LE VÉTÉRAN HOMME DE CHEVAUX BILL GALE, EST À bord d’un avion à réaction, nerveux au seul fait d’être en vol de Détroit vers Washington, D.C. Il se rend à Cherry Hill, New Jersey pour participer à la Breeders Crown de 1986, laquelle se disputera au Garden State Park, et il se sent nerveux.
By Perry Lefko / Traduction Louise Rioux
Non pas du fait de mener dans la course Crown pour la première fois, bien que cela lui trotte certainement dans la tête. C’est plutôt d’être à bord d’un avion commercial. Être passager d’un avion volant à 30 000 mille pieds d’altitude lui cause considérablement plus d’anxiété que d’être dans un sulky à mener des chevaux à grande vitesse et à naviguer à travers des quartiers serrés. Au moins il peut contrôler cela, mais être passager d’un gros avion lui fait sentir qu’il n’est pas en situation de contrôle. Les petits avions ne l’effraient pas parce qu’il en a une meilleure compréhension, mais il devient un usager terrifié lorsqu’il vole sur ces gros oiseaux. Il ne connaîtra le soulagement que lorsque l’avion aura atterri en toute sécurité, alors qu’il pourra focaliser sur ce qui sera pour lui un moment historique de sa carrière.
Natif de Toronto, il est âgé de 38 ans, et c’est une vedette au Windsor Raceway; il a été engagé par l’entraîneur Bob McIntosh pour mener Sunset Warrior dans l’amble des poulains de deux ans, et qui fait aussi ses débuts à la Crown. C’est la troisième année de l’événement, mais ce sera la première fois que quatre courses de championnat différentes seront présentées au même endroit, et GSP qui ressemble à un château avec toutes ses structures, y joue le rôle d’hôte fier. Gale est décontenancé par tout cela, n’étant jamais allé sur un ovale aussi opulent auparavant, ni McIntosh non plus. La direction de la piste a promu l’événement, ce qui a attiré une foule énorme d’amateurs de courses ainsi qu’une attention médiatique considérable, y compris ESPN, qui télévisera en direct toutes les courses. C’est toute une affaire pour le sport et, en particulier, pour Gale.
Sa course a entraîné un nombre suffisant d’inscriptions pour nécessiter une division élimination, de laquelle les meilleurs de chacun des 10 pelotons passeront à la finale, pour une bourse de 614 700 $. Sunset Warrior, issu de Sundance Skipper et de la poulinière Miss Volstadt, est d’un élevage domestique propriété de Joe Gerrity, qui, avec son épouse Phyllis, participent aux courses sous le nom de ‘Little Farm’, basée à Loutonville, New York. C’est par l’entremise d’une connaissance mutuelle, soit l’écrivain sur les courses de chevaux, Jay Bergman, que le poulain a été envoyé à McIntosh. C’est tout de suite devenu évident que le poulain avait de la rapidité ainsi qu’une bonne attitude. Après six semaines d’entraînement, McIntosh en acheta une participation de 25 pourcent de Gerrity.
McIntosh entre dans la course avec un cheval ayant peu couru. Sunset Warrior ne compte que six départs, dont quatre victoires. Une semaine avant de gagner 88 830 $ dans une épreuve du New York Sires Stakes, il a été en tête durant tout le parcours pour finir par trois longueurs d’avance. Mais il ne retient pas beaucoup d’attention de la part des médias. Ils n’en ont que pour Redskin. Ce dernier a gagné 10 de ses 20 départs et jouit d’une séquence de cinq victoires d’affilée, y compris la Governor’s Cup, dotée d’une bourse de plus de 1,5 M $, courue trois semaines auparavant au Garden Stake Park. Il était mené par Bill O’Donnell – le Magic Man – qui a remporté beaucoup de succès depuis les débuts de la Breeders Crown en 1984. Avec Jate (The Great) Lobell, invaincu en 15 départs, inadmissible à la Breeders Crown parce que non mis en nomination, on s’attend à ce que la soirée soit facile pour Redskin, qui est à la poursuite du record du plus gros montant d’argent gagné par Nihilator en une seule saison par un ambleur de deux ans. Redskin est élevé et est la propriété de Jerry Smith, qui, avec sa femme et ses deux filles, gère une petite écurie familiale au Michigan. C’est littéralement une opération familiale alors ce serait une histoire fascinante s’ils devaient gagner avec leur protégé. Gale a mené contre des chevaux de grande renommée, mais le battage publicitaire a été à la hausse ce soir à cause de la course et de l’argent. Dans la chambre des conducteurs, Gale regarde la couverture faite par ESPN, et peu de choses se disent au sujet de Sunset Warrior.
