S’il vous a été donné de passer un certain temps auprès de chevaux de course, vous avez également dû passer du temps à réfléchir à leur respiration et aux défis auxquels ils sont parfois confrontés.
Dr Reynaud Léguillette est très sérieux quand il parle de santé respiratoire chez les équins et TROT l’a rencontré pour justement discuter du passé, du présent et de l’avenir de la recherche sur le sujet. By Melissa Keith / Traduction Louise Rioux
En juin 2016, la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Calgary a annoncé la nomination du Dr Reynaud Léguillette à la tête de sa première ‘Chair in Equine Sports Medicine’. Le poste a été créé grâce à l’encouragement et un don de démarrage de la part du Calgary Stampede, et qui s’est élargi pour inclure plusieurs petites contributions financières provenant de sources multi-disciplinaires et multi-races de la Western Canadian Industry. « Je suis très impliqué dans le travail clinique et la recherche avec la communauté de l’Alberta, autour de Calgary, » dit le spécialiste vétérinaire. « Le doyen a pensé que le meilleur service à rendre à la communauté serait de créer une Chaire de façon à ce que je puisse plus me focaliser sur la recherche. »
Léguillette définit son domaine de médecine sportive équine comme « étant vraiment un exercice de physiologie. » Bien qu’intéressé par les sujets musculosquelettiques, il a consacré une bonne partie de sa carrière à ce qu’il considère être « le facteur limitant la performance des chevaux » – soit le système cardiovasculaire. « J’ai réalisé de nombreuses études sur la respiration, les voies respiratoires inférieures et les poumons, ces sujets ayant été mes intérêts depuis plusieurs années et c’est la façon dont j’ai débuté mon entraînement. J’ai fait des études en clinique et sur le terrain relativement aux poumons et sur l’inflammation pulmonaire chez les chevaux. Mon autre point d’intérêt est aussi la physiologie de l’exercice, alors c’est presque naturel : si vous avez de l’intérêt pour les poumons des chevaux, alors la physiologie de l’exercice vous intéresse – vous savez, ils vont de pair. »
Ce vétérinaire des plus occupé, travaille auprès d’une variété de races, à partir des chevaux de trait aux quarter horse de barrel-racing ainsi qu’aux coureurs et chevaux de course de chuck-wagon thoroughbred.
Les standardbred évoquent des souvenirs de son entraînement et de ses tout débuts de carrière à l’Hippodrome de Montréal. « Non pas durant mes études, mais j’ai réalisé beaucoup de travail clinique avec eux, » de clarifier Léguillette. « J’ai fait bien des endoscopies dynamiques ou sur le sol sur des standardbred. J’ai aussi fait un peu de test de conditionnement physique aussi sur les standardbred; durant ma période de résidence et de mon internat, j’étudiais à l’Université de Montréal, alors qu’à l’époque, 50% de la charge de travail portait sur les standardbred, essentiellement. J’ai fait passer des tests de tapis roulant à très haute vitesse à ces standardbred alors que j’étais clinicien à l’Université de Montréal. J’ai pratiquement débuté les tests de physiologie de l’exercice ainsi que ceux du conditionnement physique avec eux. »
À son arrivée à Calgary il y a dix ans, le Dr Léguillette s’est retrouvé avec une clientèle pour course attelée, mais avec trop peu de chevaux de course standardbred lui permettant d’initier des études sur le terrain qui lui fourniraient des statistiques adéquates. Stampede Park a fermé ses portes en tant que piste de course en 2008, sans qu’il y ait de remplacement local jusqu’en avril dernier. Depuis l’ouverture de Century Downs, « nous avons beaucoup plus de ces chevaux et ça va en augmentant, » remarque-t-il avec plaisir. « Je suis certainement intéressé. J’aime vraiment ces chevaux, parce qu’il est facile de travailler avec eux et que le style d’exercice qu’ils font est très unique. »
Le titulaire de chaire récemment nommé, considère l’un des attributs des chevaux de course standardbred comme inhabituel, en faisant un point de départ valable pour d’autres études. « Les standardbred sont présentement uniques dans leur façon de respirer, » explique Léguillette, en citant le travail réalisé par d’autres chercheurs.
