C’était cela, le Windsor Raceway

Imaginez un hippodrome trépidant d’affaires et d’énergie. La grande tribune est remplie, les guichets de pari sont occupés, les hommes de chevaux et les chevaux sont des vedettes et à n’importe quel jour, il vous serait possible de voir une célébrité hollywoodienne dans la foule.

Par Perry Lefko / Traduction Louise Rioux

Maintenant, imaginez ce même endroit en ville fantôme désertée.

L’hippodrome Windsor Raceway, jadis le carrefour des courses attelées des grandes ligues et l’un des plus dominants d’Amérique du Nord, semble voué à une triste, bien triste fin.

Le vendredi 4 mai, quelques jours après la conclusion des courses en direct au Windsor Raceway, l’administration de l’hippodrome a émis un communiqué de presse annonçant son projet de cesser ses opérations le 31 août. Cette annonce a été reçue comme un coup de poignard au cœur des hommes de chevaux, déjà assommés par l’avis du gouvernement provincial à l’effet qu’il allait cesser son partenariat avec les hippodromes en retirant ses machines à sous des 17 hippodromes partenaires ontariens au 31 mars 2013. Peu de temps après, la province a décidé de retirer les machines à sous des hippodromes de Windsor, Fort Erie et Sarnia à compter du 30 avril 2012, s’engageant à verser aux hippodromes et leurs hommes de chevaux, leur 10% de commission respectif sur les recettes des machines à sous, pour un total se chiffrant à entre 3,5 M $ à 4 M $ pièce. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il n’y a plus de machines à sous à Windsor non plus qu’aucune garantie qu’il y aura une autre réunion de courses. Et de penser que jadis, cet hippodrome était l’endroit où il fallait être vu pour les courses de chevaux du sud-ouest de l’Ontario.

Construit par un groupe de gens parmi lesquels Al Siegel, propriétaire du Elmwood Casino (salle de spectacle de style Las Vegas en ville, bien qu’il s’agisse d’une fausse appellation du fait qu’il n’y avait pas de jeux de hasard), Windsor Raceway ouvrit ses portes le 22 octobre 1965. C’est arrivé durant une période de forte croissance de l’industrie des courses en Ontario, particulièrement du côté des standardbreds, grâce aux hippodromes qui parsemaient le paysage telles des fleurs en bourgeons qui éclosaient. Mais celle-ci se voulait une piste qui se distinguerait de toutes les autres de la région, tant pour les hommes de chevaux que pour les parieurs. C’était La Mecque, le palais, aussi opulent en arrière qu’en avant. Tels sont les mots que l’entraîneur Bob McIntosh, membre du Temple de la renommée, a utilisés : un haut lieu.

Il mettait en évidence une surface de course construite dans les règles de l’art et pour tous les climats, ce qui a permis l’introduction de courses hivernales n’étant pas affectées par une météo défavorable, et un ovale de cinq huitièmes de mille favorisant des temps très rapides et faisant bondir les parieurs de leur siège. Une foule de 5 136 personnes assistait à l’inauguration, tel qu’annoncé, et ce jour a vu un cheval du nom de Castle Direct, conduit pas Fred Roloson, franchir le premier, le fil d’arrivée. Le programme offrait neuf courses pour une cagnotte de 194 204 $, une vraie bonne d’affaire pour cette journée.

Windsor est devenue l’exploitation de course la plus éminente, proche du circuit Greenwood/Mohawk, présentant des courses à partir d’octobre jusqu’à avril lors de ses 29 premières années d’exploitation. Pour son trentième anniversaire, Windsor a présenté des courses l’année durant. Un dimanche typique des années ’80, la cagnotte pouvait facilement dépasser 1 M $.

En guise de boni additionnel au cours des quelques premières années du règne Siegel, l’hippodrome, de façon coutumière, attirait des célébrités telles que Sophie Tucker, Frankie Laine et le Will Mastin Trio mettant en vedette Sammy Davis Jr, l’un et l’autre pouvant être en spectacle au Elmwood mais qui se faisait conduire par un chauffeur à l’hippodrome pour se présenter à l’antenne du réseau maison de la télévision et faire la promotion croisée de leur spectacle. Siegel, le président et directeur général, était très versé en marketing et promotion, et la production télévisuelle était des années avant son temps. Les clients ne s’opposaient pas à payer pour le stationnement ou des sièges, y compris un prix plus élevé pour aller au clubhouse, vu tout ce qui y était offert.

