Une étape à la fois

Kyle Reibeling est un homme de famille.

Par Rachel Oenema / Traduction Louise Rioux

Souvent, dans cette industrie, nous parlons famille. Nous discutons du fait que, sans notre famille, nous n’y serions probablement pas im-pliqués – pour ma part, je sais que je ne connaîtrais pas ce que sont les courses sous harnais s’il ne s’était agi de mon père, et en toute honnêteté, je ne peux imaginer ma vie sans elles. Nous discutons aussi des gens que nous rencontrons dans l’entreprise et qui deviennent de tels proches amis, au point de devenir des membres de notre famille. Nous jasons de la manière dont nos ‘familles de course’ nous ont tirés d’affaires, supportés en des temps difficiles, réconfortés, ou ne faisaient qu’être là pour nous.

Kyle Reibeling est un homme pouvant témoigner de tout ce qui est mentionné ci-dessus. Reibeling, tout comme plusieurs autres, a hérité du gène des courses de son père. « Mon père est entré dans l’industrie en aidant quelques gars aux environs d’Elmira Raceway, et peu de temps après, il acheta un cheval et très vite, attrapa la piqure. Nous demeurions à Elmira et j’allais à l’école secondaire située en face de la piste de course. Mon emploi à temps partiel consistait à donner le déjeuner aux chevaux de tout un chacun le matin avant d’aller à l’école. Quand Elmira participait aux programmes d’après-midi le samedi, je travaillais dans le paddock préparant tout l’équipement des programmes, » dit Reibeling. « Avec les années, j’ai travaillé pour Mike Schaefer, récemment décédé, c’était très agréable de travailler pour lui. J’ai aussi travaillé pour Agri Lea Farms durant une courte période de temps, mais, la plupart du temps, ce n’était que mon père et moi, essayant de gagner notre vie en coursant quelques chevaux, » ajoute Kyle.

Cependant, pour Kyle Reibeling, ‘gagner sa vie n’est pas venu avec un manuel ou un ticket pour la gloire, l’homme de chevaux, depuis long-temps ayant passé au travers d’affaires difficiles tout en élevant seul ses trois enfants, Ashlynn, 22 ans, Braiden, 20, et Caitlyn, 14, et quand on lui demande comment il a fait au cours des quinze dernières années, il répond simplement en riant, « je ne sais pas si j’y suis parvenu. Tout est question de survie, » continue-t-il. « J’ai occupé de nombreux emplois secondaires pour pouvoir boucler les fins de mois. J’ai agi comme forgeron au Grand River durant un certain temps, puis j’ai lancé les courses à Hanover, en remplacement de Brad Pittock à titre de starter à Sarnia et Woodstock Raceway – j’ai accompli quelques tâches merdiques pour être capable de joindre les deux bouts pour mes enfants. J’ai même accroché des poulets comme travail à un certain moment donné, ce n’était pas plaisant, mais quand vous avez des enfants à nourrir, il vous faut faire ce que vous devez.

« Il y eut des moments où je regardais derrière et pensais, ‘mince, mes enfants ont manqué de beaucoup de choses’, mais, ce sont des choses matérielles’. Mes enfants n’ont jamais passé une journée à se demander si je les aimais, et j’étais là pour eux, et à mes yeux, s’il existe un accomplissement qu’une personne peut réussir – ce serait celui-là. »

Reibeling a un bon point, un point qui, dans la société d’aujourd’hui, est probablement le plus négligé – soit qu’il y a plus dans la vie que les possessions matérielles. Il y a plus dans la vie que les vêtements dispendieux, les téléphones et les véhicules – peut-être que l’une des plus grandes leçons qu’une personne peut retenir de la vie c’est d’aimer et d’être aimé en retour.

« Parfois, tout ce que vous avez à faire c’est de ravaler votre orgueil et faire ce qui doit être fait. Continuer de travailler et mettre un pied devant l’autre. J’espère seulement avoir fait du bon travail dans l’éducation de mes enfants. Tout ce que je veux c’est que les gens regardent mes enfants et pensent que ce sont de bonnes personnes et qu’ils soient respectés. Tout autant que je veux que mes enfants aient du suc-cès, qu’ils soient heureux et profitent de leur vie, je veux qu’ils soient de bonnes personnes, » dit Reibeling.

Tout au long des difficultés dans l’éducation des enfants et l’administration d’une écurie de chevaux, peut-être qu’un des chevaux ayant le plus aidé Reibeling fut L H Stryker.

