Le chemin du retour

Deux ans après un terrible accident, l’ex-conducteur Kurt Hughes lutte encore pour retrouver une certaine normalité dans cette vie qui a été chamboulée du jour au lendemain. Aujourd’hui quadriplégique au niveau de la C6, il va sans dire – il ne sera jamais plus le même. Mais avec l’appui de sa femme Colleen, et celui d’une communauté des courses des plus généreuses, Kurt est résolument engagé dans le processus ardu de la réhabilitation, et ce, avec un succès remarquable. Bien qu’il lui faille modifier sa stratégie, il est clair qu’il a toutes les intentions du monde de poursuivre ses rêves.

By Keith McCalmont

Comme la vie peut changer en l’espace d’un instant. Le 3 novembre 2008, l’homme de chevaux Kurt Hughes rentrait à la maison après une soirée habituelle aux courses quand le malheur a frappé. Sa voiture a quitté la route, effectuant plusieurs tonneaux pour s’arrêter au fond d’un fossé sur la route de comté 29, à l’ouest de Warkworth, Ontario.

« En fait, je ne me souviens de rien du tout, » dit Kurt aujourd’hui, de son domicile à Hamilton. « Je me rappelle que je me dirigeais vers la maison mais je ne me souviens pas de ce qui est arrivé. Je revenais de Kawartha Downs après les courses, un samedi soir, et mes parents arrivaient par avion le lendemain. Je ne me souviens de rien jusqu’à mon réveil à l’unité des soins intensifs à Toronto. Je me rappelled avoir emprunté cette route pour rentrer à la maison certains soirs et de voir des chevreuils traverser la route, et je me demande si ce n’était pas un chevreuil. Ne pas savoir… c’est très difficile aussi. »

Les dix mois qui ont suivi l’accident sont difficiles à oublier. Diagnostiqué quadriplégique au niveau de la C6, Kurt a été hospitalize durant près d’un an et il attribue une grande partie de son rétablissement lors de son long séjour aux soins intensifs du Toronto Weston Hospital, à son épouse Colleen.

« Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Ce fut tout un choc, » dit-il. « Il lui a fallu être forte à travers tout cet épisode et elle a dû s’occuper de tout durant les dix mois de mon hospitalisation. J’ai passé deux mois et demi à l’unité des soins intensifs ainsi que trois mois et demi aux soins intermédiaires. Elle est restée dans une chambre d’hôtel à Toronto durant six mois, me visitant tous les jours et me procurant tout le support dont j’avais besoin. Elle arrivait à dix heures et repartait à vingt deux heures. Elle a été incroyable. »

Ces nouveaux mariés peu typiques, ne pouvaient pas supporter d’être séparés. « Il fallait presque deux heures de route pour se rendre à Toronto, et tout le temps qu’il a été aux soins intensifs, je ne pouvais pas m’imaginer en être aussi loin, » dit Colleen dans un sourire.

Pendant les dix mois suivant la blessure, Kurt et Colleen ont bataillé ferme contre la profondeur de leur nouvelle réalité. Où allaient-ils vivre? Kurt pourrait-il se rétablir? À quel niveau s’en remettrait-il? Qui prendrait soin de la famille et des animaux? Comment
paieraient-ils les factures?

Avec le temps, les réponses se sont imposées. Leurs deux chiens, Ursula et Jake, ont trouvé refuge dans un chenil. Leurs deux chats ont suivi Colleen à l’hôtel. Les membres de la famille et les amis sont venus de l’île-du-Prince-Édouard et du Connecticut pour les soutenir. Et pendant ce temps, aux hippodromes du comté, des plans étaient en préparation pour réunir des fonds pour venir en aide au jeune couple.

Paul MacDonell et Jeff Porchak, en collaboration avec Ralph et Ken Sucee, ont organisé une vente aux enchères en ligne. Kawartha Downs a commandité un tournoi de poker mis de l’avant par l’entraîneur Dave Gibson et ses collègues Reg et Steve Gassien lequel s’est tenu au domicile de Mark et Sue Winacott.

