Le 5 Milles

Bien peu de courses de chevaux parviennent à correspondre à une semaine bien spécifique du calendrier.

Qu’on pense à Louisville, au premier samedi de mai – où se tient toujours le Kentucky Derby.

Et bien, à Québec, c’est toujours le dernier dimanche d’août que se tient Le 5 Milles – une tradition sur cinq milles, dix tours – qui présentera cette année sa centième édition à Sulky Québec le 30 août, laquelle sera dotée d’une bourse de plus de 20 000 $.

Présenté le jour de la fermeture de l’Exposition agricole de Québec, le marathon standardbred ne manque jamais d’attirer des foules d’au-delà de 10 000 personnes, ces amateurs qui ne mettront plus le pied à l’hippodrome une seule autre fois au cours de l’année, mais qui se font un devoir d’assister au 5 Milles. Au cours des récentes années, il s’est révélé l’événement de course le plus important du Québec, surpassant même la finale de la Coupe des Éleveurs à l’Hippodrome de Montréal. « C’en est presque un phénomène culturel aujourd’hui, » dit Yves Bergeron, Directeur – Exploitation des courses de Sulky Québec. « Il y règne une ­atmosphère de fête. C’est la course de l’année ici, et un ­événement majeur de l’été à Québec. »

À la tête du défilé d’avant course au cours de la dernière décennie (dans une voiture tirée par un cheval), se trouve Léandre Cloutier, un des pionniers et dynamos des courses de la ville de Québec.

Monsieur Cloutier, âgé de 95 ans, est l’une des figures dominantes de Sulky Québec depuis 67 ans, et il pense bien avoir assisté à toutes les éditions du 5 Milles depuis 1923. Il a été maître des cérémonies du défilé durant les années ’40, juge de départ avant et après l’introduction de la barrière mobile; il a même été propriétaire d’une demi-douzaine de partants de la course. Son meilleur résultat, une deuxième place avec Jongleur Grade en 1993.

Cloutier se rappelle encore des jours où la course de distance avait lieu après la messe du dimanche, une tradition au Québec. Ses racines dans la province remontent aux années 1800, bien qu’elles aient presque disparu des courses standardbred en ces temps modernes. À n’en pas douter, ce n’est pas tout le monde qui s’en ennuie. Des hommes de chevaux disent que c’est trop dur pour les bêtes et que ça ne devrait pas être encouragé. Des pelotons de départ comptant 20 partants sont parfois réduits à quatre ou cinq rendus au dernier tour, les conducteurs ou les juges retirant les chevaux épuisés.

Les spectateurs par contre, semblent bien aimer. Ils ont toujours aimé cela, dit Cloutier, malgré le fait que des finales serrées soient plutôt une anomalie.

« Au fur et à mesure que la course progresse, la fièvre monte, » ajoute Bergeron. « Durant les tout derniers tours, on peut réellement sentir l’enthousiasme monter. »

Propriétaire de standardbred éminent de la ville de Québec, Brian Paquet, 64 ans, n’a jamais eu de participant dans la course, et ça demeure toujours sur sa liste de choses à faire. Il en a été un spectateur enthousiaste depuis plus de quatre décennies. « J’ai surtout de jeunes chevaux, et ce n’est pas leur place cette course-là, mais il faut un très bon cheval pour la gagner, » dit-il. « J’aime l’événement. C’est une attraction qui, à mon avis, devrait être maintenue. Les gens l’attendent, et c’est l’unique course à laquelle tant de spectateurs assistent.”

Peut-être à cause du fait que plusieurs de ces mêmes chevaux y participent année après année, les gens ont développé un lien particulier avec eux, ajoute Paquet. Il entend régulièrement des gens prononcer le nom de gagnants des années passées.

Le conducteur Mario Charron, qui a gagné des courses avec des bourses de 100 000 $ et plus, admet volontiers que les plus grandes sensations qu’il a vécues sont ses trois victoires du 5 Milles. « Ce n’est pas l’argent, c’est le prestige. » explique-t-il. « Ce n’est pas tous les soirs, qu’on a l’occasion de courir devant tant de spectateurs. Quand il y a 10 000 personnes qui crient alors que vous parcourez le dernier droit, c’est une sensation comme il n’y en a pas beaucoup. »

Charron, âgé de 42 ans, compte sept participations au 5 Milles, et il en a gagné trois parmi les six dernières avec Kats Angel (2004), direct Withdrawal (2006) et M G Éclair (2008). Il lui reste encore beaucoup de chemin à faire avant d’égaler les meneurs de tous les temps, Uldéric Gauvin (10 victoires entre 1910 et 1944), Louis-Philippe Boily (7), Paul Grenier (7) et Lucien Paiement (6).