« D’après toutes les révisions des lectures, études et littérature que j’ai faites, ma compréhension est à l’effet que les thoroughbred ont une synchronie parfaite (c.a.d. qui coïncide) entre la fréquence respiratoire et leurs foulées, alors à chaque fois que leurs sabots touchent le sol, ils commencent à expirer, c’est donc pourquoi les thoroughbred courant à pleine vitesse ont un taux d’oxygène dans le sang beaucoup plus bas que quand ils sont au repos (c.a.d. hypoxie) et que leur taux de CO2 (dioxide de carbone) est beaucoup plus élevé. Ce qui veut dire qu’ils sont à la limite de ce que leurs poumons peuvent faire, et c’est pourquoi nous pensons que les poumons sont le facteur limitatif de la performance chez les thoroughbred au galop. Et pourquoi en est-il ainsi? Je crois que c’est parce que ces chevaux sont confinés à une synchronie entre l’allure et le rythme respiratoire. Ils respirent aussi vite que leurs foulées en fréquence. »
Notamment, ce trait n’est pas partagé par les trotteurs ou ambleurs à l’entraînement et en compétition. « D’après ce que j’ai lu au sujet des standardbred, c’est qu’ils sont plutôt uniques, car ils ne sont pas aussi synchronisés que les thoroughbred, » continue Léguillette. « Ils ont plus de contrôle sur leur stratégie respiratoire quand ils coursent. C’est fascinant, à mes yeux, parce que les thoroughbred sont hypoxiques et hypercapniques (c.a.d. un bas taux d’oxygène et un haut taux de dioxyde de carbone dans le sang) quand ils coursent. Alors c’est comme s’ils toléraient le manque d’oxygène, mais il leur serait bénéfique de respirer un peu plus lentement, avec un petit peu plus de volume. » Ce type de respiration fait-il remarquer, n’est pas un problème pour leurs contreparties des courses sous harnais : (les thoroughbred) ne font pas cela parce que nous pensons que cela leur serait trop coûteux en énergie, comparativement aux standardbred. Les standardbred font présentement cela, soit respirer un peu plus lentement, avec un peu plus de volume, et ils sont un peu moins hypoxiques quand ils courent. »
Le jour de son entretien avec TROT, l’expert en respiration équine se disait emballé par cette nouvelle recherche. « Nous venons d’envoyer aujourd’hui notre demande de subvention afin d’investiguer la raison pour laquelle les chevaux souffrent de EIPH (hémorragie pulmonaire provoquée par l’exercice ou de ‘saignement’) » dit Léguillette. « Nous avons quelques hypothèses : c’est à la base un problème de pression sanguine. C’est l’approche que nous prenons. Je veux comprendre pourquoi les chevaux saignent, et ce, de façon sensée tant pour les chevaux de course barrel-racing, les standardbred et thorughbred. Maintenant, trouvons une solution de long terme et abordons-la. Je crois que nous pourrons trouver cette solution dès que nous comprendrons les mécanismes du saignement. Bien que les chevaux qui saignent se trouvent parmi la plupart des races de chevaux de performance haute vitesse, la condition commune demeure peu comprise et il n’y a pas de remède. Un récent programme présenté au Yonkers Raceway a bien illustré comment le traitement préventif au Lasix contre l’EIPH convient aux standardbred : des 112 chevaux participant au programme de l’ International Trot du 15 octobre, seulement 30 ont couru sans médication.
Le chercheur en médecine vétérinaire de l’Université de Calgary veut amener l’EIPH au-delà de l’évidence. « Alors les capillaires (c.a.d. minuscules vaisseaux sanguins) éclatent (dans les poumons) et nous sommes tous d’accord, absolument; maintenant la question est pourquoi éclatent-ils? » demande-t-il. « Nous savons que ces capillaires ont en quelque sorte une résistance limitée au changement dans la pression des deux côtés, alors si vous en exigez trop de leur part, ils vont éclater. Nous sommes tous d’accord là-dessus, à l’effet que ces capillaires ont une limite, et ils ont atteint cette limite quand ces chevaux saignent. Et nous n’en connaissons pas le nombre – nous ne savons pas combien de pression ils peuvent tolérer avant d’éclater. » En investiguant les coureurs thoroughbred, Léguillette et son équipe espèrent trouver une relation entre le saignement provoqué par l’exercice et les sources possibles de pression causant du dommage à ces capillaires pulmonaires fragiles. « Maintenant, la question est, OK, qu’est-ce qui provoque cette pression? Est-ce parce que le cœur pompe trop de sang? Ou parce qu’il y a trop de pression négative, ou de pression dans les voies respiratoires? »
La dernière possibilité – la pression négative ou vide dans les voies respiratoires des chevaux qui saignent - en est une qui exploite le thème cohérent de la spécialisation vétérinaire de Léguillette. « Je vois toujours cela. Je pratique beaucoup de ce que nous appelons des endoscopies dynamiques, en utilisant un un endoscope à dos portable sur les chevaux pour voir l’intérieur de leur gorge quand ils courent en piste, et je peux vous dire à 100%, si le cheval a souffert d’obstruction dans la gorge, la gorge du cheval se rétrécissant alors qu’il est en course. Je peux vous garantir, s’il s’agit d’un cheval de course, qu’il va saigner. »