« L. H. Stryker a été le meilleur cheval que j’aie entraîné, il était le plus talentueux, et de loin. Il a gagné en 1:48.4 pour moi un soir à Wood-bine et est revenu la semaine suivante gagner en 1:49.2. La deuxième victoire s’est produite le soir de la victoire de Rocknroll Hanover lors de la North America Cup en 1:49.4… c’était donc assez impressionnant, et procurait ainsi une sensation super sympathique. »

« Je l’ai présenté pour l’élevage durant un certain temps, puis il est parti au Québec. Il a toujours été le cheval de l’homme pauvre, nous avons maintenu ses frais de saillie bas et il a eu une couple de petits chevaux de course décents. J’ai entraîné plusieurs de ses rejetons et cela m’était assez spécial, » dit Reibeling avec fierté.

Mais la fierté dans sa voix passe à un ton plus sombre lorsque le sujet change et que la date du 22 novembre 2019 est mentionnée – une journée où le monde de Kyle a complètement chaviré.

« C’était une journée normale, Braiden s’en allait à Mohawk pour les réchauffements en soirée comme deuxième boulot, j’ai quitté l’écurie pour aller en ville, et comme je partais, Braiden me dit, ‘je t’aime, conduis prudemment’ – et je n’ai jamais vraiment totalement compris l’ironie de cette phrase, » dit Kyle.

« Aux environs de 19 h ce soir-là, j’ai reçu un appel téléphonique en provenance du General Hospital, où on m’informa que Braiden avait été victime d’un accident de la route… et avait été admis à l’hôpital et où une équipe de médecins ètaient à ses côtés lui prodiguant des soins. Ce fut le voyage le plus long et le plus court trajet fait de Campbellville vers Hamilton, » dit Kyle, un regard vide au visage.

Pour Braiden, le 22 novembre avait aussi commencé comme toute journée normale.

« C’était une journée ordinaire pour moi. Je suis allé en ville chercher de la nourriture, et sur le chemin du retour vers la maison pour me préparer à aller à Mohawk pour réchauffer, j’ai dû dévier de la route pour éviter un couple de chevreuils qui venaient de sauter en provenance du fossé… le temps était un peu embrumé et j’ai frappé un arbre, » dit Braiden.

Kyle se souvient exactement de la façon dont son esprit a réagi quand il a appris la nouvelle. « Ma toute première pensée fut que je n’allais pas perdre mon fils. C’était tout ce à quoi je pouvais penser et repenser en me rendant à l’hôpital. Durant tout le temps que nous étions en route vers l’hôpital, nous ne savions absolument pas à quoi nous attendre. Lorsque nous sommes arrivés, la travailleuse sociale qui nous assis-tait me prépara au pire, et elle nous expliqua tout ce qu’elle pouvait. Elle nous a dit que Braiden était cohérent mais qu’il pourrait peut-être ne plus jamais marcher, ayant subi beaucoup de blessures aux membres inférieurs et perdu beaucoup de sang… il fut immédiatement préparé pour la chirurgie, » de noter Kyle. « Ils pensaient même qu’ils ne pourraient pas lui sauver la jambe gauche. »

La réalité de l’état de Braiden était, des ‘dommages à ses membres inférieurs’ qui décrivaient légèrement ses blessures puisqu’il souffrait d’une fracture à la mâchoire et qu’il avait aussi un poumon perforé. Il avait des fractures aux deux jambes ainsi qu’au genou gauche.

FInalement, ils ont pu sauver sa jambe. Braiden fut hospitalisé durant environ un mois, suivi d’un autre repos d’un mois au lit.

« Même si nous ne savions pas exactement ce qui se passait, je me devais d’être fort pour le reste de ma famille, » de partager Kyle. « Vous prenez les choses en main et c’est exactement ce que j’ai fait. Mon fils était vivant et c’était ce qui importait. Il semblait ne pas avoir de lésions cérébrales, mais il y avait la possibilité qu’il ne marche plus, et c’était quelque chose pour laquelle nous étions préparés et prêts. J’apprécie vraiment l’équipe de l’Hamilton General pour tout ce qu’ils ont fait pour Braiden. Nous sommes tellement chanceux qu’il soit vivant, » dit Kyle.

C’est la façon dont l’industrie des courses sous harnais se rassemble, encore et encore, et prouve au monde entier que nous sommes une grande famille. Nous prenons soin les uns des autres et nous nous soutenons mutuellement - toujours.

« Le soir de l’accident, tellement de gens se sont informés de nous, s’inquiétant de l’état de Braiden. Tellement de gens priaient pour nous et c’est quelque chose pour laquelle je suis encore reconnaissant quotidiennement.

Cette industrie est très compétitive, nous sommes tous là pour faire la même chose et gagner des courses, mais je ne sais pas si jamais je n’ai rencontré quelqu’un s’affrontant l’un l’autre pour se réunir lors de moments difficiles et se supporter l’un l’autre comme cela.

