Maman à un Million de dollars

Ce n’est pas facile de tracer sa voie vers le Temple de la Renommée des Courses de Chevaux, et ça ne devrait pas l’être. Une carrière d’un million de dollars de gains ne suffit pas à garantir la reconnaissance,

particulièrement sur une période de sept années et 142 courses. Mais qu’en est-il de la route menant à ce million? Était-ce-si différent en 1998? Par Melissa Keith / Traduction Louise Rioux

Hier comme aujourd’hui, les poulinières ambleuses courent habituellement pour de moins importantes bourses comparativement à leurs homologues masculins. Dépendant de l’endroit où elles couraient, les meilleurs jeunes ambleurs côté maternel pouvaient même se retrouver à concurrencer des poulinières plus expérimentées, ou même des mâles. Certaines, comme Tricky Tooshie, dépassent la compétition locale et éventuellement doivent être relocalisées. C’est ainsi que la fille de Rumpus Hanover-Sangria Belle s’est retrouvée sur les meilleures pistes de courses sous harnais du Canada en 1994, courant pour son tout premier entraîneur, Jean-Louis Deblois.

Linda Bédard, Registraire et Directrice des Services aux membres de Standardbred Canada décrit le départ de Tricky Tooshie du Québec : « Quand ils sont partis, c’était une mauvaise période là-bas – tout fermait, ils étaient en grève. Même lors de sa saison de trois ans, Blue Bonnets était en grève et toutes les courses importantes étaient disputées à l’Hippodrome de Québec cette année-là. »

Tricky Tooshie détient encore le plus ancien record enregistré à la défunte piste de Québec. Sa marque en 1:56 pour les poulinières ambleuses de deux ans fut réalisée le 5 septembre 1993, lors d’une course courue de la barrière au fil au Québec Sires Stakes ‘blowout’. Une seconde plus rapide que le finissant de deuxième place ce jour-là, cela marquait la 11e victoire consécutive de Tricky Tooshie et son conducteur régulier, Sylvain Fillion. Puis elle a testé les eaux en Ontario tard dans sa saison de deux ans. Sa séquence de victoires s’est finalement interrompue à 15, lors de la Filly and Mare Open à Mohawk Racetrack le 7 novembre 1993.

Cette série s’était révélée remarquable.

En 1994, le propriétaire-éleveur de Tricky Tooshie, Laurent Bergevin, ainsi que l’entraîneur/éleveur Deblois, optèrent pour débuter la saison de quatre ans de leur pupille par une couple de courses de qualification de fin d’été à Montréal. « À la fin de son année de trois ans, elle a connu un problème de genoux, » d’expliquer Bérard. « Elle a subi une intervention chirurgicale à la fin de cette année-là. » Malgré ses problèmes, Tricky Tooshies est revenue en grande force à l’âge de quatre ans, en gagnant ses deux qualifications ainsi que son premier départ en pari mutuel, tout cela à Blue Bonnets.

La date du 14 novembre 1994, est restée marquée dans les souvenirs de Bédard concernant cette remarquable poulinière. « Sheldons Fella l’a vaincue – j’en prenais soin pour Rick Zeron ce jour-là. Ce fut la dernière fois qu’elle a couru au Québec. Ce fut une course difficile ce jour-là. »

Bédard allait bientôt très bien connaître Tricky Tooshie – mais pas dès ce moment-là. Le départ suivant de la poulinière eut lieu lors d’un ‘Filly and Mare Open Handicap’ à Mohawk, où elle a été doublée dans le droit par la grande Immortality, finissant deuxième. Après 17 départs de plus sur le circuit WEG, quand l’entraîneur Deblois revint au Québec au printemps de 1995, Tricky Tooshie ne l’a pas suivi.

« Elle était le seul cheval que Deblois a eu qui pouvait courir ici, » se souvient Bédard, qui travaillait à titre d’Assistant-Entraîneur à l’écurie de Rick Zeron située à Mohawk. « Il l’a entraînée à deux et trois ans, mais alors, quand elle atteignit quatre ans, il est revenu au Québec, la laissant avec nous. Alors Rick Zeron l’entraînait et j’étais sa soigneuse. » Bien que Tricky Tooshie ne changea pas de propriétaire, presque tout son environnement a dramatiquement changé. « Ce fut difficile, » d’admettre la soigneuse. « Elle descendait du Québec Sires Stakes, Circuit Québec, mais elle était déterminée. Ce fut un grand saut. »

La relation de la poulinière avec son nouveau soigneur commença aussi par un saut dans l’inconnu de la part de Bédard. « Elle était terrible. Après que Jean-Louis l’ait laissée tomber, elle ne laisserait personne entrer dans sa stalle, alors je devais y aller avec une brouette pour m’en approcher et l’attraper. » Heureusement pour l’entourage de Tricky Tooshie, elle aimait la course. Quoique capricieuse dans l’écurie, elle était une professionnelle complète dans le paddock et en piste.

