woodbine pour Jack Moiseyev]. »

« Je me souviens avoir reçu un appel de Brett [Pelling], me demandant de le conduire au Canada lors de la finale du Metro Pace à Woodbine. Ronnie [Pierce] l'a laissé tomber [après son éliminatoire] pour choisir un autre rival et je n'aurais pas pu dire « Oui » plus vite que ça. »

S'alignant à partir de la 7e position, avec une cote de 31/1, Sears a sorti le fils de Western Ideal-Rich N Elegant de la barrière mobile et a pris une brève avance avant de se placer deuxième derrière le favori de la course, Village Jolt, que Ron Pierce avait choisi de conduire plutôt que Rocknroll Hanover. Après que le trois-quarts ait été chronométré en 1: 22,2, Sears a tiré la guide pour sortir du trou s’est envolé à l’extérieur, offrant une surprise majeure avec un record de 1: 49,4, marquant le tout premier mile inférieur à 1:50 établi par un poulain de deux ans.

« Cette victoire était surréelle, et c’est l’un des nombreux chevaux qui m’ont procuré tant de sensations… Mais il a aussi été l’un des premiers. J'avais beaucoup confiance en ce cheval ce soir-là (quelles que soient ses chances). Faire partie d'un mille record dans le processus n'était qu'une fierté additionnelle pour ce qui était de ma victoire la plus riche à l'époque. »

« Assez drôle, j'avais envisagé de retourner à The Meadows [cet automne-là] parce que je n'avais vraiment rien à conduire en ce qui concerne les chevaux du Grand Circuit, et puis est venu cet appel téléphonique de Brett [Pelling], qui était une bénédiction. Le timing, c’est primordial, et c’est certainement arrivé au bon moment. »

La victoire dans le Metro Pace était l'une des trois courses que Rocknroll Hanover et Brian Sears ont remportées ensemble pour une bourse de 1 million de dollars ou plus (avec la North America Cup et le Meadowlands Pace), ce qui en fait la seule combinaison cheval-conducteur de l'histoire des courses nord-américaines à accomplir cet exploit. Deux des trois victoires à sept chiffres ont également eu lieu en sol canadien, où Brian a connu sa part de succès, mais avant de connaître ces triomphes majeurs ici au Canada, il a également été affecté par ce qui a été l'une de ses premières bêtises majeures.

« Je conduisais Gordons Jin Ms [p,3,1:51f; 516 234 $] lors de la finale du Breeders Crown 2002 à Woodbine pour Ray Van Dreason », se souvient Brian. « J'étais super excité parce que nous venions de terminer deuxième lors de l'éliminatoire la semaine précédente, et j'avais très confiance à ce cheval ce soir-là. »

« J'ai fait le voyage avec ma petite amie de l'époque, Jamie, et j'avais planifié toute la journée du lendemain à Niagara Falls et tout. Je me disais que je ne voulais pas arriver [aux courses] trop tôt, alors nous sommes arrivés vers la première [course]. »

« Donc je suis arrivé à 19h40, mais comme c'était la soirée Breeders Crown, ils ont dû déplacer l'heure de départ à 18h40… Je n'étais pas au courant. Quand je suis arrivé, ils m'ont dit que je ne pouvais pas la conduire… J'étais trop tard. J'étais pourtant là deux courses avant le début de la course, mais on m'a refusé. »

« Je me souviens d'être retourné à l’estrade, d'avoir vu Jamie, et elle s'est mise à pleurer.  J’ai dit ‘Ouais, on ‘décr****’ d’ici’. J’étais frustré, bien sûr. »

Eric Ledford a obtenu l’opportunité de conduire la pouliche ambleuse, et le duo a terminé deuxième, battu par seulement un quart de longueur dans la finale de 829 047 $. Sears ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable.

« Obtenir une chance de conduire dans la Breeders Crown et que cela se produise m’a vraiment choqué. C’est drôle d’y repenser aujourd’hui, à certains égards, mais à l’époque, c’était un sentiment horrible. »

Sears a en fait eu une autre occasion de conduire dans une Breeders Crown au Canada, quelques années plus tard, et ce soir-là, il s'est assuré que cela compte.

