Sylvain Filion peut bien porter le nom de famille le plus reconnudu domaine des courses attelées du Canada, ses succès, tant sur la piste qu’à l’extérieur, lui méritent très certainement son succès.Par Paul Delean / Traduction Louise Rioux
Comme il traversait le fil d’arrivée à Woodbine pour atteindre sa 8 000e victoire le 16 novembre, un souvenir est remonté à la mémoire du conducteur Sylvain Filion.
« Dès après avoir franchi le fil, j’ai été ramené à ma première victoire. Supreme Jade à Rideau Carleton, le 19 juillet 1987. C’est la première fois que je réagissais de cette façon, » dit Filion, 46 ans, deux fois récipiendaire du prix O’Brien Award en tant que conducteur remarquable au Canada, tout comme il est le candidat en tête une autre fois en 2015.
La victoire clé l’ayant propulsé dans un club sélect en compagnie de moins de trois douzaines d’autres membres en Amérique du Nord, n’est que le dernier accomplissement réussi par un conducteur qui, pour tout son travail, sa discipline et sa persévérance, partie de son ascension vers les échelons supérieurs des courses sous harnais, y semblait aussi prédestiné.
Il avait certainement le potentiel. Né à Angers, un petit village du Québec situé près d’Ottawa et rendu célèbre par les Filion, famille remarquable qui en deux générations a connu presque 39 000 victoires en courses sous harnais, pour plus de 250 M $ en bourses. (Voir le tableau ci-joint.)
Le père de Sylvain, Yves, et ses sept oncles ont tous été conducteurs. L’oncle Hervé, aujourd’hui retraité et âgé de 75 ans, est un intronisé au temple de renommée, a gagné au-delà de 15 000 courses et demeure l’un des trois conducteurs nord américains à avoir réussi cela.
« Hervé a été la première personne à m’appeler au lendemain de ma 8 000e victoire, » de dire Sylvain. « Il m’a dit qu’il était fier de moi. C’est un appel qui m’a rendu vraiment fait plaisir. »
Son succès est très signifiant pour Yves, qui à 69 ans, est le plus jeune du groupe original des huit frères conducteurs sur sulky. « Chaque victoire me procure encore une grande émotion, », dit Yves, qui porte la bague commérant la 6 000e victoire de Sylvain, cadeau de son fils.
Durant des décennies, père et fils formaient une équipe à la ferme Bayama Farm, le centre d’opération d’Yves en matière d’élevage et d’entraînement situé au nord de Montréal, dans la ville de Lachute. C’est là où Sylvain a appris les rouages pour devenir horseman.
« Il a été autour des écuries depuis sa plus tendre enfance, mais à l’été de ses 12 ans, je lui ai assigné deux chevaux desquels il devait prendre soin, y compris l’attelage et la marche. C’était un naturel. Il le faisait comme s’il le faisait depuis des années, » dit Yves.
« Il en était de même pour la conduite. Hervé était son idole dans son enfance, et j’ai su dès le moment où il a commencé à conduire, qu’un jour il allait, lui aussi se retrouver parmi les meilleurs. Il a travaillé fort depuis son tout jeune âge. Il aurait pu rester et travailler avec moi, mais c’est un trop bon conducteur. C’était ce sur quoi il devait se concentrer. Année après année, il n’a fait que démontrer sa qualité. Je ne pourrais être plus fier. »
La famille a vécu aux États-Unis alors que Sylvain était encore tout jeune – il se souvient avoir fréquenté l’école préscolaire à Philadelphie, se sentant ‘traumatisé’ du fait qu’il ne parlait pas anglais – mais ils sont revenus au Québec au milieu des années ’70, alors qu’il avait 5 ans.
L’aîné des trois enfants d’Yves et Yvette Filion, Sylvain, a jeté son dévolu sur une carrière en conduite dès son adolescence. « J’étais autour des chevaux quotidiennement et je préférais aller aux courses plutôt qu’aller à l’école, ça c’est certain. Je ne pouvais me voir faire autre chose que conduire. Je regardais mon père conduire, et je rêvais d’en faire autant. »
L’éthique de travail et la discipline nécessaires, ont pris un peu plus de temps à se manifester.
