Grey Gladiator arrive à Montréal

Nous sommes le 8 octobre 2006; il fait 18 degrés Celsius, et la foule présente à l’Hippodrome de Montréal attend avec impatience la course vedette de la journée, le « Rendez-vous des champions », doté d’une bourse de 75 000 $, pour ambleurs âgés, y compris l’étonnant Admirals Express. Connu sous le vocable de « Cheval du peuple », Admiral est âgé de 10 ans et les limites quant à ce qu’il a accompli semblent sans fin. Il est le ‘Grey Gladiator’, bien que la couleur de sa robe soit passée au blanc depuis longtemps; il demeure le guerrier qu’il a toujours été et bien que grisonnant suite à nombreuses luttes, il est toujours aussi courageux. Aujourd’hui, il course pour la toute première fois à Montréal et une victoire lui permettrait de surpasser les 2 M $ de gains en carrière.

Story by Perry Lefko / Traduction Louise Rioux

L’année précédente, les électeurs pour l’attribution des O’Brien Awards, avaient choisi Admiral à titre de Cheval canadien de l’année ainsi que l’Ambleur âgé/hongre. Il avait gagné 17 courses – toutes des courses Open – en 40 départs pour ne manquer le tableau qu’à seulement trois reprises, pour des gains de 409 882 $. Il avait également établi une marque en carrière de 1:48.2 en cours de processus. La nouvelle plage de vitesse est venue en juin à Woodbine, alors qu’Admiral, toujours aussi courageux, s’est vite emparé de la tête après être parti le plus loin, soit à la septième position d’un peloton de sept, et a défié le challenge d’un adversaire qui était devant lui à l’entrée du dernier droit mais qui n’a pu repousser le coeur d’un cheval refusant de perdre. Il était favori à 12-1. « Grey Gladiator les domine encore par un extraordinairement brave effort, » s’exclame l’annonceur maison, Frank Salive, pour marquer le moment.

L’Admiral était dans l’état d’esprit d’un cheval plus jeune ce jour-là. Il avait neuf ans mais l’énergie et l’enthousiasme d’un cheval de la moitié de son âge. Il égala le record de piste de 1:49 à Mohawk cette saison-là, coursant à la position de tête à partir de la neuvième position de départ.

Voilà ce qui a fait que des légions de partisans aimaient Admirals Express et ils se massaient régulièrement le long des clôtures des pistes afin de le voir sur le circuit ontarien. Il est venu tard du Michigan à ses trois ans et personne n’aurait pu imaginer cela. Comment l’auriez-vous pu? Il était issu de l’élevage du Michigan, de lignées des plus modestes et avait été acheté comme yearling pour la modique somme de 3 700 $. Qu’il ait pu atteindre une telle intensité ressemble à ces films hollywoodiens à la facture tellement dramatique que cela semble trop beau pour être vrai. Mais c’était la réalité et en cette soirée d’automne à Montréal, ce n’était pas encore fini.

Certainement pas.

Admiral est sur le point de s’aligner pour sa 282e course, à la conquête de sa 74e victoire. Une victoire à tous les quatre parcours au fil, c’est bon, peu importe où cela s’est réalisé, mais encore plus lorsque la compétition se fait contre certains des meilleurs ambleurs âgés au monde. Il a au moins gagné une course sous les 1:50 à chacune des quatre dernières années. Certains diraient que c’est un phénomène parce que rien n’annonçait qu’il pourrait arriver à ces résultats, se mesurant constamment aux meilleurs des meilleurs de la brigade de ces ambleurs âgés, année après année.

Admiral est ce cheval parmi un million – ou dans son cas, parmi près de deux millions. Il est le présent qui ne cesse de donner, soit l’équivalent d’un billet de loterie, et il aime courser, semaine après semaine.

Ses propriétaires, Gary et Laurel Gust ainsi que Cheryl et Ed Sayfie, l’avaient envoyé outre frontière à la fin de sa deuxième année, pour qu’il tente sa chance sur de plus grandes pistes en Ontario où ce fils de grande taille et costaud d’Admirals Galley pourrait s’allonger les jambes sur de longues lignes droites. Il avait coursé de façon décente dans son État natal, mais rien qui ne se compare à ce qui ferait de lui une légende dans un autre pays. Le tout a vraiment commencé lors d’une course en particulier, une division du Toronto Pace à Mohawk le 12 février 2000. Il s’agissait de son huitième départ en Ontario et il lui fallait encore y visiter le cercle du vainqueur. Mais ce soir-là, il a inscrit une victoire avec une cote de 77-1, défaisant le puissant Dragon Again et collectant 20 000 $, de loin son meilleur jour de paie à cette étape de sa carrière. Mais ce n’était qu’un exemple de la qualité de l’étoile qui s’annonçait. Il allait poursuivre, battant le Cheval de l’année de 2000, Gallo Blue Chip et le Cheval de l’année 2002, Real Desire durant sa carrière et se tailler une réputation par son attitude de « refus de perdre ». Même aux jours où il affichait une défaite, ce n’était jamais sans avoir essayé.