« Ma visite suivante au Canada pour la finale de la Breeders Crown a eu lieu en 2004, et j'en ai remporté trois ce soir-là [Yankee Slide, Western Terror et Housethatruthbuilt]. Je suis passé d’une catastrophe lors de cette autre visite à gagner trois Breeders Crowns la fois suivante ou j’y ai mis les pieds, alors j’ai fait amende honorable de cette façon… Plus important encore, je me suis assuré d’arriver à l’heure (rires). »

« Même si l’un des moments dont je suis le moins fier s’est produit en sol canadien [avec Gordons Jin Ms], j’ai toujours aimé courser au Canada. La foule était toujours incroyable, la piste était toujours en bon état et tout le monde savait comment offrir le spectacle. Il y a de vrais fans de courses là-bas, et ça se voit. »

Ces trois victoires dans le Breeders Crown étaient les troisième, quatrième et cinquième des 35 que Sears a remportées tout au long de sa carrière – le deuxième de tous les temps derrière John Campbell (46).

Quelques-unes de ces victoires dans le Breeders Crown sont le fruit de superstars comme Muscle Hill, Broadway Schooner et Bee A Magician, qui étaient tous jumelés à Brian au cours de sa carrière, mais ajoutez le nom « Royalty For Life » à ce mélange, et vous obtenez un groupe de quatre qui ont tous pu accomplir quelque chose de très spécial pour Brian, deux samedis après-midi, début août 2009 et 2013.

« Nous connaissons tous le calibre du cheval qu'était Muscle Hill, et il était certainement l'un des meilleurs chevaux derrière lesquels je n'ai jamais pu m'asseoir », déclare Brian. « Écoutez, en tant que conducteurs, nous aspirons tous au succès et nous rêvons de conduire des chevaux comme lui, car non seulement ils facilitent notre travail, mais ils nous donnent également l'opportunité de gagner de [grandes] courses. »

L'une de ces courses que tout conducteur rêve de gagner est The Hambletonian, une course que Sears a eu la chance de remporter trois fois. Muscle Hill est celui qui a aidé à obtenir le premier de ceux-ci pour le natif de Floride, quelque chose qu'il dit qu'il était convaincu de gagner depuis l'année d’avant.

« Je suis reconnaissant d’avoir gagné ma vie en conduisant dans des courses de chevaux et je suis encore plus reconnaissant d’avoir remporté le Hambo à plusieurs reprises – une course dont tout le monde rêve. À vrai dire, en 2009, dans mon esprit, je m'étais déjà considéré comme vainqueur du Hambo l'année précédente, car quand on s'assoit derrière un trotteur comme lui, c'est avec ce genre de cheval qu'on gagne un Hambo (rires). »

« Le Hambletonian Day est l’équivalent du Super Bowl ; c’est le plus grand jour des courses sous harnais. Je me souviens d'être allé à la piste ce jour-là [en 2009], sachant que j'avais une bonne chance de balayer à la fois le Hambletonian et le [Hambletonian] Oaks… et à la fin de la journée, c'est exactement ce que j'avais fait. »

« Je me souviens qu'après avoir remporté les [Hambletonian] Oaks avec Broadway Schooner pour Jimmy [Campbell], j'étais de retour dans la salle des conducteurs avec un buzz total », se souvient Brian. « Je pense qu'ils avaient mis le « post-time » à environ 35 minutes avant la finale de l'Hambletonian, mais ensuite, qu’est-ce que j’entends?  C’est le juge du paddock qui m'appelait au micro [pour la parade du Hambo], alors j'ai sprinté... tant pis pour ne pas avoir réussi à garder mon rythme cardiaque bas avant l'une des plus grandes courses de ma vie (rires). »

Les « 35 minutes avant le départ » ont passé rapidement, mais peu de temps après, un autre moment a été créé lorsque Sears est devenu le premier conducteur de l'histoire du sport à réussir le doublé Hambletonian/Hambletonian Oaks le même jour, lorsque lui et Muscle Hill l’ont emporté par six longueurs dans un record pour un stake de 1:50.1.

George Brennan égalera l’exploit de Brian en 2011, avant que Sears ne récidive en 2013, avec Royalty For Life et Bee A Magician. Mais depuis, aucun autre conducteur n’a réalisé le rare doublé.

Avec autant de victoires emblématiques qui commençaient à s'accumuler, Sears construisait un héritage - et tous ceux qui regardaient les courses l'ont remarqué… en particulier ses pairs.

