À quelques semaines de la fin de l’année, René Allard est en voie de devenir l’un des plus jeunes entraîneurs à n’avoir jamais cumulé le nombre le plus élevé de victoires au pays. Il a déjà amassé au delà de 200 victoires – soit plus que Richard Moreau a engrangé l’an dernier pour se mériter ces mêmes honneurs. Mais en plus de ces statistiques, son succès est net -- Allard est aussi parmi les entraîneurs les plus prolifiques à cinq pistes ontariennes : Flamboro Downs, Georgian Downs, Grand River, Hanover et Kawartha Downs. C’est sans surprise que le jeune homme de 22 ans connaît présentement quelques-uns des meilleurs moments de sa carrière.
Originaire de Saint-Esprit, dans la région de Joliette au Québec, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Montréal, René Allard a été initié aux chevaux par son père, Michel, et son grand-père. « Mon père a œuvré dans l’industrie des chevaux miniatures pendant plusieurs années et la Piste de course Rive-Nord occupait une partie de notre ferme, c’est dans cet environnement que j’ai donc grandi, » dit-il. « Dès ma tendre enfance, j’ai beaucoup voyagé avec mon père pour assister aux compétitions. Chaque été, nous faisions six ou sept voyages sur des pistes américaines, notamment en Indiana - un trajet d’une quinzaine d’heures – de même qu’à Boston et New York. D’aussi loin que je me souvienne, cela a toujours été ma passion ».
Le cadet d’une famille de quatre enfants (il a deux frères et une sœur), René aurait peut-être pu être interpellé par la politique. Sa mère, Danielle Henri-Allard, occupe le poste de premier magistrat de la municipalité de Saint-Esprit depuis treize ans, un record dans les annales de cette municipalité. Mais René avait déjà fait son choix, dès le début de ses études. « À l’âge de six ou sept ans, dès mon retour de l’école, je lançais mon sac à dos sur la pelouse devant la maison afin de me rendre le plus rapidement possible à l’écurie. Pendant que mon père s’occupait des récoltes, j’entraînais alors nos chevaux miniatures ».
Il était évident que les chevaux de course allaient devenir la voie d’avenir de René -- d’autant plus que son père s’était laissé tenter par l’achat de quelques chevaux de race Standardbred. À l’âge de 16 ans, le jeune horseman commence à entraîner des chevaux pour la course attelée, et depuis ce temps, ses porte-étendards ont toujours maintenu une moyenne supérieure à .300. Six ans seulement après ses débuts, la fiche de carrière de René indique au-delà de 600 victoires et des gains de 3,7 millions de dollars.
Malgré son jeune âge, René reste modeste par rapport à son succès. Il reconnaît d’emblée la nécessité de mettre les efforts nécessaires pour apprendre les rudiments afin de réussir. « J’ai toujours aimé m’entretenir avec des gens d’expérience, » explique-t-il. « Je regarde ce qu’ils font de mieux. Je les écoute et j’essaie d’atteindre leur niveau avant de tenter de faire mieux ».
Il avoue également avoir beaucoup de détermination, ce qui l’a toujours bien servi. « Je ne crains pas de regarder ce qui se fait ailleurs. Je ne demeure pas au même endroit et je n’ai pas peur de voyager pour rencontrer des gens qui m’apprendront. Je rencontre différentes personnes, des gens d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de partout… et si je peux m’accaparer un peu de leurs connaissances, mes chances de succès en seront d’autant augmentées. »
Outre son père, René a beaucoup appris auprès de feu Jean-Marc Bouchard, un ami de la famille et vétéran de l’industrie des courses, duquel il était très proche. « J’ai connu Ti-Marc à mon adolescence et il m’a transmis une partie importante de sa vaste expérience, » se rappelle-t-il. « Il était toujours avec moi. Lorsque j’ai fait mes débuts comme entraîneur, j’étais très heureux qu’il soit là. Il était mon mentor. » Jean-Marc Bouchard, son aîné d’une cinquantaine d’années, est décédé des suites d’un cancer au mois de décembre dernier. Il était comme son deuxième père.
Aujourd’hui, René est fier de compter sur un personnel de confiance pour la gestion de son écurie d’une cinquantaine de chevaux. « C’est une grosse organisation et j’ai du bon monde autour de moi. C’est important ».
Mais il attache aussi une importance capitale à l’analyse. « Il n’est pas rare que je quitte mon ordinateur aux petites heures du matin après avoir regardé la reprise des courses, » admet René. « Je regarde les reprises de courses disputées à différentes pistes afin de déceler le moindre petit indice qui pourrait m’aider à choisir les classes de mes chevaux pour les compétitions futures. » Ce n’est qu’un exemple du peu de temps qui reste à l’entraîneur pour d’autres loisirs; il consacre chaque petit moment à l’amélioration de son exploitation de course.