Avance accélérée pour nous amener à cette journée, l’une des plus particulièrement significatives pour ses propriétaires, son entraîneur Mike Hales et sa palefrenière Lacey Beer, qui en sont à leur première expérience de course à Montréal. Admiral les amenant avec lui sur le voyage d’une vie, émerveillant tout le monde par son incroyable habileté et son implacable volonté. À cet âge, il ne leur doit rien, tout est un boni. Admiral a depuis fort longtemps dépassé leurs attentes.

Ce pourrait-il que ce ne soit qu’un rêve ?

Les Gust ne sont pas présents, Gary étant occupé par son entreprise de construction, mais leurs partenaires y sont. Ed, qui est propriétaire d’une boîte de nuit et d’immeubles à logements, ainsi que Cheryl, designer d’intérieur, en ont profité pour s’offrir une petite vacance pour voir Admiral. Ils sont arrivés du Michigan par avion quelques jours avant la course et en ont exploré les sites et la culture de cette belle ville. Ils ont un plaisir fou. Ed est aussi dans l’industrie des courses depuis 1974 et aujourd’hui, trente-deux ans plus tard, sa femme et lui profitent d’un moment bien spécial. Et bien, quand vous êtes propriétaire d’Admiral, la vie est plutôt belle.

Quelques heures plus tôt, Cheryl a assisté à la messe à l’historique Basilique Notre-Dame, l’un des nombreux points d’intérêt du Vieux-Montréal. Ed est resté au motel analysant le programme, qui est écrit en français. La cote matinale d’Admiral est à 9-2. Il n’a pas gagné lors de ses huit dernières courses, c’est-à-dire depuis le 15 juillet à Mohawk, alors qu’il a croisé le fil dans une course ‘Open’ dotée d’une bourse de 45 000 $. Il s’en est allé en avant ce soir-là, dans un peloton de six chevaux, coté à 3-5 et gagnant par trois quarts de longueur.

Un mois avant, quand les Sayfie et Gust ont reçu l’invitation de participer à la course à Montréal, ils ont réfléchi sur la possibilité ou non d’inscrire Admiral dans cette lutte, considérant qu’il avait atteint sa limite et qu’il lui restait bien peu à offrir. Pour une quelconque raison, il ne coursait pas bien à l’extérieur de sa piste domiciliaire, mais la décision d’y aller avait été prise. Encore une fois, il reviendra au vétéran grisonnant de faire ses preuves.

À leur arrivée à l’hippodrome, les Sayfie reçoivent un traitement royal de bienvenue de la part de la direction de la piste, qui offre une réception à tous les propriétaires participant à la course. C’est une énorme journée de course à l’hippodrome, mais Admiral pourrait-il faire en sorte qu’elle en soit une beaucoup plus particulière encore? Nous verrrons.

La course avait attiré quelques partants de qualité, aucun par contre, n’ayant les antécédents ou détenant les records de course d’Admiral. Stonebridge Galaxy, entraîné et mené par Rick Zeron, est le favori de la cote matinale à 5-2 et Whosurboy est le deuxième choix à 3-1 pour le compte de l’entraîneur Mark Ford.

Pour se calmer les nerfs, les Safie rendent visite à Admiral dans le paddock. Ils jasent avec Mike et le conducteur d’office Paul MacDonell, qui a mené dans quelques-unes des plus grosses courses au monde, et Cheryl caresse le gros cheval sur la tête et lui embrasse le nez, dans la continuation d’une tradition établie avec lui il y a bien longtemps. Elle lui fait ensuite son petit discours d’encouragement qui va en ces termes : « sois prudent et fais ce que tu sais le mieux faire. »

Une fois la course lancée, tout reposera entre les mains de Paul. Il a confiance en Admiral, se disant qu’il appréciera la large piste. Debout dans sa stalle de paddock, Admiral a penché la tête vers l’avant tandis qu’il est retenu par les traverses, rempli de lui-même et impatient de partir. Comme s’il disait « allons-y. Allons nous amuser. »

Il a l’air d’un champion, un air qu’il a développé au fil des ans, coursant et se mesurant aux meilleurs, pour bien souvent les dominer. Il est arrivé une journée à l’avance, s’installant comme un bon vieux cheval, profitant de la chaude température, qui a l’effet d’un liniment apaisant sur ses vieux os.

