Lorsque le programme SARP (Ontario’s Slots at Racetrack Program) connut une fin abrupte il y a trois ans, Jack Moiseyev, alias ‘Jackie Mo’, de Asbury Park au New Jersey, alors âgé de 55 ans, aurait pu partir vers le sud.
Au lieu de cela, le vétéran homme de chevaux ainsi que sa partenaire depuis 12 ans, Joanne Colville, se sont retroussé les manches et mis au travail pour se bâtir leur propre avenir.
« Avec la perte du SARP, notre centre d’attention a changé , » dit Colville en ce matin frais d’octobre au Baycairn Training Centre, à Campbellville, Ontario. « Les chevaux que nous élevons, nous les gardons pour les entraîner. Nous ne les vendons pas et cela nous a réussi jusqu’à maintenant. »
Moiseyev et Colville portent plusieurs chapeaux dans l’industrie du standardbred. Leur ferme, High Stakes Fam, sise juste au nord de Mohawk Racetrack, est une exploitation très occupée et est le domicile de plus de 45 chevaux à différents niveaux de carrière.
« À partir des juments poulinières, nous avons probablement 50 chevaux. Dix juments sont en gestation pour l’année prochaine, » dit Colville qui en tout temps, peut être créditée du titre d’éleveur, de cavalière et de Coordonnatrice d’événements pour l’Ontario Standardbred Adoption Society. Elle siège également au conseil exécutif de Standardbred Canada ainsi qu’au Comité des Éleveurs tout en agissant à titre de présidente du Comité des Encans.
En plus, Colville travaille à sa propre ferme, poulinant de nouvelles récoltes chaque saison, et consacrant des périodes régulières de travail au centre d’entraînement à faire marcher les chevaux.
« Elle est plus jeune que moi de 11 ans, et je suis incapable de la suivre, » dit Moiseyev en riant.
Bien sûr, Moiseyev, un homme de peu de mots, est occupé dans son propre champ. Légendaire conducteur, comptant plus de 9700 victoires et 131 M $ de gains, il est associé à Precious Bunny et Ellamony. Le bon enfant Moiseyev est aussi un entraîneur, propriétaire et éleveur, reconnu aussi comme une ressource très recherchée quant au développement de jeunes chevaux.
Entre les deux, il n’y a aucun secteur de ce sport du standardbred dans lequel ils ne sont pas impliqués, et leur enthousiasme pour le sport qu’ils aiment, continue de grandir.
« Je crois que nous sommes sur la bonne voie. Il nous faut continuer à focaliser sur le travail que nous avons à faire ensemble, » de dire Colville. « Je ne s’apprécie pas la façon dont le gouvernement a agi avec le SARP, mais je suis optimiste que nous travaillerons ensemble pour contribuer au rebondissement de cette industrie. Les statistiques sur l’élevage ont encore augmenté cette année, alors d’autres que nous font preuve d’optimisme pour aller de l’avant. »
Et le vétéran Moiseyev, considéré comme le candidat en tête pour l’obtention du OBrien Award du Horsemanship, a scellé son engagement envers l’industrie en devenant récemment citoyen canadien.
Le vrai Jackie Mo du Canada, hein?
Comme plusieurs participants du sport des courses, Moiseyev y est venu grâce à un lien familial – son père, l’entraîneur Sid Moiseyev.
« Mon père travaillait pour Billy Haughton et Stanley Dancer quand il était jeune, » dit Moiseyev. « J’étais toujours avec lui sur la ferme et à l’hippodrome. Je faisais marcher les chevaux dès l’âge de sep ans. C’est la façon dont j’ai grandi. »
Moiseyev donne crédit à sa jeunesse passée à travailler auprès des chevaux, pour son succès en tant que conducteur et entraîneur.
« J’ai tout fait. Nettoyer les stalles, prendre soin des chevaux, les faire marcher… il faut commencer à la base pour tout apprendre sur les chevaux avant de commencer à les conduire, » dit Moiseyev. « Nombre de jeunes hommes commençant aujourd’hui, semblent tout simplement monter sur le sulky et coursent. Mais si vous leur demandez d’enlever le harnais, de le démonter et le remonter, ils en sont incapables. »
Moiseyev faisait des travaux pratiques durant son apprentissage des courses attelées et il rend hommage à son père bien rompu à l’art, de lancer sa carrière professionnelle dans sa quatrième décennie.
« Les chevaux que mon père avait étaient un peu plus vieux. C’étaient des chevaux réclamés qui n’en étaient pas à leurs premières armes, ce qui rendait la chose plus facile à apprendre, » dit Moiseyev. « Il a toujours eu une écurie remplie de bons chevaux réclamés, ce qui était bien quand j’ai tout d’abord commencé à Freehold car j’avais tout de suite quelque chose à conduire. »
Et bien qu’il ait plus qu’investi de son temps pour assimiler le sport, Moiseyev aime encore faire les travaux pratiques sur tous ses jeunes chevaux.