« C’était le seul sport en ville, et les gens y venaient en foules, » se rappelle Marty Adler, l’annonceur maison par intermittence depuis 1969. « Il y avait des placiers pour vous conduire à votre siège et d’autres pour vérifier si vous déteniez un billet pour occuper un siège. C’en était rendu au point où tout était un boni à l’hippodrome et c’était un endroit des plus excitants où aller – c’était l’endroit où courser. Les hommes de chevaux voulaient y courir… ils y étaient bien traités. Toutes les écuries étaient chauffées. Il y avait un très bon service de cafétéria. C’était un pur plaisir que d’être à l’hippodrome. Si vous occupiez une stalle à Windsor Raceway, vous n’aviez pas à quitter les terrains. Tout était là pour vous – les forgerons, vétérinaires, la nourriture. Dans les années qui ont suivi, ils ont installé un dortoir pour quelques-uns des palefreniers. C’était une petite communauté en soi. »

« Cet endroit était tellement fascinant, » se remémore l’entraîneur Bob McIntosh. « Al Siegel savait traiter ses clients. Il oeuvrait dans le divertissement. Le service était de première classe, la nourriture était de première classe. Il prenait grand soin des gros joueurs de même que des reporters. Il a fait du très bon travail en tant que gestionnaire de cet aspect tandis que ses partenaires faisaient de même sur l’autre.

« C’étaient des installations nouvellement construites et de façon efficiente pour les hommes de chevaux, » ajoute John Campbell, qui garde de très bons souvenirs de Windsor et de son enfance passée près d’Ailsa Craig. « J’étais vraiment étonné par tout cela – le paddock, les écuries, la cafétéria… bâtis en gardant à l’esprit les hommes de chevaux. Même enfant, j’étais fasciné par cette partie, et les grands programmes de course qu’on y présentait. Ils attiraient les hommes de chevaux de partout, l’Ontario, le Michigan, l’Ohio et l’Illinois. Il y avait un croisement des chevaux, des hommes de chevaux et tout s’harmonisait pour un grand programme de courses, quand vous teniez tout cela en compte, il y avait Joe DeFrank qui composait le programme de courses. Ce fut tout un circuit, et durant plusieurs, plusieurs années. »

DeFrank, que les gens définissaient comme le parrain des secrétaires de course, s’en est allé des années plus tard à Meadowlands où il a contribué à sa transformation en un endroit des plus grandioses de son temps.

Windsor présentait sa course signature en soirée, The Provincial Cup, destinée à ses débuts, à une course pour ambleurs âgés. Elle fut présentée plus tard en après-midi pour les ambleurs de trois ans. Dès le début, ce fut un grand événement.The Pace offrait une bourse initiale de 15 000 $ - l’une des bourses les plus importantes du Canada pour le temps, et attirait des vedettes mondiales telles que Cardigan Bay, d’élevage néo-zélandais acheté par un syndicat américain au milieu des années ’60 pour être emmené aux États-Unis. Il s’est avéré un double gagnant de The Pace, à l’instar d’autres vedettes comme Isle of Wight et Young Quinn.

« C’était toujours passionnant de voir ces merveilleux chevaux venir d’ailleurs et de constater comme ils étaient bons, comme leurs lignes de course étaient impressionnantes, et d’être étonné par tout cela, » dit Campbell affectueusement. La course The Provincial Cup s’avérerait l’une des quelques courses que Campbell n’a pas gagnées au cours de sa carrière.

Au fil des ans, quand la course fut réservée aux ampleurs de deux ans et que la bourse augmenta, l’épreuve a mis en vedette des étoiles telles que Armbro Nesbit, Albatross, Cam Fella, On The Road Again, Falcon Seelster, Frugal Gourmet, Artsplace, Camluck, Western Hanover, Presidential Ball and Pacific Rocket, pour n’en nommer que quelques-uns des plus éminents. Adler mentionne que l’une des plus grandes émotions qu’il ait connues comme annonceur maison à Windsor fut celle de décrire les courses de plusieurs super vedettes de l’avenir provenant tous de l’écurie de McIntosh. McIntosh, le grand gagnant de tous les temps de la Breeders Crown ainsi que du titre de conditionneur du cheval de l’année des États-Unis deux années consécutives, soit Artsplace en 1992, et Staying Together en 1993 ; il a aussi été quadruple gagnant de la Provincial Cup…trois années de suite dans une série qui a commencé en 1988 avec Bond Street, et s’est poursuivie avec Mystery Fund et Camluck.