Admiral a la mentalité d’un reproducteur pouvant s’emparer de ses dresseurs s’ils ne le tiennent pas solidement. Lacey le sait très bien puisqu’elle en prend soin depuis plusieurs années déjà. Faisant plus de 16 mains de haut et pesant environ 1 200 livres, il a le gabarit au soutien de sa grande réputation.

Lacey amène Admiral vers la grande tribune où tous les chevaux sont sur le point d’être présentés en grandes pompes; et durant tout ce temps, le grisonnant veut seulement partir. Dès que Lacey relâche sa poigne sur lui, pour Admiral, les présentations sont terminées, il se détache et commence ses dernières allures.

La course est sur le point de commencer et la foule semble pressentir qu’elle pourrait être témoin de l’histoire. Paul a très souvent conduit le cheval pour savoir que Admiral aime être en tête ou très près. C’est sa grande force, ce qui lui a le mieux convenu durant toute sa carrière. Dès que la barrière se replie, Paul presse Admiral, qui sprinte vers l’avant au milieu de la piste se trouvant au premier quart, à mener par trois-quarts de longueur en 26 secondes rapides. Se dirigeant vers la mi-course, Zooka s’amène aux guides du futé conducteur Mario Baillargeon. Paul exhorte le vieux cheval par petits coups sur les rênes et Admiral refuse de se laisser doubler, alors Baillargeon décide de ne pas insister mais d’attendre un peu plus longtemps avant de faire une manoeuvre plus audacieuse. Admiral est en tête à mi-course par une longueur et quart courue en 54.1 et Zooka est toujours à l’extérieur sans aucun autre cheval devant lui. Les Sayfie regardent avec inquiétude parce qu’Admiral a tendance à flâner lorsqu’il mène et les fractions sont torrides. Cheryl crie « tiens bon, tiens bon. » Mais Admiral ne semble pas se fatiguer ou être contraint à trop d’effort, contrairement à d’autres chevaux qui semblent commencer à faiblir. Lacey sait que si les autres chevaux n’ont pas été capables de passer Admiral à ce point-ci, il faudra un miracle pour qu’il perde. C’est une de ces journées où il pourrait laisser un compétiteur le regarder dans les yeux et de manière cavalière lui démontrer qui est le patron.

Admiral maintient sa position de tête par trois-quarts de longueur après trois-quarts de mille courus en 1:22.3. À l’approche du dernier droit, Baillargeon tente encore sa manœuvre avec Zooka. L’annonceur dit « ils devront vaincre Grey Gladiator, » qui est maintenant sollicité par le fouet du droitier, Paul. Zooka se rapproche, mais il ne peut battre Admiral, se résignant à la deuxième position.

« Grey Gladiator a encore réussi, » dit l’annonceur au moment où Admirals Express franchit le fil d’arrivée, gagnant par trois-quarts de longueur en 1:50.3, courant le dernier quart de mille en :28. Il aime tout simplement gagner, et en dépit de sa récente séquence de défaites, Admiral démontre qu’il n’est pas prêt pour la retraite. Pas du tout, pas aujourd’hui. C’est comme s’il en faisait la déclaration, la proclamation. Et il a payé à ses fidèles partisans un retour de 16,60 S.

Grey Gladiator est le dernier surperformant et l’ovation est prodigieuse, digne d’un champion dans la course des champions. On lui remet une belle couverture pour commémorer l’occasion, mais, comme à son habitude, il est inconfortable devant toute cette attention et la foule qui l’entoure. Le sulky essaie par deux fois de se renverser, et Mike regarde Lacey dans un haussement d’épaules familier. Voici Admiral. Vous avez environ cinq secondes pour prendre la photographie et après, attention.

En se dirigeant vers l’écurie de tests, Admiral est presque arrivé à la fin de sa journée de travail. Il a accompli son travail. Encore. Il n’aura que quelques jours pour se reposer et puis, à la prochaine course.

Il y a toujours une autre foule attendant de voir le Cheval du peuple.

Have something to say about this? Log in or create an account to post a comment.