Depuis plus d’un siècle, la plus grande scène de courses attelées c’est ‘The Red Mile’ au Kentucky. Pratiquement toutes les vedettes du sport ont démontré leurs talents sur cette piste ovale bénie en terre d’argile rouge.

Story par Dean Hoffman / Traduction Louise Rioux

L’ambleur membre du Temple de la renommée, Albatross, n’y a couru que dans deux courses éliminatoires lors de ses trois saisons de course, mais au cours de ces deux éliminatoires, il a réussi à s’inscrire dans le livre des records de façon mémorable.

En 1971, Albatross a amblé le mille le plus rapide de l’histoire en gagnant l’éliminatoire d’ouverture du Tattersalls Pace. Une heure plus tard, il est revenu et a égalé le Record mondial. Aucun autre cheval auparavant dans l’histoire n’avait réussi cet exploit soit établir un record mondial et l’égaler ou l’abaisser la même journée.

C’était même une performance des plus étonnantes puisqu’il avait vu des feuilles en cours de première éliminatoire, trébuché et brisé son allure lors de la deuxième… se reprenant de façon magistrale dans les deux occasions. La foule admirative du Kentucky, lui a réservé une très longue ovation. Elle venait d’assister à la splendeur, et elle le savait.

Ironiquement, ces milles de record mondial courus par Albatross sont arrivés peu de temps après sa défaite en Little Brown Jug, un revers qui a hanté Stanley Dancer toute sa vie durant.

Dancer a dominé le monde des courses attelées durant les années 1960 et 1970. Il a entraîné et mené trois gagnants de la Triple Couronne, et en 15 ans, il a entraîné et mené des chevaux qui ont été titrés Cheval de l’année à sept occasions.

Malgré tous les honneurs, toutes les acclamations, les records, Dancer s’est toujours plaint d’avoir perdu le ‘Jug’ en 1971.

Albatross fut le point de mire de tous les yeux en courses attelées en 1971. Il échappa une course tôt en saison, mais il a poursuivi sur une lancée qui l’a vu briser le cœur de ses rivaux semaine après semaine. L’année où Speedy Crown a dominé les courses de trot, et où des vedettes telles Fresh Yankee, Strike Out, Silent Majority connaissaient aussi leur heure de gloire, Albatross les a tous relayés dans l’ombre.

Dancer avait ravi la Triple Couronne en amble l’année précédente aux guides de Most Happy Fella et la resplendissante couronne a pratiquement été concédée à Albatross.

Dancer était le rêve de tout publiciste et il aimait les projecteurs. Il connaissait la manière de présenter un grand cheval. Alors quand les commissaires de Scioto Downs lui ont demandé de faire courir Albatross dans le ‘Jug Preview’ 10 jours avant le ‘Jug’ même, et que Hazel Park lui ait demandé de concourir lors de leur ‘Jug Preview’ cinq jours plus tard, Dancer accepta.

« Je m’étais engagé envers les deux hippodromes et je n’aurais pu vivre avec moi-même si je m’étais désisté de ces deux engagements, » dit Dancer.

Le soir de la course à Scioto, des tempêtes ressemblant à la mousson ont balayé le centre de l’Ohio. Je me souviens très précisément de cette soirée et des pluies qui l’ont rendue misérable, mais Albatross a gagné malgré tout.

Je faisais des publicités sur les foires d’exposition cette année-là pour le compte de l’U.S. Trotting Association et en entrevue sur une chaîne de télévision d’Ashland, située à une heure du Delaware par l’Interstate 71, j’invitais les auditeurs à venir au Delaware assister au ‘Jug’.

« Il y a un participant dans cette course qui est tellement bon qu’il peut tomber non seulement une fois, mais deux fois, se relever et gagner, » que je disais avec confiance. « Son nom est Albatross. » (J’ai prié avec ferveur pour que tous les enregistrements de cette émission aient été détruits.)

Albatross fut si dominant qu’il a été exclu du pari. Les commissaires du Delaware ne pouvaient pas risquer le mini pool.

Le ‘Jug’ comptait deux courses éliminatoires et HT Luca en a gagné une. Albatross gagna la sienne, mais non dans son style habituel. Il a vaincu Nansemond, conduit pas la sensation du Québec Hervé Filion, par un nez. Stanley Dancer savait que ce n’était pas le même Albatross qu’il avait mené toute l’année. Le cheval était sans énergie, et Dancer était inquiet.

Dans la deuxième course, Albatross a mené dans le stretch, mais quand Nansemond attaqua, Albatross n’a pu répondre.