Dans son Île-du-Prince-Édouard natale, les conducteurs qui se faisaient la lutte au CDPEC dans le cadre du championnat des conducteurs, ont remis leurs gains pour soutenir la cause, et plusieurs des propriétaires engagés ont également remis leurs bourses. Mais tandis que la communauté standardbred se mobilisait pour rencontrer ce défi, un Kurt cloué au lit s’impatientait. En voyant son mari ennuyé par les plaies de lit et au moral très bas, Colleen a su qu’il avait besoin d’une étincelle. « Je me souviens de la première fois que nous avons emmené les chiens voir Kurt, » dit Colleen en souriant. « Il avait besoin d’un petit réconfort. Il semblait n’y avoir aucune fin en vue à court terme et nous étions supposés rester là à attendre la guérison. Quand nous lui avons fait la surprise d’amener les chiens à l’hôpital, ce fut l’une des premières fois que je l’ai vu autant bouger ses mains et ses bras. Il caressait les chiens… »

C’en est trop. Pour un moment, les larmes coulent de ses yeux.

« J’ai rencontré Colleen à l’Île-du-Prince-Édouard, » raconte Kurt. « Elle étudiait à l’école vétérinaire. »

« Un des premiers emplois de Kurt était la maintenance à l’école vétérinaire, » rit Colleen. « Il travaillait davantage à l’aile des petits animaux alors que j’étais toujours à l’aile des grands animaux. Une de mes amies qui était vétérinaire du côté des petits animaux, l’a connu parce qu’elle y passait de très longues heures même quand elle n’était pas en devoir, pour jouer avec les chats. Elle m’a dit que nous avions tellement de points en commun car il avait des chevaux, et elle nous a présentés l’un à l’autre. »

La patience reconnue de Kurt en piste à titre de conducteur, l’a bien servi alors qu’il courtisait Colleen.

« Parfois, en quatrième année, il faut travailler de longues heures, » se rappelle Colleen. « Mon amie et moi nous rencontrions à la pause dans un endroit où il y avait des divan, entre les deux ailes, et nous voyions Kurt aller et venir d’une salle à l’autre, elle me l’a alors pointé. »

Le destin est intervenu quand Colleen, travaillant sur appel avec un vétérinaire, fut appelée à l’écurie de Kurt pour vérifier un cheval boiteux. Bien que les deux n’aient que brièvement été présentés, il y avait des étincelles dans l’air. Il semblait tout naturel que Kurt rencontre son grand amour par l’entremise d’un cheval. « Après cette visite, Kurt commença tout bonnement à passer par l’hôpital des grands animaux en partant chaque soir…, » dit une Colleen resplendissante alors que ses yeux se posent sur un mari en adoration; Kurt y va d’une fausse moue de gêne. Il semble bien que la voie vers le cœur d’une vétérinaire se doive de passer par l’aile des grands animaux d’un hôpital vétérinaire de l’île-du-Prince-Édouard.

Lorsque Kurt fut finalement transféré de l’isolement des soins intensifs de Toronto, il a franchi les portes du Chedoke Hamilton Health Sciences Regional Rehab avec un seul but en tête. Il a mis en pratique le désir et la détermination ayant fait de lui un bon homme de chevaux pour s’attaquer à sa réhabilitation.

« Il s’agit beaucoup ici de refaire ses forces, » explique Colleen. « Nous utilisions un vélo stationnaire pour les jambes. Je lui plaçais les pieds dans les étriers et comme le vélo était motorisé, il lui faisait tourner les pieds. Cela aidait son amplitude articulaire. Il y avait aussi un appareil pour les bras. Puisqu’il est quadriplégique, il ne peut pas se servir de ses mains mais il peut utiliser ses bras.

Avec des sessions de physiothérapie au rythme de deux fois deux heures par jour, il est arrivé à lever une demi-livre, puis vingt cinq livres, ce qui était difficile pour lui. » Kurt est beaucoup trop modeste dans l’évaluation de son propre rétablissement. « Je trouve
que c’est très long, » admet-il. « Mais quand je regarde d’où je suis parti après l’accident et où je suis aujourd’hui, je sais que j’ai fait beaucoup de progrès.

« Plus il prendra des forces, mieux il pourra utiliser un fauteuil manuel – ce qu’ils disaient qu’il ne pourrait pas faire vu sa blessure, » explique Colleen. « Ils ne pensaient pas qu’il pourrait se pousser lui-même, mais cela ne fait que démontrer comme il travaille
fort et comme il est déterminé. »

Une partie du programme de rétablissement comprenait une rencontre avec un couple ayant fait face à la même adversité. Le quatuor s’est rapidement lié d’amitié et la rencontre a vite fait de raviver la nature compétitive de l’athlète.