Gale est quelque peu intimidé par l’atmosphère, mais il a l’expérience des grandes courses. Il a été chaudement accueilli dans la chambre des conducteurs, et bienvenu par plusieurs des conducteurs, dont parmi eux, quelques-uns qu’il ne connaît pas n’ayant jamais couru contre eux. C’est la fraternité des hommes de chevaux qui sont tous là pour vaincre tous et chacun en piste, mais à l’intérieur de la chambre, ils sont amicaux et apprécient leur compagnie, quelques-uns écoulant le temps en jouant aux cartes. Gale a eu l’occasion de se mesurer à des conducteurs de renom sur diverses pistes nord-américaines au cours de sa carrière qui s’échelonne sur deux décennies. Le Canada a engendré plusieurs des nombreuses grandes vedettes – O’Donnell, John Campbell, Michel Lachance, Ron Waples et Buddy Gilmour – pour n’en nommer que quelques-uns. Gale a commencé à se faire un nom comme étant le plus récent Canadien à percer. Mais c’est une tout autre histoire de le faire dans la région Windsor/Détroit; et c’en est une autre de le faire dans la Breeders Crown, où des réputations peuvent se faire – bonnes ou mauvaises – lors d’une course d’une durée de moins de deux minutes.
McIntosh, une autre étoile montante sur la scène de Windsor, remet les rênes à Gale pour la course éliminatoire lui disant que le cheval s’est bien réchauffé et qu’il est prêt à l’action. McIntosh offre peu d’instructions avant la course éliminatoire – il parle rarement de stratégie aux conducteurs – et tout repose entre les mains de Gale. Gale a conduit le poulain lors de ses deux dernières courses et il a été impressionné. Sunset Warrior participe à la même éliminatoire que Redskin, et l’objectif est tout simplement de faire assez bien pour se qualifier pour la finale.
Gale a la trouille d’avant course, ce qui est normal, mais elle s’en va quand il est en piste et qu’il se concentre sur la tâche à accomplir, préparant son cheval et jetant un coup d’œil aux autres pour voir s’il ne pourrait pas déceler quelque chose. Mentalement, cela ressemble à une qualification en matinée, bien que l’enjeu est considérablement plus important; beaucoup, beaucoup plus important. Sunset Warrior a tiré la septième position dans un peloton en comptant 10 et est donc considéré comme négligé par les parieurs, se présentant à la barrière avec une cote de plus de 17-1. Gale sait qu’il a en mains un cheval maniable et relaxe, capable de mener ou de revenir de l’arrière, et au départ de la barrière il décide de le ramener vers l’arrière. Il n’en demande pas beaucoup à Sunset Warrior pour la première demie de la course, lui permettant seulement de trouver sa foulée, mais après trois quarts de mille, Sunset Warrior se met en marche, partant de la septième position doublant les chevaux un à un. Au haut du droit, Sunset Warrior est quatrième à 6½ longueurs. Il ouvre la machine en voie vers une troisième position par trois longueurs marquant un quart final en 27 et des poussières – et il a fait cela sans que Gale ne bouge ses mains ni n’intervienne.
Redskin, qui avait tiré la position près de la rampe, menait après trois quarts de mille et se dirigeait vers une victoire par une longueur et demie, arrêtant le chronomètre à 1:56 1/5 pour satisfaire les parieurs qui l’avaient joué à 1-5.
À l’approche de la finale, les gagnants des deux courses, Maximilion Hanover, qui avait été placé premier lors de son épreuve à cause du bris d’allure de Track Robbery tout près du fil, et Redskin se verront attribuer la rampe ou le deuxième chemin après un tirage. Redskin tire la position intérieure, ce qui à la base, permettra à O’Donnell de déterminer s’il veut s’emparer de la tête et jouer à attrape-moi si tu le peux ou s’installer au milieu. Sunset Warrior a tiré la quatrième position ce qui fait le bonheur de Gale. Il aime ses chances, ayant en mains, un cheval en bonne forme, frais et sain.