« Cette analyse me permet de trouver les pistes où mes chevaux pourront le mieux performer. Je n’hésite pas à compétitionner sur plusieurs pistes de course, même les plus éloignées, parce que mes chevaux doivent toujours avoir une chance de remporter la victoire. Si cela implique un trajet de cinq heures de route, je le ferai. J’aime mieux quelques heures de route pour une victoire que quelques minutes pour une troisième place ».
La première victoire en carrière est toujours un moment de réjouissances qui s’imprègne dans nos souvenirs; René garde une place de choix dans son cœur et dans sa mémoire pour le cheval Agaric avec lequel il a visité le cercle du vainqueur à ses débuts.
« J’avais réclamé ce cheval à Trois-Rivières pour la somme de 4 000 $ et peu après, il a gagné à Montréal dans les rangs à réclamer pour 6 000 $ en 1:55, » se rappelle-t-il. « C’était un gros cheval, presque comme un clydesdale! J’ai toujours aimé ce cheval, non pas parce qu’il était mon meilleur, mais peut-être parce qu’il était mon premier. À cette époque-là, je commençais à peine à vivre la frénésie des courses de chevaux ».
L’ambleur Royal Becquet touche également une corde sensible chez René. « C’est un cheval auquel je suis attaché, » dit-il, « car nous en sommes propriétaires depuis qu’il a dix-huit mois. Nous l’avions acheté 5 000 $ et il nous a récolté jusqu’à maintenant 300 000 $ ». Mais ce fils de Yankee Cam ne l’a pas eu facile. « Il est tombé trois fois sur les genoux en piste et lorsqu’il a été castré, entre l’âge de deux et trois ans, il a failli mourir à cause d’une infection. Nous l’avons surnommé le petit guerrier et il porte bien son nom ».
Très bien, en effet. En août dernier, Royal Becquet a enregistré un record de piste à l’hippodrome Sulky Québec en arrêtant le chronomètre à 1:54.2.
Incidemment, c’est au cours d’une journée mémorable pour son entraîneur que Royal Becquet a enregistré ce record. C’était la Journée du « Cinq Milles », le 30 août – où trois des élèves de René ont connu beaucoup de succès. Et l’un d’eux, Heartthrob, avait été acheté à peine cinq jours avant de l’inscrire dans cette épreuve vedette. Pas un mauvais achat, en fait. «J’avais déjà pris part à cette compétition dans le passé, » de dire René, « et je m’étais aperçu qu’il fallait posséder le cheval avec la bonne constitution pour cette course -- et réalisé également qu’il n’était pas nécessaire de lui faire subir un entraînement particulier.
« Le mardi avant cette course historique, je regardais les inscrits aux différentes pistes en compagnie d’un de mes employés, Stéphane Lareau. Ce dernier m’a confié qu’il avait déjà eu le cheval, Heartthrob, sous ses soins en Floride. Il croyait qu’il ferait un bon cheval d’endurance. J’ai examiné ses dernières performances plus attentivement pour réaliser qu’il démontrait effectivement les aptitudes d’un cheval en mesure de terminer les compétitions avec force. Lareau m’a convaincu. J’ai contacté le propriétaire et je l’ai acheté après sa course en soirée ».
Le lendemain, Heartthrob était inscrit à l’hippodrome Sulky Québec. Le dimanche suivant, il raflait les honneurs du « Cinq Milles » en parcourant les dix tours de piste en 11:22.1.
« C’est une journée dont je me souviendrai longtemps, » dit René dans un sourire. « C’était une journée bien spéciale. Mes parents étaient présents, mon frère y était aussi et c’était chez moi, au Québec. » « Il est certes attristé de la présente situation des courses dans sa province natale du Québec, mais il espère un prochain redressement pour bientôt.
Bien que René se soit fait la main dans l’entraînement surtout avec des chevaux à réclamer depuis le début de sa carrière, il envisage maintenant de relever le défi et travailler avec de jeunes chevaux.
« Je n’ai pas eu beaucoup de poulains à entraîner par le passé, peut-être un par année, mais je voudrais en avoir davantage. J’ai déjà eu du succès avec quelques-uns, dont Royal Becquet. J’ai bien l’intention d’en avoir sept ou huit cet automne ».
Il fait souvent appel à son frère Simon pour la conduite de ses protégés – et il n’est absolument pas question pour lui de suivre les traces du frangin sur le sulky. « Je n’ai pas le physique de l’emploi! » dit René en riant. « Je suis pas intéressé par la conduite. Je veux me concentrer sur l’entraînement ».
Le jeune entraîneur vise aussi l’amélioration de son cheptel, mais il est conscient qu’il faut gravir les échelons un à un. « Quand tu commences, tu ne peux pas être au haut de l’échelle! » dit-il. « Il faut faire son chemin en s’impliquant à fond dans l’industrie et gagner le respect des propriétaires, et je pense être sur la bonne voie ».
Grâce à sa détermination, son énergie, sa sagesse et surtout sa patience, il ne fait aucun doute que René est, en effet, sur la bonne voie. Et il y a fort à parier que dans quelques années, il occupera un poste au sein de l’élite nord-américaine des entraîneurs.