« J’avais mon petit côté sauvage à l’adolescence. Ce fut une étape. J’ai trouvé le bon chemin, » de dire Sylvain.
Son début de conducteur, tout à fait imprévu, s’est produit le 29 mai 1987, à l’hippodrome Blue Bonnets de Montréal.
Yves était sur la route du retour des États-Unis, quand il reçut un appel lui annonçant le décès de son père, Edmond, à Angers, leur ville natale.
« Il m’a alors appelé me disant ‘tu vas mener les chevaux’. J’étais sous le choc, » se rappelle Sylvain. Parmi les chevaux qu’ils avaient inscrits dans les courses écoles de 500 $ à Blue Bonnets ce jour-là, se trouvait l’ambleur de deux ans Runnymede Lobell.
Ce qui devint donc la première course de qualification en vue de l’obtention de sa licence de conducteur aux guides de Runnymede Lobell, qui allait gagner la North America Cup pour son père à l’âge de trois ans et accumuler plus de 1,6 M $ de gains en carrière. Ils ont gagné cette course pour poulains par 11 longueurs. La première victoire officielle de Sylvain en piste, s’est produite aux guides de Supreme Jade à Rideau, deux mois après.
La Ferme Bayama était alors un acteur dynamique des courses au Québec ainsi qu’un joueur significatif ailleurs sur le continent, mais l’émergence de Sylvain comme conducteur fut plus constante que spectaculaire.
Il n’a obtenu que neuf victoires à sa première année, pour n’atteindre les 100 en saison qu’en 1992.
« J’ai eu la chance d’avoir des chevaux de qualité tôt mais je ne fus pas une sensation du jour au lendemain. Il a fallu du temps pour y arriver. Il faut vous rappeler que mon père était à son meilleur en tant que conducteur, alors il ne m’était pas automatiquement accordé de mener nos meilleurs chevaux tout le temps, » dit-il.
L’un des chevaux ayant contribué au démarrage de sa carrière au Québec ne fut pas entraîné par son père. C’était une pouliche de Rumpus Hanover appelée Tricky Tooshie, entraînée et copropriété de Jean-Louis DeBlois.
« Elle était un cheval provenant des Québec Sires Stakes, et le sort a voulu que je sois à Trois-Rivières pour un programme de courses stakes pour les deux ans, le 5 juillet 1992. Mon oncle Henri devait la mener, mais comme il avait eu un accident dans la course précédente il n’a pas pu la conduire, alors on m’a demandé de le faire
« Nous avons gagné la course stake puis je l’ai conduite dans presque toutes ses courses au Québec après cela. Elle a gagné la finale de la Coupe des Éleveurs à 2 et 3 ans et les neuf courses stakes au Québec à 3 ans. Elle était une belle jument qui a poursuivi en gagnant l’open de Toronto, ce qui m’a grandement aidé à m’établir comme quelqu’un qui pouvait gagner avec des chevaux autres que ceux provenant de notre propre ferme, » de dire Sylvain.
Au sommet de sa liste de favoris se trouve « le monstre de Montréal, » Goliath Bayama, un fils d’Abercrombie, élevé, entraîné et propriété d’Yves.
Un cheval de forte stature qui s’est montré prometteur à 2 ans, pour s’affirmer à 3 ans, Goliath Bayama a terminé deuxième par une longueur derrière The Panderosa dans la tenue de la North America Cup en 1999, et quatrième lors du Meadowlands Pace. Ce furent les premiers départs de Sylvain dans des courses d’une valeur d’un million de dollars.
À 5 ans, Goliath Bayama a procuré à Sylvain, la première de ses deux victoires de la Breeders Crown, lançant un ralliement acharné pour passer de la neuvième position et l’emporter en 1:48.4 à Meadowlands.
« J’étais émotif après celle-là… j’en tremblais, » se rappelle Yves.