« Nous commençons tout juste à dresser les bébés. Trois l’ont déjà été et quatre autres le seront, puis j’en achèterai un de plus ce qui en fera 18 pour l’hiver, ce qui représente beaucoup de travail, » dit Moiseyev. « Mais j’aime cela. Il faut aimer cela sinon vous ne dureriez pas plus d’une semaine dans ce sport. »
Bien sûr, quand vous avez autant d’expérience que Moiseyev, ce travail difficile semble beaucoup plus facile.
« Dresser un cheval prend trois ou quatre jours, » d’expliquer Moiseyev. « La première chose à faire est de les manipuler un peu et puis les laisser s’habituer à vous. Le jour suivant, vous leur mettez l’attelage et marchez autour de la stalle. Plus tard, vous les menez avec les guides. Vous vous tenez derrière eux, un homme de chaque côté, et leur enseignez comment se diriger vers l’extérieur. Habituellement, après deux jours, vous pouvez les attacher à un sulky et commencer à aller sur la piste, » continue-t-il. « Aujourd’hui, c’est tellement plus facile. Il y a plusieurs années, il aurait fallu deux semaines, mais ils sont prêts dès maintenant. »
« Mais on peut en avoir un bizarre… » d’ajouter Colville avec un sourire.
Non pas que Moiseyev s’accorde tout le crédit pour les succès de l’écurie.
« J’ai de la chance d’avoir deux bonnes employées ici, Jamie Hart et Linda Duncan. Elles sont deux des meilleures que j’aie eues pour travailler pour moi, » dit-il. « Pour être juste, si je ne pouvais pas venir durant quelques jours, elles seraient capables de tout faire parce qu’elles savent comment faire et le faire à mon goût. Elles sont très calmes autour des chevaux. Je leur fais confiance, et c’est la clé. »
Et en dépit des longues heures à se réveiller aux petites heures du matin et des courses se terminant aux lumières à Woodbine, Moiseyev aime encore son travail.
Ce matin, même souffrant d’un rhume l’ayant obligé à annuler quatre conduites le soir précédent, il était de retour sur la piste d’entraînement surveillant l’allure de ses chevaux.
« Chaque cheval court quatre milles par jour, et 12 chevaux étant dans l’écurie à l’heure actuelle, cela signifie 48 milles par jour sur une piste d’un demi mille. Mais il faut que ce soit fait, » dit-il dans un haussement d’épaules.
La plupart des amateurs de course connaissent les succès de Moiseyev en piste. Les superlatifs se sont accumulés au fil des ans, le vétéran conducteur ayant connu le succès dès son premier départ.
« À l’âge de 17 ans, j’étais au Brandywine Raceway. J’en ai mené un pour mon père. Je l’ai mené à bon port… » dit Moiseyev en souriant.
À 18 ans, il est déménagé au Freehold Raceway pour conduire les 20 chevaux de l’écurie de son père, ce qui donna un coup de fouet à sa carrière. Quelques années plus tard, Moiseyev menait une bonne partie du cheptel de l’entraîneur Brett Pelling et de là, continua à faire de nombreuses conduites pour le compte des préparateurs en conditionnement tels Bill Robinson.
Les victoires s’accumulaient. Le nombre de bons chevaux associés à son nom doubla et tripla. Mais un s’est démarqué du lot. En 1991, Moiseyev a connu sa meilleure saison à vie en menant le Cheval de l’année des États-Unis, Precious Bunny, à des victoires lors du Meadowlands Pace, Little Brown Jug, Adios et Breeders Crown.
« Precious Bunny a gagné chacune des courses dans lesquelles il était inscrit, » dit Moiseyev en souriant. « La première fois où je l’ai conduit, c’était parce que John Campbell avait décidé de mener Artsplace pour le reste de l’année. Le résultat, je dirais que Precious Bunny l’a battu 99 % du temps. »
Des souvenirs de Bunny remontent à sa mémoire et ses yeux s’illuminent au souvenir de l’édition 1991 de Meadowlands Pace comme si c’était hier.
« Je pouvais le déplacer partout vers où je le voulais sur le tracé et passer en flèche, mais j’aimais bien prendre mon temps avec lui, » se rappelle Moiseyev. « Lors du Meadowlands Pace, Campbell menait Artsplace, et il prenait son temps pour passer devant, et je le suivais. Je crois qu’il voulait me sortir quand je suis arrivé à sa hauteur, mais je suis sorti en troisième large avant qu’il ne dégage, et je suis passé en flèche autour de tout le monde, et zoom…
« Precious Bunny a quitté la barrière lors du Little Brown Jug plus vite que tout autre cheval que j’ai conduit de toute ma vie, » continue Moiseyev. « J’ai dû attendre que l’auto se tasse, c’est vous dire à quelle vitesse il allait. Sur cette piste d’un demi mille, il faut être très proche très tôt. Peu de chevaux, au cours des ans, sont revenus de l’arrière pour gagner là. »
Bien sûr, mener comprend aussi ses mauvais moments.