Comme les chevaux se dirigent vers la barrière, Sunset Warrior occupe la deuxième place des paris tout juste sous la cote 6-1. Les parieurs affranchis aiment la façon dont il a terminé et ce qui lui restait, mais Redskin est toujours le favori avec une cote de 3-10. À l’opposé de la course éliminatoire, Gale veut que son cheval soit plus près de la tête. Il part de façon énergique du milieu du peloton et se retrouve en quatrième chemin en entrant dans le premier tournant. Maximilion Hanover conduit par Dale Insko et partant de la deuxième position, détient la tête après un premier quart de mille couru en 28 secondes pile. Gale range son cheval en deuxième à 21/4 longueurs derrière, optant pour une stratégie conservatrice plutôt que de céder l’espace pour prendre la tête. Savage Breeze est lancé vers la tête par Ben Webster, et est en tête aux trois huitièmes de mille mais Gale décide de sortir de sa troisième place pour doubler les deux premiers et prendre la première place par une longueur et demie après un demi mille en 56 3/5. Gale coure à grandes foulées faciles et atteint le poteau du trois quarts de mille en 1:26 4/5, maintenant une vitesse tranquille en 30 1/5 pour prendre la tête du peloton par une longueur et quart.
En tournant pour l’arrivée, il jette un regard à sa droite, s’attendant à voir Redskin, que O’Donnell a sorti de près de la rampe et qui monte en troisième chemin. Sunset Warrior, qui n’a toujours pas été sollicité, mène par une longueur d’avance à l’entrée de la ligne droite, mais Redskin gagne du terrain. Gale frotte oreilles du poulain, ce qu’il n’a pas fait en éliminatoire, et Sunset Warrier y répond bien, puis il commence à fouetter le cheval avec son fouet à sa droite. Gale n’appartient pas à cette race de conducteurs qui sentent le besoin de fouetter durement les chevaux, laissant même une ou deux marques sur les flancs. C’est ce qu’il a appris de son ancien patron, Morris MacDonald, un homme de chevaux de Strathroy, Ontario, qui croyait que si vous devez fouetter un cheval à plus de trois reprises, il vaut mieux le jeter parce vous ne faites rien de bon ni pour vous ni pour le cheval. Gale a toujours gardé cela en tête, mais cette situation appelle ce genre de geste de dernier recours, quand une bourse de presque 700 000 $ est en jeu et n’est qu’à un huitième de mille d’accès.
Sunset Warrior est intraitable quant à céder à Redskin et gagne par trois quarts de longueur, terminant le quart final en 28 4/5, enregistrant un record de vitesse de 1:55 3/5. Gale est heureux, mais il n’agite pas son fouet pour épater la galerie. Ce n’est tout simplement pas son genre. O’Donnell, cet homme de chevaux de grande classe et aussi un ami de Gale, le félicite sur sa victoire. C’est tout un exploit pour les courses canadiennes, en particulier pour les hommes de chevaux autour de la région de Windsor, que de gagner l’une des plus grosses épreuves des États-Unis. Le cercle du vainqueur est rempli de gens des médias et de l’entourage. McIntosh salue Gale et dit, « Félicitations, Jock, nous avons fait le travail. » Il appelle les conducteurs Jock, une chose qu’il a apprise de Buddy Gilmour, qui conduisait dans la course et qui a fini cinquième aux guides de Meadowbranch Bret. L’épouse de Gale, Janice, qui l’avait accompagné, lui fait une énorme accolade et le félicite. C’est un moment émouvant pour tous, Gale et McIntosh sont immédiatement emmenés à la salle de presse pour parler aux médias, et pour s’y rendre, il faut prendre un ascenseur. Ils portent encore leurs couleurs.
Gale et McIntosh passent la nuit car il était impossible de prendre un avion le même soir, et ils célèbrent au party donné à l’intention des hommes de chevaux. La boisson coule à flots, et Gale, McIntosh et autres hommes de chevaux canadiens sont les derniers à partir – comme à l’habitude. Le matin suivant, Gale et McIntosh encore sous l’effet de la beuverie, doivent se préparer pour leur vol vers Détroit, et ces sentiments d’anxiété réapparaissent. À l’approche de l’atterrissage, alors que Gale accueille avec soulagement le bruit des roues touchant la piste, le pilote exécute un changement rapide et effectue une remontée de l’appareil. Environ 30 secondes après, le pilote annonce qu’il a dû changer les plans parce qu’il y avait un autre avion sur le tarmac. C’est un moment de l’envolée dont Gale se souviendra à jamais.
À son arrivée à la maison, Jason, le fils de Gale, 12 ans, et sa fille, Jennifer, 10 ans, l’accueillent et le félicitent pour sa victoire. Ils ne s’intéressent pas tellement aux courses de chevaux, mais ils sont fiers de leur père.
Quelques jours après sa victoire, le sentiment d’avoir gagné la plus grosse course de sa carrière frappe Gale de plein fouet dans une montée d’énergie et de satisfaction, qu’il peut savourer. Gale avait plané sous le radar, pour ainsi dire, en route vers la Breeders Crown, mais comme un avion, sa carrière a soudain décollé et cela lui réchauffe le cœur. Vraiment.