Deux semaines plus tard, ils ont remis cela, défaisant Gallo Blue Chip lors du U. S. Pacing Championship en 1:48.2. « Les deux fois, il s’est envolé pour gagner, » dit Sylvain. »
Mis à la retraite en 2002 et comptant 1,5 M $ en gains, Goliath Bayama s’est révélé l’ambleur le plus rapide de tous les temps au défunt hippodrome Blue Bonnets, chronométré en 1:48.1 dans une course invitation de 20 000 $ avec Sylvain dans le sulky, en 2001.
« Il m’a projeté sous le feu des projecteurs, m’a occasionné beaucoup d’émotions » dit-il.
Ses succès au Québec et à l’étranger ont conféré à Sylvain une place très confortable au début du millénaire. Il a gagné le championnat mondial des conducteurs en Australie en 1999 et fut le conducteur de premier plan au Québec durant huit années consécutives. Lui ainsi que son amie de longue date, Dominique Paré, se sont fait construire une maison sur la ferme, propriété d’Yves.
En 2008 toutefois, l’industrie des courses au Québec était en ruines et Sylvain ne voyait aucune autre option que celle de se relocaliser en Ontario.
Il avait tenté cela avant, soit en 1999, sans grand succès. « L’industrie des courses baissait à ce temps, et l’entraîneur Richard Moreau avait commencé à envoyer des chevaux en Ontario, et je me suis dit que j’allais m’y essayer, mais ce fut quelque chose comme une lutte, les victoires étaient peu nombreuses, alors quand les choses se sont un peu améliorées au Québec, j’y suis revenu. En rétrospective, je devais ne pas être assez convaincu. »
Alors, il a dû quitter une autre fois. Mais cette fois, cela semblait moins intimidant.
« Je connaissais plus de monde et je m’étais tissé quelques liens lors de mon premier séjour, ce qui ma aidé. Richard était plus établi et avait de bons chevaux. Mon père avait aussi des chevaux qui couraient là. J’étais probablement plus confiant en ma conduite également, ce qui m’a été profitable. Les choses sont mieux allées que ce à quoi je m’attendais. »
Il fut un participant d’impact presque dès son tout premier jour, accumulant les victoires partout en Ontario. Ses gains en bourses ont surpassé les 5 M $ annuellement depuis 2009, cela qui ne lui était arrivé qu’une seule fois auparavant, en 2001, alors que Goliath Bayama était à son meilleur.
En 2012, il a reçu son premier prix O’Brien Award à titre de meilleur conducteur du Canada. Il en ajouta un deuxième l’année suivante.
Ses statistiques en carrière dressent un modèle de constance remarquable. Il a gagné plus de 200 courses à chaque année, depuis 1994 excepté une fois, atteignant 400 victoires en huit occasions, manquant rarement une occasion.
« J’ai été impliqué dans quelques accrochages mais j’en ai évité plusieurs. J’ai été chanceux en ce qui concerne les blessures. Je n’en ai jamais subi de graves. Je pense que j’ai raté une soirée à Montréal quand je suis tombé me blessant à l’épaule, mais c’est à peu près tout, » dit Sylvain, et dont le régime d’entraînement comprend des courses régulières de cinq kilomètres.
Yves dit que la plus grande force de Sylvain comme conducteur, est son intelligence.
« Conduire ne concerne pas seulement les mains, mais la tête aussi, » dit Yves. « Il comprend immédiatement. Il peut changer de tactique sur-le-champ. Et il fait attention au cheval. Il les a toujours aimés et ne les maltraite pas. »
L’entraîneur Moreau, lequel a aussi connu de nombreux succès depuis son déménagement en Ontario, dit qu’en plus d’être professionnel et compétitif, Sylvain « prend soin de sa santé et de son image, respectant également les autres conducteurs. »
Sylvain dit qu’il a beaucoup appris à regarder les autres, notamment ses oncles Hervé et Henri, mais son père Yves a été sa plus grande influence et sa fusée de lancement.
« Bien de mes victoires acquises, je les lui dois. Il aurait pu mener ces chevaux lui-même. Il s’est mis de côté et me les a laissés. Peu de gens auraient fait cela. »
L’une des leçons durables d’Yves a été qu’il ne faut pas se battre avec le cheval.