« J’ai eu trois graves accidents durant ma carrière, » dit Moiseyev. « En 1993, au Freehold, je me suis foulé la colonne vertébrale, causé quelques fractures au dos ainsi qu’une hernie discale. J’étais sonné et je me suis retrouvé à l’hôpital durant une semaine. »
Il s’agissait tout simplement d’un bête accident.
« J’étais en deuxième position et mon cheval est tombé. Il n’a ni trébuché ni titubé, il a tout simplement croisé les pattes et abandonné. Encore aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, » de dire Moiseyev. « Quelques conducteurs m’ont frappé par derrière. L’un m’a frappé dans la colonne vertébrale et je suis passé par-dessus le sulky comme une poupée de chiffon. Ça m’a fait mal, mais c’est la règle du jeu. »
En 2006. alors qu’il était aux guides d’Object Of Art à Mohawk, Moiseyev subit une sérieuse lacération à l’avant-bras quand il fut impliqué dans un accident impliquant deux autres chevaux, blessant aussi gravement, les conducteurs Randy Waples et Keith Oliver.
Puis il y eut cette autre soirée chaotique à Woodbine en 2011, quand Moiseyev fut impliqué dans un accident au cours des éliminatoires des ‘Summertime Stakes’ alors qu’on vit le conducteur mal assis acrobatiquement.
Colvillle était au travail ce soir-là.
« Elle est arrivée la toute première… à pied. Elle avait traversé la piste, » se rappelle Moiseyev.
Ce dramatique accident, qui a aussi projeté Luc Ouellette par terre, ont constitué les faits saillants des sports plus tard ce soir-là.
« Jack était conscient et pouvait parler, et il nous a dit où il avait mal. Heureusement, ce n’était qu’une fracture à la jambe. C’aurait pu être bien pire, » dit Colville.
Moiseyev, de forte constitution, hausse les épaules et pousse un soupir quand on lui demande si les accidents lui fournissaient une pause lui permettant de réfléchir à ses choix de carrière risqués.
« On y pense quand on mène pour les premières fois par la suite, mais on oublie vite. Si on y pensait, on ne ferait plus rien de bon, » dit-il.
Et aujourd’hui, ayant atteint les dernières étapes de sa carrière de conducteur, Moiseyev est content de choisir ses endroits.
« Quand j’étais jeune, j’en menais 22 par jour. Onze durant la journée à Freehold, et 11 en soirée à Meadowlands. J’aimais cela, » dit-il avec un sourire. « J’aime encore conduire, mais mon corps n’aime plus cela comme avant. Je ne veux plus en mener 10 par soir. Mais je serais heureux de courser les miens et en avoir quelques autres bons. »
À son apogée, Moiseyev offrait la combinaison ultime de la quantité et de la qualité. En 1991, il s’est frayé un chemin lors de 3896 départs, gagnant 769 courses et engrangeant au-delà de 9,5 M $.
Le nombre de départs a diminué progressivement au fil des ans pour Moiseyev, mais il continue de mener à un bon pourcentage tout en faisant la transition de son rôle de conducteur en vue à celui d’entraîneur à l’écurie pour la récolte en plein essor de leur élevage domestique.
En 2014, il a enregistré une marque UDR de .382 en tant qu’entraîneur lors de six départs victorieux en 27. Cette saison, Moiseyev en est à une marque UDR de .325, ayant préparé 35 gagnants en 150 départs.
Ses efforts ont attiré l’attention de l’annonceur de piste Ken Middleton, qui, s’il devait voter aujourd’hui, cocherait la boîte à côté du nom de Moiseyev pour l’O’Brien Award Horsemanship.
« Le prix horsemanship est fondé sur quelqu’un aux multiples rôles. Il ne s’agit pas d’une catégorie unique, il s’agit d’une combinaison de conduite, d’entraînement et plus, » explique Middleton. « La moyenne à l’entraînement de Jack cette année, depuis fort longtemps, a été aux environs de .350, tout près de .400 et ce n’est pas que sur un ou deux chevaux, c’est sur un échantillonnage assez large. Si vous pouvez frapper à .350 au baseball, ce serait très bon, et Jack le fait ici sur le circuit le plus difficile des courses.
