Vincent Trudel est aux premiers plans de l’industrie canadienne des jeux depuis plus de 20 ans, d’abord à titre de cadre chez Loto Québec, ayant dirigé l’ouverture du premier casino de la province à Montréal en 1993,
puis chef d’exploitation de la Great Canadian Gaming Corporation, et depuis 2011, il agit à titre de directeur général du Jockey Club Québec, association sans but lucratif administrant l’unique hippodrome en opération au Québec, à Trois-Rivières, et supervisant les neuf salons de paris de la province ainsi que le pari par internet.
Paul Delean a récemment rencontré M. Trudel, qui lui a fait part de ses opinions sur l’industrie des courses de chevaux et où elle se situe aujourd’hui dans le paysage du jeu, lequel est grandement concurrentiel.
TROT: Dans un monde parfait, et si tout va exactement comme vous l’espérez, à quoi ressemblera l’industrie des courses de chevaux au Québec d’ici 20 ans ?
TRUDEL: Je ne suis pas très à l’aise de faire des prévisions à si longue échéance. Je ne crois pas que ce soit réaliste. Nous travaillons sur un programme quinquennal que nous espérons mettre en œuvre avec succès, et si nous réussissons, nous devrions relever l’industrie des 700 emplois à temps plein qu’elle compte présentement, pour la porter à environ 3000. Cela signifierait une augmentation similaire de la population de chevaux de course, des études démontrant que c’est environ 1,1 emploi qui se crée par cheval. Un deuxième hippodrome dans la province, celui-là dans la région de Montréal, fait aussi partie du programme, mais il reste à définir quand ce sera faisable. Nous ne sommes pas aussi avancés que nous l’aurions souhaité. Et pour y arriver, certaines choses doivent encore arriver.
TROT: Pouvez-vous spécifier ce qu’il faut pour y arriver?
TRUDEL: Nous avons proposé deux mesures qui produiraient pour le gouvernement des bénéfices excédentaires à leur coût. L’une serait la remise à l’industrie, du 2,5 pour cent de taxe provinciale que nous payons sur tous les paris de courses de chevaux dans la province, à l’Hippodrome 3R, aux salons de paris et sur HorsePlayer Interactive. Cela s’élèverait à approximativement 2 M $ par année en fonction des niveaux de paris actuels qui sont d’environ 80 M $. Cela ferait une énorme différence sur le montant de nos bourses (qui sont présentement d’environ 2,5 M $ par année), et créerait des emplois. Nous souhaiterions aussi que le gouvernement remette au Jockey Club Québec, une cote de 22 pour cent (évaluée à 2 M $ par année) des sommes générées par le ludoplex (centre de jeux, propriété du gouvernement) et adjacent à l’Hippodrome 3R. Ceci équivaudrait au même pourcentage payé au défunt opérateur de piste, Attractions Hippiques, alors qu’ils en étaient les exploitants. Les ludoplex ont été créés pour l’industrie. Depuis la réouverture de l’hippodrome, nous n’avons rien reçu du ludoplex.
TROT: Qui doit être le leader des efforts mis de l’avant pour l’industrie?
TRUDEL: Le Jockey Club Québec, comme il en était. C’est une organisation sans but lucratif, comptant seulement quatre employés à temps plein et un conseil d’administration composé de directeurs respectés. Tout ce que nous générons en revenus retourne entièrement à l’industrie. Les hommes de chevaux ont voté très massivement en faveur de laisser le JCQ intervenir au nom de l’industrie, parce qu’il est important, particulièrement lors des discussions avec le gouvernement, de le faire d’une seule et même voix. Lorsqu’il y a de trop nombreux interlocuteurs, il est facile pour le gouvernement de ne pas y porter attention.
TROT: De quel soutien l’industrie a-t-elle besoin au Québec?
TRUDEL: Elle a besoin que le gouvernement provincial constate l’intérêt renouvelé pour les courses au Québec, et qu’il comprenne tout le potentiel économique de cette industrie, particulièrement dans les régions. Il doit bien faire comprendre aussi à Loto Québec qu’ils doivent étroitement et intelligemment travailler avec nous, au développement de nouveaux produits. C’est normal. Le pari mutuel est un jeu. Il doit faire partie de la stratégie du jeu. La collaboration pourrait être mutuellement bénéfique. Nous avons un produit intéressant, ils ont un réseau de ventes haut de gamme. Mais telle n’est pas la situation présentement
TROT: De quel soutien provenant de l’extérieur du Québec, l’industrie a-t-elle besoin ?