« J’ai essayé de maîtriser cela, mais il m’a fallu du temps, » dit Sylvain. « Cela m’a toujours étonné de voir comment mon père le faisait, sa façon de travailler avec les chevaux, sa façon de dresser les poulains. C’était comme s’il leur chuchotait à l’oreille. Mais il m’a aussi laissé apprendre par moi-même. Il ne m’a jamais dit comment mener un cheval. Je les ai menés de la façon dont je voulais. Nous discuterions d’une erreur que j’aurais faite après coup, mais il m’a laissé faire mes propres erreurs. »
Même si c’est en Ontario où son étoile a le plus briller, Sylvain porte toujours un attachement profond au Québec, et dit que dans un monde parfait, « je vivrais à Lachute, si je pouvais gagner comme en Ontario. Mais honnêtement, je ne peux me plaindre. Je vis dans un endroit agréable. J’ai de la difficulté à croire tout le succès que j’ai eu et que j’ai encore. Je mène pour des grands entraîneurs qui ont beaucoup de pouvoir, j’ai une très belle famille. «La vie en ce moment est tellement bonne. »
Il est toujours propriétaire de la maison à Lachute, laquelle est occupée par sa belle-sœur, mais il en a aussi une à Milton, Ontario, où lui et Paré, qui ont souligné leur 25e anniversaire de vie commune en novembre, et sont devenus d’heureux parents.
Il y a deux ans, ils ont adopté une petite fille appelée Stella-Rose.
« Nous avons essayé d’avoir des enfants, mais cela n’a pas fonctionné, et nous sentions qu’il nous manquait quelque chose; et un jour, nous avons décidé de soumettre notre candidature pour devenir parents adoptifs, » de dire Sylvain.
« Nous avons dû suivre un cours sur le rôle parental et décrire notre profil, lequel demeurait en vigueur durant un an, et attendre l’appel du registraire. Le parent vous choisit par ce profil. On arrivait à la fin de l’année, nous n’avions eu aucune nouvelle, et nous commencions à avoir des doutes. Puis, l’agence d’adoption nous a contactés ‘disant nous pourrions avoir un bébé potentiel pour vous… à Timmins.’ J’ai pris l’avion pour revenir des États-Unis (après l’Hambletonian), monté dans la voiture et nous avons conduit toute la nuit vers Timmins. J’étais incroyablement nerveux, et je n’avais pas dormi depuis deux jours, mais dès la minute où j’ai posé les yeux sur elle, elle a souri. Je me suis senti totalement soulagé. Elle avait quatre mois et j’ai pensé qu’elle la plus jolie chose sur terre. Elle l’est encore. »
Il a fallu deux mois pour compléter toute la papeterie, puis Stella-Rose les a joint pour de bon.
Maintenant âgée de deux ans et demi, elle aime bien se retrouver autour des chevaux et elle peut même repérer son papa en course, dit Sylvain. Elle n’a pas tout à fait le même discernement en matière de chevaux. « Elle les appelle tous VIP, parce VIP Bayama est le premier qu’elle caressé dans l’écurie. »
Bien qu’ayant atteint bien des objectifs jusqu’à maintenant, personnellement et professionnellement, Sylvain dit en avoir encore beaucoup sur sa liste.
« Je n’ai jamais gagné la North America Cup, Meadowlands Pace, Hambletonian ou Little Brown Jug. Si je pouvais en gagner un des quatre, je serais heureux. »
Il n’a aucune idée de la raison pour laquelle il est le seul de deuxième génération des Filion à s’épanouir en tant que conducteur, mais il dit être « heureux de garder ce legs bien vivant, tout en se créant en même temps, son propre legs. »
Comptant plus de 92 M $ de gains en bourses au cours de sa carrière, il a déjà dépassé la somme totale obtenue par son oncle Hervé, mais ne s’attend pas à le rattraper dans la colonne des victoires.
« Pour y arriver, » dit-il, « je devrais probablement continuer à conduire jusqu’à l’âge de 120 ans. »
Alors pour combien plus de temps prévoit-il encore conduire professionnellement?
« Aussi longtemps que je gagnerai des courses, que j’accomplirai du bon travail et ce, sans doute aucun. Si jamais je m’apercevais être dans le chemin, je partirai. »