« Il prend de jeunes chevaux, des chevaux de course, trotteurs, ambleurs, peu importe, » continue Middleton. À mes yeux, voilà la vraie signification de horseman. Ce n’est pas quelqu’un qui peut ne travailler qu’avec des vieux chevaux ou des yearlings pour en faire des chevaux de course. Jack prend des réclamés, pour la nuit, il fait tout. Il est un horseman complet. »
Middleton et partenaire, Stacey Reinsma, ont mis leur confiance dans le vétéran conducteur à répétition au cours de cette saison, pour développer Lady Marina, une jument de deux ans Art Colony.
« Quand vous avez de jeunes chevaux, il est crucial, lors des tout premiers départs, de faire ce qu’il faut pour le cheval, » dit Middleton. « Des conducteurs peuvent être des conducteurs très agressifs et c’est leur façon de faire. Mais Jack, en tant que horseman, travaille avec de jeunes chevaux tous les matins et il a un bon jugement quant à la manière de les mener à bon port.
« Il leur enseigne en bas âge la façon de courser, de doubler et d’être rapide à la fin du mille et terminer dans son allure, » de continuer Middleton. « Il ne les laisse pas fatigués à la fin de la course. Jack est plus de la vieille école et il étudie le cheval. Il fait ce qui se doit pour le mieux-être du cheval. »
Tout le dur travail de développement de Lady Marina a connu son succès le 15 octobre, quand la jument gagna avec grand style, favorite à 10-1, à Woodbine. Malheureusement, Moiseyev qui avait monté le sulky lors de ses six premiers départs, a dû se décommander, souffrant d’un rhume pour remettre les guides à Jonathan Drury qui s’est fait plaisir.
« Jack a fait tout le travail préparatoire pour la faire progresser comme il faut en autant que faire se peut. Il ne l’a pas mise dans des conditions compromettantes tôt dans sa carrière, et c’est tellement important lors des quelques premiers départs de ne pas trop leur en demander, » dit Middleton. « Bien sûr, cela paraît bien quand votre cheval sort et gagne la première fois en :51 ou :52, mais parfois, cela lui fait plus de tort que de bien. Il les mène en conséquence. Quand il les qualifie, il les ressent et vous dit de quoi ils sont capables dès leur premier départ. »
C’est ce genre de horsemanship qui attire l’œil d’un homme qui regarde plus de courses que quiconque au pays.
« Jack est en grande demande quand vient la saison des ‘sires stakes’ en juin, quand les bébés arrivent à Mohawk. Il mène pour un certain nombre d’écuries non seulement pour une grande écurie, » dit Middleton. « Le temps venu, il aura mon vote. »
Moiseyev et Colville continuent d’être un grand exemple pour la communauté standardbred. Les deux ont un fort sens de la famille. La fille de Colville, Emma, 13 ans, est bien connue dans l’industrie, et en plus de vouloir imiter sa mère en tant que cavalière, elle apprend les rudiments du sport à partir des tout débuts, au grand plaisir de Moiseyev.
« Nous avons Daylon Magician qui a été amené à la ferme présentement, et c’est tout un numéro, » dit Moiseyev. « Si bien, qu’un de nos employés avait beaucoup de difficulté à le faire marcher tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il en avait un peu peur, à vrai dire. »
Mais pas le jeune Emma.
« Aussi difficile qu’il puisse être, arrive Emma pour en prendre soin en disant ‘je vais vous montrer comment faire,’ » dit Moiseyev en riant. « Elle est sortie et a entraîné Daylon à l’extérieur du paddock, le faisant marcher vers la stalle, comme si ce n’était rien. Aucune crainte. »
Moiseyev a trois enfants lui aussi, Amy, 27 ans, Danny, 24, et Mike, 18, vivant au New Jersey. « Mon fils Danny est ici et nous aide à la ferme présentement, » dit Moiseyev. « La famille est très importante pour nous. Joanne et moi, avons un groupe de nouveaux jeunes chevaux qui viennent chaque année, et d’avoir des membres de la famille pour nous aider c’est essentiel. »
Sans qu’il soit tout de suite question de passer le flambeau.
« Ce sport vous entre dans le cœur, et quand il y est, il est difficile de l’en sortir, » dit-il. « Je retire beaucoup de satisfaction à dresser mes propres chevaux et à les voir devenir convenables. »
« Vous êtes toujours à la poursuite de ce rêve. Tout comme le fait d’acheter un billet de Loto 6/49, » ajoute Colville.
Ils continueront donc d’élever des chevaux et à travailler fort, en attendant le prochain grand moment. Et Moiseyev est prêt à attendre. Quoiqu’il en soit, il continuera à apprécier la promenade.
« Si j’avais à choisir la chose la plus importante quand il s’agit de horsemanship, » sourit Moiseyev, « ce serait la patience. »