La présence de Windsor Raceway sur la scène de course nord-américaine à ce moment-là, est bien évidente quand on regarde les lignes de course de l’un des plus grands trois ans de tous les temps... Niatross. Au cours de cette saison de 1980, Clint Galbraith choisit de le faire courir à seulement trois hippodromes canadiens : Blue Bonnets à Montréal, Greenwood Raceway à Toronto, et Windsor.

« J’ai pu voir les super vedettes de l’avenir avant qu’ils ne deviennent des super chevaux, » dit-il avec orgueil. « Je suis celui qui a décrit leurs premières victoires. »

Les conducteurs légendaires Shelly Goudreau, Greg Wright, Ray Remmen, Pat Crowe et Keith Waples, conduisaient régulièrement là, de même qu’avec les étoiles montantes Bill Gale et Campbell (qui allait poursuivre sa carrière à Meadowlands au New Jersey et devenir le plus grand et prolifique gagnant de tous les temps.) En plus des conducteurs, l’hippodrome comptait les entraîneurs dominants tels McIntosh de même que son frère Bob, Maury Macdonald, Gerry Bookmeyer, Howard Parks, Lou Clark, Wayne Horner et les frères Rod, Dennis et Jerry Duford.

Brian Tropea, directeur général de l’Ontario Harness Horsemen’s Association, se souvient comment Windsor Raceway joua un rôle important dans sa carrière. Il menait des chevaux au défunt Orangeville Raceway pour un ami, Paul Adams, qui possédait une douzaine de chevaux, dont quelques-uns n’avaient pas le talent pour se mesurer aux autres à Greenwood et Mohawk. Ils avaient un très bon trotteur, mais il a fallu au reste du stock quelque six semaines pour arriver au niveau de vitesse des autres chevaux locaux. Tropea connut du succès dans cette incursion et il gagna la réunion. Il y est demeuré durant presque 25 ans.

« Il y avait une tonne d’hommes de chevaux respectés qui couraient là pour le compte de grandes écuries, » dit Tropea. « Il s’agissait d’un deuxième niveau à l’Ontario Jockey Club à ce moment-là, - un très net niveau – et ils couraient pour de bonnes bourses. J’ai eu du plaisir à Windsor et j’en ai bien aimé l’ambiance. Je pense que ce que j’ai le plus aimé c’est son aspect international. Nous étions hébergés à Windsor et courions en Ohio et au Michigan, et les gens de l’Ohio et du Michigan venaient à Windsor. C’était comme une compétition ouverte, emmenez toutes les recrues prometteuses, et voyons qui a le meilleur cheval, attendu que de nombreux hippodromes ont toujours les mêmes huit ou neuf chevaux qui se retrouvent derrière la barrière chaque semaine. C’était un endroit très prestigieux où aller. J’aime la ville et j’aime ses citoyens. J’essaie de m’y rendre le plus souvent possible. »

J. Paul Reddam, qui est né et a grandi à Windsor, a développé un intérêt pour les courses de chevaux qui, un jour, ferait de lui le gagnant du Kentucky Derby 2012, conserve des souvenirs doux-amers de l’hippodrome. Il a gagné le Derby, la plus grande course de thoroughbred en Amérique du Nord, le lendemain où l’administration de Windsor a annoncé son intention de fermer Windsor. Ce fut comme si les dieux des courses avaient déchiré le cœur des amateurs de courses de chevaux pour revenir 24 heures plus tard avec une histoire toute bien ficelée, question de se sentir un petit peu mieux.

Reddam se souvient que la première gageure qu’il a faite fut à Windsor dans les années 1970, sur un cheval du nom de Purple Raider. Il a parié 10 $ gagnant sur le cheval, qui était sous les soins de toilette d’un ami. Le cheval a perdu et Reddam en fut mortifié, quoiqu’il puisse en rire aujourd’hui.

« Je me rappelle Bill Gale, dans les années 1970, qui dominait la piste, » dit Reddam parlant de ses souvenirs. « C’était une très belle période. Probablement qu’à ce moment-là, je tenais cela pour acquis. J’étais tout simplement très enthousiaste. »

Son meilleur souvenir est celui d’un cheval qu’il a possédé au Windsor Raceway et qui s’appelait Scotch Cloud, lequel il avait acheté en Californie en 1979 au moment de son déménagement là-bas et qu’il a ramené dans sa ville par la suite. Scotch Cloud a gagné une course à réclamer bon marché à Windsor, et a payé 97 $. Le cheval était conduit par Randy Fulmer, avec qui Reddam a longtemps été associé, et tous les deux ont encaissé sur la victoire.