TRUDEL: J’aimerais voir les juridictions de course collaborer à l’exemple des corporations de loterie provinciale lorsqu’elles ont lancé le Lotto 6/49 dans les années ‘80’, en faisant un succès national et offrant des lots plus importants. Peut-être pourrions-nous arriver à un pari similaire au Quinté Plus en France et au V75 en Suède. Un championnat national de handicapping pourrait aussi générer de l’intérêt.
TROT: Quelles sont vos plus grandes inquiétudes (du genre qui vous gardent éveillé la nuit)?
TRUDEL: Nous sommes une très petite organisation et contrôlons nos coûts de façon très serrée. Il n’y pas beaucoup de marge de manœuvre. Si nous ne parvenons pas à engager le gouvernement envers nous, ce sera très difficile d’augmenter le nombre de professionnels, propriétaires et éleveurs, et d’augmenter les bourses au niveau de notre cible de 10-12 M $ par année. Nous pourrions être capables d’en arriver à 100 M $ (de cagnotte totale annuelle) des 80 M $ qui consistent en nos recettes actuelles et sources de revenus limitées, mais cela ne fera pas beaucoup de différence quand il faut payer le gouvernement, les exploitants de salons de paris, les pistes hôtes et HPI à même la retenue du 20 pour cent. Le profit net pour chaque dollar parié sur les courses n’est pas substantiel. Notre retour n’est que de 5-9 pourcent. Et à chaque année, cette industrie perd des parieurs sur les courses. Même si vous attirez des nouveaux joueurs, ils ne remplaceront pas immédiatement le parieur de longue date qui mise quelque deux cents dollars par jour. Voilà une autre inquiétude.
TROT: Y a-t-il un rôle modèle à succès que vous considérez?
TRUDEL: C’est tout à fait remarquable de voir ce qui a été fait pour les courses de chevaux en France et en Suède. Ce sera aussi intéressant de voir ce qui résultera de la directive de la Première Ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, à l’Ontario Lottery and Gaming Corp., à l’effet de travailler avec l’industrie. Ce pourrait être un modèle pour nous au Québec.
TROT: Pourquoi vous intéressez-vous autant à l’industrie? Pourquoi est-elle aussi importante?
TRUDEL: Mon expérience ne me vient pas des courses, et je suis encore en apprentissage. J’aime aller au paddock, être à l’hippodrome à chaque programme. La révélation pour moi fut de constater toute la passion que ces gens vouent à l’industrie, comme ils travaillent fort, leur investissement en temps, effort et argent. Ce sont de bonnes personnes, créatrices d’une réelle valeur économique dans leurs régions. Le gouvernement investit de différentes manières dans beaucoup d’autres secteurs. Pourquoi pas celui-ci?
TROT: Les courses de chevaux ne sont pas le seul secteur de jeu à lutter au Québec ces jours-ci. Les casinos et loteries ont également vu leurs recettes atteindre un plateau et leur rentabilité chuter. Les jeux auraient-ils atteint leur maturité faisant face à un déclin inévitable?
TRUDEL: Il y a encore un bon potentiel pour les jeux dans chacune des juridictions. Il faut juste les gérer de façon innovatrice et développer des produits attirants pour les joueurs. La concurrence est beaucoup plus farouche aujourd’hui. Il faut s’ajuster rapidement. Lors de l’ouverture du premier casino au Québec, nous l’avons fait avant que l’Ontario et New York aient le leur, et nous avons pu capitaliser là-dessus. C’était le casino le plus rentable en Amérique du Nord, même plus que ceux de Las Vegas… pour un certain temps. Les choses on changé. Il y a tellement plus d’options de jeux aujourd’hui, particulièrement sur l’internet. Ce n’est pas une cause perdue. La jeune génération peut être attirée par de nouveaux jeux; voyez comment les tournois de poker ont démarré. Mais il faut trouver une façon de les atteindre et faire que ce soit simple. Les mises en pari mutuel sont faciles à comprendre si vous allez aux courses depuis un bon moment, mais ce n’est pas aussi clair pour quelqu’un qui ne l’a jamais fait. Nous avons besoin d’un produit simple, grand public, et qui peut se vendre à travers un large réseau. Si rien ne se fait, si nous n’obtenons pas d’investissement gouvernemental bientôt, si nous devons survivre uniquement sur le pari mutuel comme nous le faisons maintenant, ce sera difficile juste de maintenir ce que nous avons.