« Le couple avec qui nous échangeons… et bien, le mari pratique le tennis en fauteuil roulant, » mentionne Kurt. « Il joue avec Équipe Canada et il veut que je m’y essaie aussi. Je pourrais bien m’y impliquer maintenant que j’ai plus de temps libre. »

Avec le temps, le couple a été invité à s’engager à titre d’animateurs dans le programme et à devenir actifs en tant qu’intervenants dans une nouvelle communauté – en essayant de transmettre une partie de leur positivisme à ceux qui en ont besoin. « J’ai rencontré un homme et une femme qui ont récemment été blessés, » dit Kurt. « Ils ne voulaient que parler à quelqu’un qui avait vécu la même expérience. Je leur ai dit de rester positifs et que tout s’améliorerait. Cela peut vous paraître impossible maintenant, mais le point majeur demeure : rester positif. Vous devez être très déterminés et vous ne pouvez pas
abandonner. »

De toute évidence, Kurt et Colleen n’ont jamais baissé les bras. Grâce à un dur travail et beaucoup d’amour, leur union s’est renforcée, si cela est possible, et bientôt, elle sera un peu plus peuplée. Colleen est enceinte – et elle porte des jumeaux! « Nous ne voulions pas que l’accident nous empêche d’aller à la poursuite de nos rêves, » dit Colleen en riant. « Nous avons décidé de fonder une famille et de faire ce que nous voulions. Même si nous devions le faire différemment. »

Kurt et Colleen sont devenus parents par fécondation in-vitro et les yeux de Kurt brillent d’orgueil au souvenir du jour où il a appris qu’il serait papa. Alors que Colleen était à la clinique de fécondation en attente des résultats, Kurt était à la maison à travailler à son programme. « Je lui ai demandé ‘veux-tu attendre que je revienne à la maison pour te le dire en personne ou que je t’appelle aussitôt que je le saurai? » se rappelle Colleen. « J’avais besoin de savoir, » dit Kurt en souriant.

« Alors j’ai demandé à son aidante de l’aider à prendre le combiné du téléphone, » dit-elle en gloussant. « Et j’ai dit ‘j’aimerais que tu sois ici pour voir battre le cœur des jumeaux’! »

« J’étais tellement heureux, puis tout d’un coup, j’ai été frappé, » dit Kurt en riant. « Des jumeaux! Puis j’ai pensé – oh mon Dieu, qu’allons-nous faire? »

« Nos mamans sont très heureuses, » ajoute Colleen. « Je ne croyais pas que cela réussirait et Kurt ne pouvait pas croire que je les avais laissé m’implanter deux embryons. Il était certain que nous aurions des jumeaux! »

Un Kurt fier et sans aucune gêne, regarde affectueusement sa femme. « Nous allons être occupés! » dit-il.

Pour le quadriplégique moyen, il faut trois ans pour arriver à une nouvelle ‘normalité’. Kurt, à peine deux ans après son accident, arrive dans le dernier droit de son rétablissement en bonne position, et avec le temps, il espère revenir au sport qu’il aime tant. « Je ne suis pas retourné à l’hippodrome ici en Ontario mais je suis allé à la
maison pour une semaine en août dernier à Charlottetown, » dit-il. « Je suis allé un soir pour voir mon frère participer à une course. Oui, c’était bien de revenir. Ce fut très difficile de faire face à cela, mais après y être allé, j’étais content. C’est tout un microbe dont il faut se défaire. Cela a fait grandement partie de ma vie et je veux y revenir dans une sphère quelconque. Je ne suis tout simplement pas certain de mes options ou de ce qu’il pourrait bien y avoir pour quelqu’un dans ma situation. »

Mais un homme comme Kurt, aux connaissances uniques et avec une perspective sur le sport des courses, aurait sûrement une opinion digne d’être lue. « Peut-être l’écriture… » en y réfléchissant bien. « J’y ai un peu pensé. Je pense que c’est quelque chose que j’aimerais et que je pourrais faire. »

Ou peut-être bien que ce modeste insulaire de l’IPE, qui choisit ses mots bien soigneusement, pourrait s’imaginer suivre les traces de son collègue Greg Blanchard, dans le domaine de la télédiffusion. « J’ignore comment je serais devant une caméra, » dit-il en riant, tandis qu’il rougit.