La foule criait de plaisir. Elle avait hué Dancer et Albatross tout l’après-midi. Originaire de l’Ohio, j’étais embarrassé. Ils détestaient les succès de Dancer. Tout comme ils haїssaient les Yankees de New York à cette époque, il y avait aussi ceux qui détestaient Dancer. Mais pourquoi huer un grand cheval et son entraîneur?

Filion était confiant entre les éliminatoires. Il me dit ainsi qu’à d’autres, qu’il n’avait fait que crier à Nansemond dans le dernier quart de la course. Je lui ai demandé s’il lui avait crié en français ou en anglais.

« Il comprend les deux, » dit Filion en riant.

Albatross, Nansemond et HT Luca faisaient maintenant face à une troisième éliminatoire. Filion dit candidement aux reporters que la seule manière dont Nansemond pouvait gagner était d’être en contrôle de la vitesse.

Et c’est ce que Filion fit. Il a emmené Nansemond en tête, ralenti le tempo, puis a appuyé sur l’accélérateur alors qu’il restait un quart de mille à faire. Albatross et Dancer ont rejoint Nansemond, mais n’ont jamais réussi à le passer.

Je fus la première personne à parler à Dancer après cette course et je lui ai demandé si ç’aurait fait une différence de l’avoir fait remonter plus tôt.

« Non, il m’a tout simplement devancé et pris avantage de l’usure, » dit Dancer. Il savait toutefois, que sa décision de faire courir Albatross deux fois juste avant le ‘Jug’, avait laissé le poulain sans énergie pour la grande course.

Neuf jours plus tard, le Tattersalls Pace figurait au programme du ‘Red Mile’. Après avoir couru trois épreuves dans le ‘Jug’, Nansemond est resté sur les lignes de côté. Mais non pas Albatross. Lui aussi avait couru trois épreuves éreintantes, mais Dancer voulait une rédemption immédiate. Albatross tira la position de départ #12 de la deuxième ligne. Stanley Dancer et Albatross étaient en mission.

Dancer me dit plus tard, « Albatross m’a causé beaucoup de problèmes durant la période d’échauffement parce qu’il sautait tout le temps par-dessus les feuilles. Mais pas sur les ombres, mais les feuilles l’effrayaient. »

Lors de la première éliminatoire, Dancer a attendu dans le groupe, puis a fait bouger Albatross à l’entrée du droit.

« Je commençais à le lancer quand il a sauté par-dessus des feuilles, » dit Dancer. « Heureusement, il est vite revenu à l’amble, mais loin derrière, pour toutefois venir gagner en 1:54.4. Beaucoup de gens disent encore aujourd’hui que c’est la meilleure course jamais vue. »

C’était très certainement la course la plus rapide qu’ils aient vue. Le temps peut paraître un tempo pédestre aujourd’hui, mais il a laissé les spectateurs bouche bée. Ils s’en sont remis et réservé une ovation du tonnerre au champion. Albatross a rebondi de l’adversité pour devenir plus grand encore.

« Je lui ai mis un mouton pour la seconde éliminatoire et je l’ai lancé, » dit Dancer, « mais il se branlait la tête, et je savais dès lors qu’il n’allait pas essayer, alors nous le lui avons enlevé. Mais en deuxième éliminatoire, il a perdu son allure en partant. Il pensait avoir vu quelque chose. Il regarda le peloton mais vint encore gagner en 1:54.4. »

Sept courses en seulement vingt jours… dont deux ont établi deux performances de record mondial le même après-midi. Albatross venait de cimenter sa place à titre de meilleur cheval de tous les temps, même après avoir perdu au ‘Jug’.

Il n’a plus perdu de course en 1971 et il a été nommé Cheval de l’année après avoir gagné 558 009 $, le plus importante somme gagnée en une seule saison.

Conspué par les cris de dérision des chahuteurs du Delaware, Dancer a juré qu’il ne participerait plus au ‘Jug’ jusqu’à ce qu’il puisse le gagner. Et il a tenu promesse, ne retournant au ‘Jug’ qu’en 1976 alors qu’il a gagné les éliminatoires consécutivement avec Keystone Ore, en route ensuite vers les honneurs de la nomination de Cheval de l’année.

Albatross a reconquis les honneurs de Cheval de l’année en 1972 pour ensuite passer à la reproduction aux Hanover Shoe Farms, pour produire des gagnants du ‘Jug’ tels les puissants Niatross, Fan Hanover, Merger, Colt Forty-Six, et Jaguar Spur. Il a aussi produit des auréolés tels Sonsam, Three Diamonds, Conquered et Armbro Wolf.

En piste tout comme dans l’écurie, l’étalon Albatross était un vrai membre du Temple de la renommée.