Windsor a connu des temps difficiles durant la récession de la fin des années 1980, et en 1989, l’homme d’affaires et entrepreneur du sud-ouest de l’Ontario, Tom Joy, a acheté l’hippodrome de Montréal de l’industriel J.-Louis Lévesque, l’un des plus éminents éleveurs et propriétaires de l’industrie du thoroughbred et opérateur de l’hippodrome Blue Bonnets. Adler faisait partie d’un groupe distinct qui a tenté d’acquérir l’hippodrome du fils de Lévesque, Pierre. J.-Louis qui a, une certaine année, amené les courses de thoroughbred à Windsor, mais cela n’a duré que six semaines et n’a gagné aucun attrait.

Joy, un collègue propriétaire de thoroughbred, a fait de son mieux pour injecter de la vitalité, de la vie et des ressources à l’hippodrome en difficulté. Il engagea John Ferguson, un joueur de hockey de la Ligue nationale à la retraite, un exécuteur renommé pour sa belligérance et son amour des courses de standardbred, pour agir à titre de directeur général. Il s’est aussi allié à des hommes politiques, y compris l’ancien maire de Windsor, John Millson, qu’il a embauché à titre de président en 1992. Tandis que Joy injectait des millions dans la piste avec l’espoir de créer une nouvelle énergie, l’hippodrome perdait de sa popularité avec l’ouverture du Casino Windsor en 1994, siphonnant rapidement les dollars de paris. Joy a fait de son mieux pour combattre la concurrence par des stratégies innovatrices qui comprenaient le pari en diffusion simultanée, qui permettait à la piste d’ouvrir tous les jours excepté à Noël de midi à minuit donnant ainsi aux clients l’occasion de parier sur les courses de dix hippodromes différents. Cela a commencé avec Windsor en janvier 1999 procurant une panacée instantanée. Mais le bon temps n’allait pas durer. L’affaissement du dollar canadien de même qu’une économie en difficulté à Windsor et Détroit ont érodé les affaires de la piste. Les cols bleus n’avaient plus les moyens de parier sur les courses. De plus, les événements du 9-11 ont rendu la traversée des frontières difficile pour les Américains, ce qui a eu un impact important sur les pistes telles que Windsor et Fort Erie, lesquelles comptaient sur les clients américains. La popularité de l’hippodrome a chuté, mais elle est restée le tissu de la ville à cause du noyau de son auditoire, et de la croyance à l’effet que Windsor pouvait continuer, de façon différente de son opération actuelle par contre.

« Je ne crois pas qu’ils aient été en situation désespérée, » dit Tropea. « Ils ne présentaient qu’entre 80 et 85 jours de course par année, ce que l’hippodrome pouvait se permettre de faire et les hommes de chevaux couraient pour des bourses décentes. Je pense que tout le monde était satisfait de la façon dont cela fonctionnait… certainement mieux qu’ils le seront le 31 août.

« Je ne sais pas à quoi tout cela rime, » dit McIntosh, au sujet de la décision de l’administration de fermer à compter du 31 août. « Je ne sais pas s’il s’agit d’un repositionnement politique ou d’une tactique de leur part pour obtenir plus d’argent du gouvernement. Je ne le sais vraiment pas. Tout le monde est quelque peu déconcerté par tout cela, et tout cela crée beaucoup de panique, ça c’est certain. »

« Je fus triste de constater l’état de détérioration de cet endroit lors de mes derniers passages, » d’ajouter Campbell. « Lorsqu’on se remémore ce que c’était à un certain moment donné, cela provoque en nous un certain mouvement de recul. »

Reddam, tout comme tant d’autres qui ont été touchés par l’histoire du Windsor Raceway et par leurs propres expériences, sont attristés de voir cet endroit jadis plein de vitalité transformé en quelque chose à l’anti-chambre de la mort.

« J’avais l’habitude d’aller au Windsor Raceway quand je résidais à Windsor, » dit-il. « J’aimais vraiment les dimanche soirs et les samedi après-midi. C’était un endroit prospère et c’est une honte de savoir qu’il est presque tombé aux oubliettes et a fermé simplement parce que les propriétaires de la piste ont perdu les machines à sous. »

C’est peut-être très révélateur.

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