Mais il insiste pour dire que cette explication ne constitue pas tous les cas ou la plupart des cas d’EIPH. « S’il y a 80% des chevaux qui saignent en course, vous en verrez 5% ayant un problème de gorge. Soixante quinze pourcent (75%) des chevaux saignent sans raison, il faut donc en trouver la cause. Nous espérons obtenir plus de réponses au cours de la prochaine année et demie ou deux ans; c’est une bourse d’étude de deux ans. »
Pour des raisons inconnues, les chevaux standardbred sont particulièrement sujets à la fibrillation auriculaire, un rythme cardiaque inhabituellement rapide et/ou un rythme cardiaque irrégulier. Léguillette dit que ses activités cliniques l’amènent à être en contact avec des chevaux de course sous harnais affectés par la fibrillation auriculaire, lesquels note-t-il sont à risque élevé de souffrir de l’EIPH. En évaluant les chevaux qui saignent, il suit un procédé par élimination pour la vérifier ainsi que vérifier d’autres problèmes souvent constatés chez les standardbred. « Lorsque je rencontre un cas d’EIPH ou de saignement, j’élimine en premier les problèmes, puis j’examine la gorge; je vérifie le cœur; je cherche à savoir s’il s’agit de fibrillation auriculaire ou la dynamique d’obstruction de la gorge, puis, si je ne trouve rien, rien, rien, je peux dire ‘OK’, vous avez un cheval qui saigne’ – je ne peux pas déterminer pourquoi il saigne, mais la plupart du temps, on peut aider ces chevaux en trouvant la cause première du saignement. »
Il trouve des obstructions des voies respsiratoires chez les standardbred qu’il visite et il considère ce sujet mûr pour la recherche. « Je ne sais pas si c’est parce que nous avons maintenant un hippodrome de courses attelées à Calgary ou quoi, mais je passe beaucoup d’endoscopies dynamiques sur eux, » rapporte Léguillet. « Je leur trouve de nombreux problèmes à la gorge. ‘Renversement du palais mou’ comme disent les gens. Je pense, en fait, qu’il y a un lien entre ceci et la fibrillation auriculaire, probablement, mais je n’en ai aucune évidence. » L’activité au Century Downs signifie plus de possibilités de champs d’études pour la Chaire ‘Équine Sports Medicine’. « De toute évidence, le fait que l’hippodrome ne soit pas très loin de nous, est un facteur important, très certainement, parce qu’il génère plus de travail clinique pour moi, et que ce travail en clinique génère d’autres idées de recherche » ayant « plus de pertinence » pour ses patients, leurs propriétaires et entraîneurs. Comme l’University of Calgary Faculty of Veterinary Medicine fonctionne comme un DTVH – a Distributed Teaching Veterinary Hospital – il pratique à partir d’un centre de référence tout près, menant à un contact plus direct avec les chevaux de course réguliers, plutôt que les cas graves qui prédominent aux cliniques sur le site.
Le gagnant du prix 2014 Zoetis Research Excellence Award a tenu son premier webinaire à la mi-octobre, répondant aux questions d’un auditoire composé de centaines de participants en ligne. Il dit que plusieurs participants voulaient en savoir davantage sur un diagnostique particulier : « Bien sûr, j’ai eu beaucoup de questions concernant l’EIPH – c’est une grande inquiétude pour l’industrie, c’est très clair. Les gens connaissent très bien le problème.» La prévention était un thème courant ajoute-t-il. « J’ai eu un grand nombre de questions au sujet des bandes nasales, d’autres concernant la vaporisation chez les chevaux souffrant d’inflammation des voies respiratoires, sur le contrôle – comment éviter la poussière. Les gens veulent en savoir davantage sur ces sujets et comment ils agissent. Les gros problèmes, comme je les ai ressentis, sont l’EIPH et le contrôle de la poussière. »
L’EIPH peut rester un mystère non résolu pour l’instant, mais le contrôle de la poussière ne l’est pas. « Comme probablement tout un chacun le sait, mais nous, nous le savons de façon certaine, la poussière est néfaste pour les poumons des chevaux,» de dire Léguillette, un brin de frustration dans la voix.« C’est très sensé, mais quand vous sortez, quand vous voyagez un peu partout et que vous visitez ces écuries, parfois vous vous demandez… je veux dire, vous voyez des chevaux qui restent 24-7 à l’intérieur d’écuries poussiéreuses, poussiéreuses. » Il rappelle aux propriétaires, entraîneurs et soigneurs, que l’une des causes majeures des problèmes de poussière est hautement évitable. « La première leçon que j’ai tirée est que les balles de foin rondes ne sont pas très bonnes pour vos chevaux, parce qu’ils creusent dedans et qu’il vous faut prévenir l’aspect du creusage. Comment faites-vous cela? Soit que vous clôturiez vos balles ou que vous les dérouliez et les travailliez à la fourche, ou que vous installiez un genre de filet par dessus. » Ensuite, il y a la question de l’exposition à la poussière des chevaux qui voyagent entre les fermes et les hippodromes. « La poussière dans une remorque est très mauvaise alors comment la prévenez-vous? Il n’y a pas de filet qui pend devant le nez de votre cheval; vous utilisez soit des cubes de foin ou du foin à l’étuvée. J’aime bien les cubes de foin, j’aime aussi le foin à l’étuvée, j’aime que les gens soient minutieux en ce qui concerne la litière et soigneux en ce qui concerne les balles rondes de foin.