« C’est difficile de mettre cela en mots, » dit Kyle, luttant en effet avec émotion à la recherche des mots justes pour exprimer sa gratitude. « Ces gens-là sont plus que des amis, ils sont des membres de la famille. Il y avait des gens qui ne connaissaient même pas mon fils et qui s’inquiétaient pour son bien-être, et c’était étonnant. Todd et Jean Ratchford ont lancé une levée de fonds GoFundMe pour Braiden qui a rap-porté un peu plus de 32 000 $ pour aider Braiden dans sa thérapie – et en toute honnêteté, s’il n’y avait pas eu de GoFundMe, j’aurais proba-blement dû déclarer faillite, parce que jamais je n’aurais pu y arriver. Todd et Jean sont venus voir Braiden à l’hôpital ainsi que Matt et Rachel Dupuis; tellement de bonnes gens lui ont rendu visite. Dans une industrie où il y a beaucoup de commérages, de rumeurs et d’animosité, il y a encore beaucoup de bonnes personnes. Bethany et Gracie Mae Barr se sont présentées chez nous juste avant Noël avec un repas de Noël et des présents pour nous tous – il y avait de tout ce que à quoi vous pouvez penser et plus encore. La bonté des gens est inexplicable. »

« Inexplicable » pourrait bien être le seul mot pour entièrement résumer notre industrie, nous sommes une différente race d’êtres hu-mains, nous les gens de chevaux. Bien qu’ayant le désir le plus puissant et brûlant de gagner, nous sommes aussi le groupe de personnes les plus attentionnées que vous rencontrerez – quelque chose dont je suis certain, Kyle Reibeling serait d’accord en jetant un regard sur l’année qui a passé depuis ce moment.

« Vous appréciez davantage votre famille et vos amis, et vous essayez de plus profiter de la vie. Mes filles ont été présentes pour moi dans cette épreuve, Ashlynn a été mon roc durant tout ce parcours et Caitlyn, malgré le fait qu’elle était en huitième année à ce moment-là, a aussi fait tout ce qu’elle pouvait pour aider. »

Kyle a également aidé Braiden à décrocher la toute première victoire de sa carrière d’entraîneur malgré le fait qu’il soit à l’hôpital.« Avant l’accident de Braiden, il venait tout juste d’obtenir sa licence d’entraîneur, et il entraînait un cheval que nous possédions ensemble du nom de Dont Dilly Dally. Il avait coursé la veille de l’accident, puis une semaine plus tard, soit le 28 novembre, le cheval a gagné. Braiden obtint sa toute première victoire à titre d’entraîneur, sur son lit d’hôpital. Ce fut, certainement, une victoire qui lui remonta beaucoup le moral je crois, » dit Kyle, dans un sourire.

Braiden, qui opère maintenant une petite écurie d’entraìnement de chevaux, est à tout jamais reconnaissant pour tout ce que la commu-nauté des courses a fait pour lui.

« Je ne dirai jamais assez toute ma reconnaissance pour tout ce que chacun de vous avez fait. S’il ne s’était agi de l’aide de chacun d’entre vous, je n’aurais pas été capable d’aller en physio pour réapprendre à marcher. Je souhaite obtenir ma licence de conducteur au printemps, et si je n’avais pu retrouver l’usage de mes jambes… ce ne me serait plus possible, alors je serai à jamais reconnaissant à tous et chacun pour leur aide. Les gens ont été incroyables à mon endroit. Honnêtement, je ne savais pas que c’était possible que tant de gens prennent soin d’une personne, » dit-il avec émotion. « Mon père m’a toujours dit de procéder étape par étape, et c’est ce que nous avons fait – littéralement. »

Tandis que papa Kyle opère toujours une petite écurie, aux côtés de Braiden, il commence à envisager de prendre les choses un peu plus au ralenti un jour aussi.

« Mon père et moi avons passé de nombreuses années à travailler ensemble, et il me manque vraiment. Nous avions un lien incassable, » dit Kyle affectueusement. J’ai travaillé avec quelqu’un que j’admirais quotidiennement et je suis tellement reconnaissant du fait que Braiden et moi partagions ce même lien. Nous travaillons ensemble à tous les jours et j’aime cela, mais j’ai 47 ans et je ne suis jamais monté à bord d’un avion. Peut-être que cela peut paraître quelque peu égoïste, mais au cours des quelques prochaines années, j’aimerais relaxer un peu et m’accorder un peu de temps. J’ai fait de mon mieux pour élever mes enfants, ils vieillissent maintenant et commencent leur propre vie. Je veux retrouver ma santé et m’occuper de moi. Braiden veut obtenir sa licence de conducteur au printemps, et je veux être assez en santé et en assez bonne forme pour l’appuyer, et l’aider de mon mieux pour l’assurer d’un bon départ. Je veux rester le meilleur papa possible. »

Cet article a été publié dans le numéro de janvier de TROT Magazine.
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