« Elle n’était pas sociable! » dit en riant l’ancien soigneur de la jument. « Elle était mon cheval. Elle me suivait partout. Je pouvais m’asseoir dans sa stalle. » Tricky Tooshie a livré des trois premières places dans 22 de ses 33 départs saisonniers à Woodbine et Mohawk à cinq ans, premièrement en gagnant la Woodbine Filly and Mare Open aux guides de son nouvel entraîneur/conducteur le 30 juin 1995. Son mille couru en 1:52.1 allait demeurer sa meilleure marque à vie, et cette saison de 1995 serait témoin de ses gains de 183 400 $.

Lorsqu’elle ne faisait pas la course qu’elle aurait voulu faire, « Tooshie» le laissait savoir aux humains qui l’entouraient » À quelques reprises, Rick la laisserait en arrière, ou si elle était emboîtée, elle se fâchait. Elle essayait de mordre les gens après la course, » dit Bédard. Un soir de victoire, « elle était toujours fière d’elle, » mais tout de même difficile. « Les gens dans l’écurie de tests disaient toujours, ‘Ohhhhhhh, voici encoreTooshie! » Elle était difficile de cette façon-là. Dans sa stalle, elle poussait les hauts cris. En piste (joggant) elle essayait de ruer de temps en temps. »

Tricky Tooshie a poursuivi au niveau de la ‘Fillies and Mares Preferred’ le reste de l’année 1995, et reprit là où elle avait laissé en 1996, une performeuse avec du cran dans les rangs des ambleurs ‘distaff’ à Woodbine/Mohawk. « J’étais là à tous les jours, » se rappelle Bédard, « Je faisais sa stalle, lui faisais faire son jogging et changeais ses bandages. Rick savait qu’elle était mon amie et le comprenait. » Les genoux et pattes de la pouliche de six ans avaient toujours été ses points sensibles, alors son soigneur leur portait une attention particulière. « Elle prenait un bain froid à tous les jours. Elle chaussait ces grosses bottes qui lui montaient jusqu’aux genoux. C’était comme un petit bain spa avec des bulles, à chaque jour. Nous lui mettions des cataplasmes aux genoux et aux sabots après chaque course. »

L’intronisée au Termple de la Renommée de 2019 allait gagner un autre montant de 171 430 $ à six ans, courant au plus haut niveau sur le circuit le plus difficile du Canada. « Le 18 juin 1996, Tricky Tooshie remporta ce que Bédard considérait comme sa meilleure performance à vie. « Le point culminant à mes yeux s’est produit à la fin de la carrière d’Ellamony, lorsque Tricky Tooshie l’a battue. Peu de pouliches ont battu Ellamony. » (Le Cheval de l’Année Canadien 1995 qui fut intronisé au Temple de la Renommée en 1998.)

Il s’avéra que Bédard n’était pas la seule à penser de la même manière, en voyant le produit du Québec de taille moyenne défier sa rivale Amazonian à Woodbine. « Ellamony était toujours la meilleure, mais ‘Toosie’ arrivait par l’extérieur, » se rappelle Bédard. « Les gens qui m’entouraient dans la ligne droite l’acclamaient! » Cinquième à l’extérieur au poteau du ¾ de mille, le meilleur rejeton de Rumpus Hanover a systématiquement fermé la porte au meneur, pour gagner par une tête en 1:53.3. »

L’élève de Zeron s’attaquait aux meilleures du pays de façon régulière, dont plusieurs étaient détentrices du titre de championnes poulinières âgées O’Brien. « Oohs N Aahs (gagnant O’Brien); Classy River Gal, propriété de Joe Stutzman, était forte; Miatross; Ellamony (gagnante en 1994 et 1995 d’un O’Brien); Shes A Great Lady (gagnante d’un O’Brien en 1996); Queens Arms – ces juments étaient fortes! » note Bédard. Jays Table – la première jument à fracasser la barrière des 1:50, et la gagnante d’un O’Brien pour le titre de Poulinière âgée de l’année de 1998 – s’ajouta au groupe en 1996. En octobre 1996, Tricky Tooshie allait s’emparer du plus gros chèque de sa carrière de poulinière âgée alors qu’elle a terminé en deuxième place derrière la bien-nommée Shes A Great Lady lors du $150,00. Milton Stakes à Mohawk.

À l’été 1997, la dévouée soigneuse entreprit officiellement l’entraînement de la jument. « Je détenais ma licence depuis longtemps, » d’expliquer la native du Québec. « J’ai travaillé pour Rick, puis j’ai eu besoin de quelque chose de différent. J’ai connu des problèmes de santé. Il avait donc eu une fille qui en prenait soin et Tricky Toosie ne répondait pas très bien. Le propriétaire me demanda si je pouvais la prendre, car il remarquait qu’elle n’était pas la même. Elle avait cessé de manger. »

Sans Prix O’Brien pour attirer l’attention sur l’incroyable carrière de Tricky Tooshie, l’entourage de la jument s’est intéressé à une autre étape : atteindre la marque du million de dollars. Une chirurgie de correction vertébrale fut recommandée lorsque des problèmes respiratoires ont surgi, menaçant de faire dérailler sa septième saison. « Quand elle devait traverser le tunnel à Woodbine, on pouvait l’entendre respirer. Les propriétaires se demandaient : ‘Procédons-nous à la chirurgie ou l’envoyons-nous à la reproduction?’ » se rappelle le nouvel entraîneur. Tricky Tooshie a subi l’intervention et ‘est revenue comme si de rien n’était’. Cinquième à ses débuts pour Bédard, la pouliche ‘Tooshie’ gagna une course de qualification par huit longueurs ouvertes le 25 octobre. Le lendemain de Noël 1997, une « Toosie » prise à la légère, enflamma le tableau indicateur de Woodbine avec une victoire dans la ‘Fillies and Mares Open’ pour le compte de Chris Christoforou à 24/1.

