Il est sept heures du soir à Orlando, Floride. Quelques familles se bousculent pour s’accaparer une place, occupés à placer leurs bagages à leur côté, au moment où une navette de l’aéroport s’approche du trottoir. Après une semaine épuisante avec les enfants, un calme surprenant tombe sur le groupe auparavant exubérant.
Penché sur ma valise, j’apprécie les trente minutes que durera le trajet vers l’aéroport et même le vol tardif en soirée vers notre maison frigorifiée. Finalement, le souvenir de ce à quoi ressemble le calme me revient.
La porte de l’autobus s’ouvre et un homme de bonne humeur descend vers nous.
« Hello, je m’appelle Michael, et je suis originaire de Montréal. Avant, je conduisais des chevaux – des chevaux de course. Puis-je prendre vos bagages? »
Surpris, je lui tends nos bagages, vérifiant rapidement qu’il n’y avait pas de logos sur mes possessions. Est-ce que quelque chose aurait pu lui laisser entrevoir le fait que je travaille dans le domaine des courses sous harnais canadiennes? Ou est-ce sa façon coutumière d’accueillir les passagers montant à bord de son autobus?
Je lui dis discrètement d’où nous venons et où je travaille. Dès lors, son visage s’éclaire. Le flot de ses paroles s’accélère. « Vous savez, j’ai encore une belle deux ans aux courses. Elle est à Chicago. Son frère propre a amblé un mille en quarante-huit et trois. »
Comme nous montons à bord de l’autobus et que nous nous frayons un chemin dans l’allée, Michael nous interpelle. « Ne vous asseyez pas tous à l’arrière. Venez vous asseoir ici, en avant. » Nous retournons de bord et nous assoyons huit rangées derrière le chauffeur, dans les premiers sièges disponibles.
Puis, comme Michael baisse les lumières et part de l’hôtel, il commence ses descriptions au haut-parleur. « Le trajet durera environ une demi-heure, » dit-il. «À votre gauche, vous verrez l’un des plus récents hôtels à avoir été construits dans la région. Il compte 3 200 chambres. Elle a du sang d’Albatross – la pouliche. Elle me rappelle beaucoup Albatross. »
Plusieurs passagers regardent tout autour, intrigués et confus quant à ce que leur chauffeur vient de dire. « A-t-il parlé de sang? » demande un homme à la femme, nerveusement.
« Non, il parle de l’albatros, » lui répond-elle avec hésitation. « Je crois que c’est un oiseau. »
« Son frère plus jeune, a été mis en vente en Illinois, » continue Michael. « Nous avons pensé l’acheter, mais finalement, avons décidé de ne pas le faire. Il y a certainement beaucoup de bons hommes de chevaux au Canada… »
Comme Michael poursuit la route, je commence à converser avec lui – moi dans la huitième rangée, lui au volant de l’autobus – et le haut-parleur en fonction de façon intermittente. Personne d’autre ne se joint à notre conversation, mais elle se poursuit.
J’aime bien parler avec Michael mais en même temps je me demande si notre discussion ne tombe pas sur les nerfs de quelques-uns autour de nous. À ce stade-là, ils comprennent que nous parlons chevaux de course, sujet dont ils se sont probablement désintéressés – du moins, c’est l’explication que j’ai trouvée. À l’occasion, Michael signale aux passagers, quelques faits ou panoramas locaux. Mais il ne laissera pas passer une rare occasion de parler de courses.
Puis nous arrivons au terminus et commençons à descendre de l’autobus, le passager assis en avant de moi souhaite bonne chance au chauffeur avec ses chevaux. Je donne mon numéro de téléphone à Michael et l’invite à m’informer de ce que sa pouliche fait. « Il me semble qu’elle pourrait bien être spéciale, » que je lui fais remarquer, me promettant de faire des recherches à son sujet à mon retour à la maison.
En marchant dans l’aéroport, je pense immédiatement aux courses sous harnais et à la place qu’elles occupent dans le cœur des gens. Si Michael avait été un quilleur, un joueur de baseball ou un surfer, je ne peux pas m’imaginer qu’il se serait présenté en tant que tel quand il nous a accueillis. Et même s’il l’avait fait, est-ce que son intérêt pour le sport aurait été aussi fort? Est-ce que le lien entre l’homme et le cheval, le sportif et les courses de chevaux sont quelque chose que d’autres sports ou industries peuvent reproduire? Je ne le pense pas.
À tous les jours, des milliers de personnes se lèvent au petit matin et se couchent tard le soir, consacrant leur vie personnelle, sportive et d’affaires à ce sport. À tous les jours, un palefrenier pleure sur un cheval qui a quitté l’écurie, ou pire encore, qui est mort. À tous les printemps, les éleveurs surveillent avec émerveillement, les nouveaux-nés qui arrivent.
Pour Michael, et d’autres milliers comme lui, où qu’ils aillent et quoi qu’ils fassent, les courses sous harnais demeureront proches d’eux.
…Oh, j’ai eu la chance de vérifier les statistiques de la pouliche étoile de Michael. Son record : 0-en-six à vie, elle n’a jamais touché un chèque et n’a vaincu que quatre chevaux en carrière.
Avec optimisme, disons qu’Albatross a connu sa meilleure saison à trois ans.
Darryl Kaplan
[email protected]