Paradis Maritime

Égaré dans Truro, tout juste à la brunante, je m’arrête au marché d’un fermier, en quête d’indications routières. Je suis allé à l’hippodrome une fois auparavant, en compagnie d’un guide aguerri en qui j’avais pleine confiance. Quand je m’informe au comptoir, un homme tout près, sourit et intervient.

En cette soirée particulière, mon intention d’aller à l’hippodrome est assez évidente.

« Vous allez voir « Beach »? » me demande-t-il.

Ce fils originaire de Truro, Somebeachsomewhere, participe ce soir à l’épreuve de la Breeders Crown. Je prends un exemplaire du Truro Daily News et il couvre toute la une de même que la totalité des pages sportives. Le nom du cheval est sur les lèvres de tous ceux qui s’intéressent au sport – il est devenu le symbole de la victoire, occupant ainsi, cette place au soleil tant convoitée.

Par une soirée froide, à Truro en Nouvelle-Écosse, à deux jours de décembre, jamais je ne me serais imaginé devoir m’informer de la route à suivre pour me rendre jusqu’à « Beach ».

J’arrive à la piste un peu avant dix-huit heures. Le ‘Beach Party’ en l’honneur de l’importante course de ce soir n’est prévu que pour un peu plus tard. Des affiches fabriquées par des enfants, sont accrochées aux portes intérieures de l’hippodrome, louangeant le ‘Monstre des Maritimes’. Les membres du personnel ont tous revêtu des chemises roses avec le nom du cheval. Le type au marché du fermier avait raison – quiconque a des billets pour le gala de ce soir, n’y est pas pour le repas de dinde.

À une table de presse encore inoccupée dans la salle ‘Turf Room’, je m’installe avec un café dont j’avais grand besoin. « Beach » ne courra pas avant au moins quatre bonnes heures.

Un écran projette les exploits de l’impressionnante séquence de victoires du cheval, et un groupe de musique country s’accorde dans le coin opposé. Leur hommage à ce fils de Truro, s’inspire de la chanson country de Blake Shelton, « Some Beach ».

Sur une plage, quelque part
Un parasol projette son ombre sur une chaise vide
Des palmiers y poussent, balayés de légères brises
Je me vois très bien
Sur une plage, quelque part
(Traduction non officielle)

C’est une image paradisiaque à la hauteur de la couronne de « Beach ». Le cheval n’est que perfection aux yeux de ses fans. Vingt victoires en 21 départs, sa seule défaite ayant quand même fait l’objet d’un temps record. En attendant la diffusion en simultané, le premier étage de la ‘Turf Room’ baigne dans un éclairage diffus. Par les grandes fenêtres de la tribune, on peut voir dans l’obscurité, la piste où « Beach » a été débourré et entraîné. Ce soir, l’action se passe à ‘The Meadowlands’ au New Jersey.

Quelques personnes ont déjà couronné « Beach » Athlète de l’année et le premier cheval canadien à se couvrir des mêmes honneurs que le légendaire coursier américain, Secretariat, en 1973. Si vous me demandiez de nommer deux chevaux de course célèbres, ce sont les deux seuls que je pourrais vous donner. De plus, des références au « Beach » sont répétées régulièrement, tout au long de la soirée, le surnommant le « Sidney Crosby des courses attelées », faisant de lui l’héritier naturel au trophée Lou Marsh.

Puis il y a les fans. Les ‘Beach Boys’, les ‘Beachheads’ – tous les jeux de mots possibles pour se décrire sont aussi nombreux que les titres de « Beach ». La diffusion en simultané commence et les premières courses de la Breeders Crown démarrent; on dirait un prélude à la neuvième. Les amateurs parient, boivent, et encouragent leurs sélections, mais un seul nom est sur toutes les chemises.

Il y a des articles de journaux et des chuchotements dans la ‘Turf Room’ à propos de la rivalité entre « Beach » et son concurrent des Maritimes, Shadow Play. Les amateurs ont confiance en leur héros local, mais il y a quand même une légère appréhension quant à sa victoire assurée.

Tout juste avant la sixième course, le tableau indicateur s’illumine de tous ses feux, et diffuse un message préemptif à l’intention de son champion local : « Merci pour tous les frissons, » se lit-il. L’enthousiasme continue de monter jusqu’à ce que finalement le grand moment arrive, peu après 23 heures. Le défilé d’avant course est précédé de la fanfare de la Breeders’ Crown, et les ­encouragements fusent dès que le favori de Truro paraît à l’écran. Des affiches de « Beach » sont distribuées aux tables. Du dernier étage de la ‘Turf Room’, le personnel se précipite, formant au haut de l’escalier des petits groupes de chemises rose gomme portant le nom de « Beach ».

Fidèle à son image, en course, « Beach » n’a jamais cédé son avance à Shadow Play.

« Regardez-le! Regardez-le! », s’écrie une femme ébahie, assise à une table voisine.

Dès que tout est terminé, et que ‘Beach’ s’empare de la couronne en 1:48.3, une clameur s’élève de la foule. Nous voici, ici, à cette « pas-si-humble » piste de Truro, domicile de ce qu’on pourrait maintenant qualifier du meilleur cheval de l’histoire de ce sport. Lors de l’entrevue après sa victoire, le conducteur Paul MacDonnell livre ses pensées : « Fondamentalement, je lui ­disais ‘ramène-moi à la maison pour une dernière fois, mon ami.’ »

C’est ce que Beach a fait, et ici à domicile, on entend un bruyant échange de poings s’élevant à la victoire.

J’entends quelqu’un murmurer « C’est tout un cheval. »

« Quelle course il a faite, n’est-ce pas? »

« Je ne suis pas venu ici depuis 1965! » dit un vieil amateur en riant à ses amis des sièges tout en haut.

En tant qu’observateur objectif et néophyte des courses sous harnais, il m’est étrangement facile de me laisser emporter d’enthousiasme pour Somebeachsomewhere. Je pense que comme Canadiens, et en particulier en tant que Canadiens de la région de l’Atlantique, il nous a toujours fallu prouver davantage notre valeur. La notion que « Beach » représente, c’est la réussite, bien que dans un créneau sportif. L’animal est néanmoins un champion mondial, élevé et entraîné dans une culture qui a été, de façon infâme, décrite comme une « culture du revers ». Il est le symbole indéniable de la victoire, et, tout comme la plage imaginaire dans la chanson de Blake Shelton, il représente cette vision bucolique du paradis au-delà de l’adversité.

Sur une plage, quelque part
Un parasol projette son ombre sur une chaise vide
Des palmiers y poussent, balayés de légères brises
Je me vois très bien
Sur une plage, quelque part
(Traduction non officielle)

Bien qu’il ait été question qu’il coure encore, ce n’aurait été qu’un tour d’honneur pour souligner ce moment – un moment dont les amateurs de course d’ici et d’ailleurs se souviendront encore pendant longtemps.

Par une soirée froide, à Truro en Nouvelle-Écosse, à deux jours de décembre, je suis là à écouter les salves d’applaudissements atteindre un sommet et retomber – balayant le « Beach ».

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