Selon Charron, savoir quand bouger et avoir un cheval suffisamment bien préparé pour faire 10 tours, voilà la clé du succès. « Il faut être patient, » dit-il en souriant. « La première fois, quand j’ai fini troisième, j’étais sorti pour prendre la tête au septième tour, et c’était probablement trop tôt. Si j’avais attendu encore un autre tour, j’aurais probablement gagné. C’est comme cela qu’on apprend. Si on peut améliorer sa position, il vaut mieux le faire avant les tournants. Si vous vous retrouvez à l’extérieur dans les tournants, c’est très difficile pour le cheval. Cela peut paraître étrange quand la course se dispute sur une distance de cinq milles, mais chaque pouce compte. Ne faites pas un pouce de plus que nécessaire. »

« Pour ce qui est du cheval, le point le plus important est la façon dont l’entraîneur a façonné son endurance, » d’ajouter Charron. « C’est vraiment très difficile pour le cheval. Un cheval moyen ne pourra se rendre au bout sans une préparation appropriée. Après la course, il faut le faire marcher – on ne peut pas juste le laisser debout là. C’est difficile pour lui, mais si c’était réellement si mauvais, je ne pense pas que cette épreuve en serait à sa centième édition. Il y a longtemps qu’on l’aurait retirée. »

La Mélodie du Succès

Durant les années 1940 et 1950, il se tenait à Québec, quatre épreuves de 5 milles par année, auxquelles participaient généralement les mêmes chevaux. L’un deux, Judge Adamson, en a gagné huit sur une période de cinq ans, soit de 1953 à 1957. Cloutier se rappelle de The Heir, qui tirait une voiture à lait en dehors des courses, et qui, pour sa part, en a gagné sept entre 1943 et 1947. (Il appartenait et était conduit par Louis-Philippe Boily, dont le fils, Gabriel, est lui aussi un multiple gagnant de la course).

Mais dans l’histoire récente du 5 Milles, il n’y a jamais eu de partant comme Sound Machine.

Le cheval (au nom parfait pour un marathonien standardbred) a amblé pour terminer premier à cinq reprises dans une période de six ans, de 1993 à 1998. L’autre année, il a fini tout près en deuxième (derrière Steady Motoring, in 1994). Rendu au tour final, le cheval hongre devançait parfois son plus proche rival par aussi loin qu’un quart de mille.

Gilles Mathieu, un vendeur de voitures et de camions qui entraînait des chevaux comme passe-temps, a été le propriétaire de Sound Machine durant la majeure partie de ses succès en courses de longue distance. Il l’avait réclamé pour la somme de 4 500 $ à l’Hippodrome de Québec au printemps de 1994 alors que le cheval avait 6 ans. Il ne présentait rien de particulier pour un mille normal, avec un meilleur temps en carrière de 1:57.3 à Freehold en tant que 3 ans, mais il avait gagné Le 5 Milles et une autre épreuve de 5 milles à Québec l’année précédente, et cela avait piqué l’intérêt de Mathieu.

« Je le surveillais, » se rappelle Mathieu. « Je voyais qu’il était solide, mais plutôt en mauvais état quand nous l’avons acheté. »

Son objectif dès le premier moment, a été de le présenter pour Le 5 Milles. Après avoir terminé deuxième à sa première tentative, Mathieu adopta un régime d’entraînement qui lui venait, dit-il, d’un homme de chevaux de la Suède qu’il avait rencontré un hiver à Pompano : augmentation graduelle jusqu’à 17 milles par jour durant les mois précédant la course, et plus c’était chaud à l’extérieur, mieux c’était. « C’était un cheval facile, un cheval trapu, » dit Mathieu. « La chaleur ne l’incommodait pas. »

Il faut que l’entraînement commence au moins trois mois avant la course. « Si vous commencez à y penser trois semaines avant, » dit-il en plaisantant, « vous êtes en retard. »

Après son acquisition par Mathieu, Sound Machine n’a pris que quelques départs chaque année. L’objectif demeurait Le 5 Milles, qu’ils ont gagné lors de leurs quatre dernières tentatives. « Mon instruction au conducteur était toujours la même : assieds-toi sur la cravache, tu n’en auras pas besoin, » explique Mathieu. « Nous en avons toujours pris le plus grand soin. Il n’a jamais été brutalisé. »

La feuille de route du cheval sur cette distance exténuante, est tout à fait remarquable. Il a gagné six des huit courses de 5 milles dans lesquelles il était engagé, avec deux secondes, pour des gains de plus de 40 000 $. Il a gagné aux guides de quatre meneurs différents : Sylvain Filion, Roch Perreault, Stéphane Brosseau et André Rivard. Certaines années, il lui arrivé de terminer avec un demi-mille couru sous les 1:00 – ce qui est plus rapide que la dernière demie d’un droit mille courue par certains chevaux. « C’était à faire peur de le voir courir dans un dernier tour comme cela après avoir déjà parcouru quatre milles et demi, » dit Mathieu dans un sourire.

Le temps de 11:21.1, de Sound Machine en 1993, a fracassé un record détenu par U.N.O. depuis 39 ans. Il a par la suite amélioré la marque par 8 secondes 3/5 la même année, pour ensuite retrancher une autre seconde et 2/5 en 1995. (Cette marque a depuis été abaissée à 10:54.1 en 2001 par le vainqueur Life’s Thrills, l’un des deux seuls chevaux à avoir franchi la barrière des 11 minutes.)

« C’était tout un phénomène. Il avait tellement de cœur, » se rappelle Mathieu, qui l’a mis à la retraite après une blessure à un pied en 1999. Ce cheval hongre, descendant de The Troublemaker, a terminé sa carrière avec en poche des gains de 105 161 $ et 19 victoires en carrière.

Aujourd’hui âgé de 21 ans, il sert de monture à sa fille, Lucie; il est encore en excellente santé.

Il est aussi le dernier cheval que Mathieu ait possédé ou entraîné. « Nous avons pris notre retraite en même temps, » dit Mathieu en riant, lui qui a aujourd’hui 73 ans. « Je le vois encore toutes les semaines. Il ne manque de rien. Il est toujours et encore le bébé de la famille. »

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