Lorsqu'on a demandé, il y a quelques années, qui il mettrait sur son propre cheval dans une course d’envergure, s'il était incapable de le conduire lui-même, Chris Christoforou, conducteur du Temple de la renommée canadienne, a répondu immédiatement : « Brian Sears.  Dans chaque grande course à laquelle j'ai participé contre Sears, ou que je l'ai vu participer, il semblait TOUJOURS avoir son cheval à l'endroit parfait. Et pas seulement cela, mais il ramenait toujours le cheval pour qu'il soit également prêt à courir la semaine suivante. Brian serait certainement mon premier choix. »

Christoforou n’est pas non plus le seul conducteur au Canada à faire l’éloge de Brian Sears. Bob McClure, conducteur de l'année 2020, lauréat du prix O'Brien, a idolâtré le membre du Temple de la renommée en grandissant et dit qu'il attribue son style de conduite à ce grand de tous les temps.

« En le regardant, plus jeune, il était une légende absolue », déclare Bob. « Pour moi, il est sur le mont Rushmore des conducteurs et est sans doute le plus grand de tous les temps. »

« Il montrait cette patience unique à lui que j’essaie d’imiter dans ma conduite… dans une bien moindre mesure bien sûr (rires). Brian était aussi unique, c’est parce qu’il n’était pas un conducteur puissant… cela ne veut pas dire qu’il n’était pas capable de l’être, mais tout ce qu’il faisait en piste était minutieusement calculé. »

Il y a un moment qui ressort le plus à propos de Sears, lorsque McClure cite l’instinct de Brian, et ironiquement, cela s’est fait aux dépens de Bob en 2019.

« Je me souviens que mon vol a été annulé alors qu’on était sur la piste [à Toronto] le jour des éliminatoires du Meadowlands Pace », se souvient Bob. « J'étais inscrit pour conduire « Best In Show » pour Linda Toscano et je n'ai pas pu y participer, alors Brian Sears a obtenu le feu vert. »

« Il a terminé deuxième lors de son éliminatoire et nous avons convenu que c’était normal que Brian le conduise en finale. Best In Show était un peu nonchalant, et je me souviens que Brian était quatrième sur la « rail » dans le tournant pour rentrer au fil [dans la finale], et il aurait pu sortir de là dans le dernier droit. »

« Au lieu de cela, Brian a longé les poteaux tout le long et a gagné par un nez. Je vous le dis, il n’y a aucune chance que j’aurais pu gagner cette course, parce que si j’avais été à cette position en rentrant au fil, dans The Meadowlands Pace, vous pouvez me croire que j’aurais tiré la guide vers l’extérieur pour avoir le chemin « libre » devant. C’est pourquoi Brian Sears était un génie dans son métier… il a gagné tant de courses avec son mental. »

Tout comme les athlètes professionnels affrontant leurs stars préférées qu'ils ont vu grandir, ce n'était pas différent pour McClure lorsqu'il s'alignait dans une course impliquant Brian Sears. Encore plus cool pour McClure, c'était d'avoir la chance de voler un titre Hambletonian à son héros, dans ce qui est de loin la plus grande victoire de la carrière de Bob.

« C'est toujours surréaliste de savoir que mon plus grand héros dans le sport est à l'extérieur de moi sur la photo de victoire la plus importante de ma carrière [le Hambletonian 2019 avec Forbidden Trade] », partage Bob. « Et si vous voulez savoir quel genre de gars est Brian, je suis presque sûr qu'il m’a regardé juste avant le fil pour me dire 'Félicitations'… c'est le genre de gars qu'il est. »
« C’est vraiment cool d’entendre ce genre d’éloges de la part de ceux qui ont concouru contre moi tout au long de ma carrière », partage Brian. « Mon objectif principal était d’être le meilleur dans mon métier chaque jour et de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour y parvenir. C’était une corvée, mais c’était nécessaire. »

« Une corvée » est une manière parfaite de résumer la vie d’un conducteur de Grand Circuit. Le voyagement est épuisant et les journées sont longues, et pour Sears, le poids de tout cela a fini par le rattraper.  

C’est à ce moment-là qu’il a commencé à réfléchir : « Quelle est la prochaine étape ? »

« En 2019, après avoir remporté la Breeders Crown avec Bold Eagle à Mohawk, je me souviens que cette soirée avait été si intense », se souvient Brian. « Ce dont je me souviens aussi, c'est que j'ai dit à Jenn [petite amie, Bongiorno] une fois la soirée terminée : 'Profitons de ça, car cela pourrait être la dernière soirée que nous ayons comme ça... il n'en restera peut-être plus beaucoup. »

L'année suivante, Sears a fait son retour aux courses fin avril et a terminé cette saison avec 426 courses, son total le plus bas depuis 1990. De 2020 à 2023, le nombre de courses est resté entre 359 et 484, et les bourses sont restées entre 3 millions de dollars et 4,7 millions de dollars, mais les choses avaient définitivement ralenti. Brian a quand même participé à six des 12 finales du Breeders Crown à Hoosier Park cette année-là par exemple, mais avec un succès limité.