Qu’un cheval passe la majorité de son temps à l’extérieur ou à l’intérieur, le vétérinaire de Calgary note que le fait de réduire l’exposition à la poussière est crucial pour la santé et la performance. « Quand je diagnostique de l’asthme chez un cheval, je dis toujours à mes clients, pensez à votre cheval comme si c’était un enfant asthmatique allergique à la poussière. C’est ce qui se passe. Emmèneriez-vous votre enfant asthmatique, allergique à la poussière au milieu d’une écurie poussiéreuse? Possiblement pas! Le problème c’est que l’entretien devient assez onéreux et difficile à réaliser. « Les stratégies fondamentales pour limiter l’inhalation de particules en suspension comprennent le nettoyage des stalles quand les animaux sont à l’extérieur le matin et ne les rentrer que quand le travail est terminé; le balayage humide des allées; et l’utilisation de foin à l’étuvée.
Les courses en hiver, ajoute-t-il, ne sont pas une contrainte pour les chevaux attelés. « Cela me rappelle les standardbred à Montréal (…) Je venais de France et mon premier hiver a été, ‘Wow – c’est vraiment froid ici’. Ils font courir ces standardbred et il fait moins 15, moins 14 degrés Celsius. Je me disais, ‘comment font-ils? Ce doit être mauvais pour eux! » J’étais étonné aussi de voir que les chevaux locaux et les hommes de chevaux enduraient ces conditions avec peu de plaintes. Léguillette remarque que la recherche sur les effets du froid sur les poumons des chevaux pendant l’exercice a révélé qu’il y avait définitivement une réponse ‘pro-inflammatoire’, mais elle nécessite une investigation plus approfondie afin d’apprendre s’il y a un impact durable et quel pourrait-il être. Le genre de froid rencontré durant la pleine saison de l’hiver canadien ne faisait même pas partie de l’étude mentionnée, observe-t-il en riant. « L’investigateur en chef n’est pas allé au froid extrême parce qu’il travaillait en Oklahoma, et il devait ainsi générer le froid, ce qui représentait tout un défi pour lui. »
De sa base à Calgary, Dr Léguillette admet qu’il est maintenant habitué à nos hivers canadiens tout autant que les standardbred et les hommes de courses sous harnais qu’il a rencontrés à l’Hippodrome de Montréal.
Sa position à la Chaire de l’Equine Sports Medicine est un mandat de cinq ans, qu’il aimerait voir s’échelonner indéfiniment, mais cela nécessiterait un investissement majeur de la part d’un donateur.
« J’aime la recherché basée sur les évidences, mais la vérité c’est que la recherche équine est assez pauvre, » dit-il à TROT. « Il n’y a pas beaucoup de financement, ce qui fait que nous n’avons pas beaucoup d’études ni beaucoup de réponses. Nous avons de nombreuses questions, parce que les gens sont bien informés et qu’ils gardent les yeux ouverts et observent les choses. Mais nous avons très peu d’études sur la médecine équine dans son ensemble, comparativement à la recherche sur les humains ou même sur les petits animaux! C’est là-dessus que j’essaie de contribuer très certainement – en essayant de faire de la recherche pertinente aux gens, mais il existe probablement une étude disponible pour un millier de questions, malheureusement. »
Léguillette dit qu’il apprécie le fait de faire partie de la scène multi-facettes du sport des chevaux, à partir de Century Downs à Spruce Meadows au Stampede de Calgary. « Je pense que nous sommes très chanceux à Calgary d’avoir une industrie qui nous supporte bien, » dit-il, alors qu’il est en route pour donner son cours à des vétérinaires en devenir. « Les chevaux sont très importants de l’avis du public en Alberta. Ils font vraiment partie de l’héritage. »