Mais quand on suggère qu’il puisse se fâcher, allongé sur le divan, en voyant les erreurs commises par ses collègues conducteurs dans une course, cet homme calme de façon générale, rétorque : « Non, » d’insister Kurt. « J’y étais jadis. Je ne me fâche pas du tout. Ce qui arrive en course survient tellement vite. Vous n’avez qu’une seconde pour réagir. »

Il est des plus empressé, par contre, à partager ses pensées sur les talents du conducteur Paul MacDonell. « Il n’est pas dur avec eux. MacDonnell ramènera votre cheval, » dit Kurt. « C’est sa façon de conduire. Il les place en position de gagner mais il les garde à
l’intérieur de leurs talents. Et après avoir mené Somebeachsomewhere… que peut-on dire de plus à son sujet? Il a mené le meilleur de tous les chevaux. »

C’est évident que Kurt voit un modèle en MacDonell, « J’ai essayé de conduire de la même manière que lui, » admet-il. « J’aime penser que j’ai toujours ramené un cheval et que je ne l’ai jamais maltraité ou été trop dur avec lui. Je préfère les faire remonter le peloton plutôt que de les lancer tel un éclair. Les laisser aller dans la deuxième voie de la rampe, voilà la façon dont j’ai toujours préféré procéder.

Habituellement, vous avez la vitesse et il vous reste toujours une option. Vous n’êtes pas emboîté et c’est une belle promenade pour le cheval qui vous donne la meilleure chance de gagner. Je crois que c’est la meilleure randonnée qu’on peut donner à un cheval. »

« Kurt est tout simplement un être de qualité et un grand homme de chevaux avec des aspirations, et jusqu’à aussi récemment que le soir de son accident, il gagnait des courses à Kawartha Downs comme conducteur, » de dire MacDonell. « C’est là où était son cœur – être conducteur un jour. Il était un homme de chevaux d’abord, dans mon esprit, et cela fait corps avec le fait de ramener un cheval après chaque course. Il commençait à peine à démontrer son grand talent ici en Ontario. Je pense que les gens de l’Île-du-Prince-Édouard savaient à quel point il était un conducteur accompli mais qui ne faisait que commencer à se démarquer quand l’accident est survenu. Il l’avait et c’est dans son sang. Il en fera partie longtemps encore. »

Presque deux années se sont écoulées depuis ce moment dévastateur, et Kurt et Colleen sont remplis d’admiration pour la communauté qui les a soutenus à travers leurs plus sombres heures. « Tout le monde a été tellement étonnant dans tout cela, particulièrement la communauté équine, » dit Kurt. « Je me rappelle m’être réveillé à l’unité des soins intensifs et de voir ma famille entrer et me dire tout le soutien que je recevais et comment ils se sont regroupés pour joindre des donateurs différents. Tout le monde, à partir de Kawartha Downs, Woodbine, Mohawk et la population de l’IPE et des Maritimes… c’est tout simplement étonnant. Vous ne réalisez pas cela quand vous accomplissez votre quotidien, jusqu’à ce que quelque chose comme cela arrive, et c’est dans ces moments où vous saisissez la proximité de toute la communauté. »

Depuis toujours, ils forment un couple très uni. « En cours de route, nous avons essayé de remercier tous les gens que nous savions nous avaient aidés, » dit Colleen. « Mais il y en a tellement qui ont donné directement des sommes à Robert (Shepherd, le cousin de Kurt), à des endroits comme Flamboro. Il nous remettait les dons à divers moments, et nous aimerions vraiment pouvoir remercier tout un chacun parce que c’est tellement significatif pour nous et cela démontre tout l’appui dont la communauté équine est capable, et cela nous peine de savoir qu’il y a des gens que nous n’avons pu remercier parce que nous ne les connaissons même pas. »

Tout en écoutant Colleen parler, Kurt s’approche dans son fauteuil comme s’il voulait l’écouter de plus près. C’est un autre mouvement que les médecins lui avaient dit impossible pour lui, mais ce jeune homme continue à défier le destin.

Conducteur un jour, et maintenant une force de la nature, Kurt – grâce en grande partie à une épouse au soutien indéfectible et à l’appui d’une très généreuse communauté des courses sous harnais – roulera vers ses prochains défis, où et quoi qu’ils soient.

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