Alors que les bébés commençaient à se qualifier en 2024 et que la saison du Grand Circuit démarrait, le nom de Sears ne figurait sur aucune feuille d’inscrits à The Meadowlands pour la première fois en 20 ans. Ce qui a alors suscité la question :
« Où est Brian Sears ? »

« Il y avait une partie de moi qui avait l’impression qu’il était temps de m’éloigner, mais je n’en étais pas sûr à 100 % », déclare Brian. « Écoutez, j’ai fait ça toute ma vie, j’ai été reconnaissant pour chaque opportunité que j’ai eue, et je suis particulièrement reconnaissant pour ce que cette « game » m’a donné… S’éloigner de la seule chose que j’ai faite toute ma vie a été l’une des choses les plus difficiles, croyez-moi. »

« Je me suis éloigné discrètement parce que c'était la chose la plus difficile que j'ai jamais eu à faire, et pour être tout à fait honnête avec vous, j'essayais toujours de tout gérer », admet-il. « Je ne voulais parler avec aucune publication parce que je ne voulais pas dire les mauvaises choses, et l’idée d’un « discours de retraite » ne me convenait tout simplement pas. »

« J'ai passé pas mal de nuits blanches au cours des derniers mois et là, j'avais l'impression que c'était le bon moment pour discuter de tout ça et m’expliquer. »

Au moment de son départ, lorsque quelques-uns essayaient de spéculer, certains ont remis en question de manière injustifiée la passion de Sears en matière de courses de chevaux. Cela ne pourrait pas être plus éloigné de la vérité.

« C’est drôle, les gens pensaient que je n’aimais pas les courses de chevaux et que j’étais juste bon dans ce domaine », raconte Brian. « La raison pour laquelle les gens ont eu cette impression, c’est parce que je traitais cela comme un travail et que je le prenais très au sérieux… mais croyez-moi quand je dis, j’ai adoré ! »

« Je voulais réussir et je voulais aussi bien faire pour les personnes associées à chaque cheval ; il ne s’agissait pas seulement de moi. »

Alors que Sears naviguait tranquillement dans sa nouvelle vie sans conduire de chevaux, il n’a certainement pas fait face aux défis seul. Sa petite amie, Jenn Bongiorno, a été à ses côtés tout au long de ce nouveau chapitre. 

« Les courses ont été la vie de Brian depuis qu'il est enfant, donc s'éloigner de la piste était extrêmement difficile - sans aucun doute », partage Jenn. « Chacun gère les situations différemment, et pour Brian, il a estimé qu'il valait mieux s'éloigner tranquillement afin de réfléchir à tout cela. »

« Les gens ont été pris au dépourvu de ne pas avoir vu Brian revenir aux courses [en 2024] et nous avons reçu tellement de messages de toutes les personnes impliquées dans les courses à cause de cela », dit-elle. « C’est vraiment cool de voir à quel point Brian est respecté au sein de l’industrie, car il le mérite. »

« Brian n’a jamais voulu de fanfare ; il considérait vraiment le métier de conducteur comme un travail. Il savait combien d'argent et de temps chaque entraîneur, propriétaire et palefrenier investissait dans les chevaux, et tout ce qu'il voulait, c'était faire le meilleur travail possible pour eux… Il s'agissait toujours de plaire aux personnes impliquées, et jamais au sujet de lui-même. »

Ayant elle-même grandi dans l’industrie, Bongiorno comprend à quel point ce sport peut être épuisant et apprécie non seulement la décision de Sears de se retirer, mais aussi sa perspective sur la vie dans son ensemble.

« Ce métier est stressant et exige beaucoup de soi », explique Jenn. « Il n'y a pas de manuel d’instruction sur la façon de gérer le fait de s'éloigner de quelque chose que vous aimez, mais Brian commence à apprécier sa nouvelle vie… Je dirais qu'il est plutôt content de sa décision [de ne pas conduire] en ce moment. »

Ce qui est devenu le plus surprenant pour beaucoup à propos du départ des courses de Brian, ce n'était pas seulement la façon dont il l'a fait, discrètement, mais le fait qu'il était toujours l'un des meilleurs conducteurs du sport lorsqu'il s'est retiré - et le membre du Temple de la renommée croit toujours en lui-même.