En 1998, la marque du million de dollars était proche d’être atteinte. Mais les problèmes persistants d’endolorissement de Tricky Tooshie s’embrasaient, rendant la tâche de Bédard d’autant plus compliquée. « C’était beaucoup de travail de la garder en forme. Lors de son avant-dernier départ, nous avons dû la retirer. Je l’ai sortie de la boîte parce qu’elle avait trop de mal pour courir. Elle a passé du temps dans la stalle. Je voulais qu’elle atteigne le niveau du million de dollars de gains, mais je ne voulais pas non plus la blesser. Quand je l’ai joggée le lundi matin, elle n’était pas si mal. » Puis arriva une fissure au mauvais moment. Cela semblait signifier un nouveau retrait pour la pouliche très enjouée, faisant en sorte qu’elle ne pouvait atteindre les gains dans les sept chiffres.

Le 20 mars 1998, l’élève de Bédard, s’emmena sur la piste de Woodbine; son entourage espérait que la course serait un tour de victoire concluant, bien qu’elle ne soit pas la favorite. « Pour sa dernière course, je voulais que Rick Zeron la mène. Il accepta, » dit le quatrième et dernier entraîneur de la pouliche. Il n’y aurait aucune rivalité entre eux dans la tentative de Tricky Tooshies de dépasser le chiffre magique du million de dollars.

À la demi-course, c’était terminé.Tricky Tooshie et Zeron prirent la tête et n’ont jamais capitulé, traversant le fil d’arrivée seul en 1:54.2. La fille de Rumpus Hanover issue de la poulinière Tijuana Taxi devint ainsi la première millionnaire de lignée canadienne, récompensant ainsi ses supporteurs et ses bailleurs de fonds. La vraiment très belle ambleuse possédait un avantage invisible excepté lorsqu’elle était en compétition, » dit Bédard. D’autres plus grosses poulinières peuvent posséder la vitesse, mais elles manquent de volonté. »

Et c’est ce qui fait la grandeur d’un cheval de course. La volonté – le sens mémorable de la concentration qui a fait en sorte que Tricky Tooshie s’est retrouvée non seulement une fois candidate au Temple de la Renommée, mais trois fois, soit en 2016, 2017 et 2019. Comme sa concurrence l’a appris au cours des ans, « Tooshie» avait tendance à se coller à la victoire. De ses 142 départs à vie, elle a réussi à se classer dans les trois premières places à 97 reprises. « Elle a couru contre quelques gros noms de ces temps-là, » de faire remarquer Bédard. « Maintenant je sais qu’un million de dollars n’est pas tant que cela, mais en ces temps-là, elle devait travailler pour cela. Elle fut la première jument de géniteur canadien à franchir un million de dollars. C’est vraiment impressionnant. »

Bédard s’est remémoré son dernier au revoir à la nouvelle millionnaire. « Même le jour où je l’ai laissée à Montréal, elle m’a regardée… Je suis retournée la voir environ six mois plus tard. Les poulinières étaient toutes dans le champ du propriétaire de la piste d’entraînement. Je l’ai appelée – ‘Mommy’ – elles étaient assez loin, mais elle est venue vers moi. »

Acquise par Hanover Shoe Farms en 1999, Tricky Tooshie a une progéniture qui a généré plus de 3,1 millions de dollars de gains. Son plus riche est True North Hanover (732 912 $), alors que son plus rapide est Major Uptrend (1.49f. Elle a donné naissance à son 13e et dernier poulain, Techino Hanover, en 2015, et elle est maintenant en pension à la légendaire ferme de Pennsylvanie. Bédard espère enfin lui rendre visite cet été.

Et si l’industrie des courses au Québec n’avait pas connu une sinistre fin, au moment où une précoce poulinière prenait goût à la victoire? « Je pense qu’ils l’auraient probablement gardée au Québec, » dit Bédard, songeuse. « Et je ne serais probablement pas déménagée ici avec Rick, si les courses y avaient été bonnes. J’ai décidé de le suivre. »

Mais en toute fin, le déménagement vers l’Ontario a fait que Linda et « Tooshie » se sont rencontrées – comme si c’était prédestiné. C’est peut-être un long parcours vers le million de dollars, mais cela a été réalisé par une poulinière rusée avec un ‘tooshie’ toujours prêt pour le prochain départ.

Cet article a été publié dans le numéro de juin de TROT Magazine.
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