« Oh, je suis sûr que je peux encore conduire à un haut niveau », déclare Brian. « Ce n’était pas ça le problème. J’ai juste pris le temps de réfléchir à tout dans son ensemble et j’ai réalisé qu’il y a plus dans la vie que simplement les courses… Je pense qu’il était temps pour moi de commencer à apprécier ce que le sport m’a apporté et d’enfin profiter des fruits de ce travail. »

« C’est drôle que vous me demandiez si je sens que je pourrais encore conduire [à un niveau élevé], parce qu’on m’a demandé de sortir de la « retraite » et de conduire l’un des trotteurs de Marcus Melander lors de la finale de la Breeders Crown [en 2024] », partage Brian. « Une chose est sûre, je pense que j'aurais fait un aussi bon travail, puisqu'il a fini par briser son allure de toute façon (rires). »

« Très sérieusement, ce ne serait pas juste pour moi de me présenter et de conduire un cheval en finale, car alors les gens essaieraient que tout tourne autour de moi, alors que cela ne devrait pas être le cas. Si vous comptez faire cela [conduire des chevaux], vous devez le faire à fond. »

« Croyez-moi quand je dis que personne n'aimerait gagner une grande course pour Marcus [Melander] et Anders [Strom] plus que moi... Ces deux-là ont été une grande partie de ma carrière de conducteur et nous avons toujours une excellente relation à ce jour... J'aurais toujours aimé que nous puissions faire équipe ensemble pour un Hambletonian. »

Pour l'instant, Sears profite simplement de quelques voyages, de la mise en forme, de nombreux bons repas et de beaucoup de golf. Il s'est abstenu de regarder trop de courses - et même s'il ne conduit pas, il a encore quelque chose à espérer dans les courses, dans un avenir rapproché.

« Je possède une part dans deux yearlings… Une pouliche par Papi Rob [Hanover] et une pouliche de Gimpanzee », partage Brian. « Elles vont se faire « casser » cet automne, alors j'attends ça avec impatience. »

Lorsqu’on lui a demandé si son implication dans le duo de pouliches déclencherait une envie de s’asseoir derrière l’une ou l’autre, il n’a pas exclu cette possibilité.

« Peut-être que je vais les qualifier, ou quelque chose comme ça », dit-il en riant. « Mais tout cela reste à déterminer. »

Quant au retour aux courses, y a-t-il une chance que nous revoyions un jour Brian Sears à nouveau sur le sulky ?

« Écoutez, il y a eu tellement de cas où les gens ont fait ce que j’ai fait [s’éloigner] et ils sont revenus. Nous l’avons vu dans le sport professionnel avec tant d’athlètes sortant de leur retraite. »

« Y a-t-il une partie de moi qui a observé le succès que les poulains de 2 ans Maryland, Marcus et Anders ont connu cette année, sachant que j'aurais peut-être pu faire partie de cette aventure, sachant ce qui m'attendrait potentiellement l'année prochaine ? Absolument. »

« Mais ensuite, je pense à tout le stress et à toute la pression qui accompagnent le pilotage de chevaux comme c’est le cas [dans les grandes courses] et je suis heureux de regarder de loin. »

« Les courses attelées m’ont tellement apporté et j’ai eu la chance de rencontrer autant de personnes que je peux appeler ‘amis pour la vie’. Un gars comme George Brennan m’a permis de me démarquer vraiment, car j’ai été en compétition contre lui depuis trente ans, à peu près à chaque étape de ma vie… à The Meadows, The Meadowlands et Yonkers. C'est un ami pour la vie. »

Il y a beaucoup de gens et de chevaux envers lesquels Sears est reconnaissant, en termes de ce qu’ils ont apporté à sa vie. Toute sa carrière a été un rêve auquel il s’accrochera pour toujours. 

« Même si j’ai été absent depuis environ un an, je ne me suis toujours pas remis de l’effervescence des vingt dernières années en matière de courses de chevaux », admet Brian. « Les « highs » sont ce qui me manque le plus, et je vais m’y accrocher aussi longtemps que possible. »

« En ce qui concerne ce prochain chapitre, je vais juste laisser une page blanche pour l'instant (rires). »

Cet article a été publié dans le numéro de mars de TROT Magazine.
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