« The Real One » Seul et unique
D’un reproducteur, éleveur, propriétaire, entraîneur et conducteur canadiens, The Real One a couru jusqu’à atteindre l’âge obligatoire de la retraite de 15 ans, n’a jamais encaissé un chèque de bourse de plus de 37 500 $ et a gagné près de 1,7 million de dollars dans sa carrière - et pourtant vous n’avez probablement jamais entendu parler de lui. S’il y a un cheval qui méritait un article dans le magazine TROT, c’est bien « celui-là » : The Real One. Par Chris Lomon // Traduction Manon Gravel
« L’âge est une question de sentiment, pas d’années. »
La citation de George William Curtis, écrivain américain, réformateur, orateur et activiste politique, est sans aucun doute pertinente pour beaucoup, rappelant que l’âge, dans le grand schéma des choses, n’est qu’un nombre.
Pour les athlètes, humains ou équins, suivre le rythme de leurs jeunes adversaires n’est pas une mince affaire.
Mais c’est possible.
Des noms bien connus comme le quart-arrière Tom Brady, sept fois vainqueur du Super Bowl, jusqu’à la légende de la LNH Gordie Howe qui a joué au hockey professionnel pendant cinq décennies, et à George Foreman qui est devenu le plus vieux champion de boxe poids lourd de l’histoire à 45 ans, en 1994, des récits de triomphes athlétiques orchestrés par les compétiteurs plus âgés, ceux qui font un pied de nez à l’ère du temps, ont toujours captivé le monde sportif, que ce soit sur la grande ou la petite scène.
Bien que son nom et ses exploits n’aient pas gagné une fraction de la fanfare accordée à d’autres athlètes vétérans, The Real One, un fils de Mach Three-Elle Blue Chip, mérite tout à fait des applaudissements, des distinctions et de l’admiration pour son histoire à succès.
« Je dirais qu’il me fait penser à Jaromir Jagr », a déclaré le conducteur et entraîneur Pat Lachance, à propos de la légende de la LNH qui a bâti l’une des plus longues carrières de joueur de l’histoire du hockey sur glace professionnel. « Tout comme Jagr, ce cheval se maintenait en pleine forme et était meilleur que beaucoup des jeunes chevaux de son époque. »
Lachance, fils du conducteur élu au Temple de la renommée Mike Lachance, n’a cependant pas initialement pensé à The Real One en termes de Jagr.
Personne associé à lui ne l’a vraiment fait.
Mais le cheval de course autrefois considéré comme un cheval moyen allait devenir bien plus que cela, bien avant de monter sur la piste pour son dernier mille, le 10 décembre 2024, sur la piste historique de Yonkers Raceway.
Rien, esthétiquement ou autrement, ne suggérait que le Standardbred, bai au look plutôt ordinaire, né le 20 avril 2010, était destiné à devenir quelque chose d’extraordinaire.
Personne ne savait à l’époque que The Real One deviendrait un vrai de vrai.
Après deux qualifications à deux ans en juin 2012 à la piste de Mohawk, sous la tutelle de l’entraîneur Ben Baillargeon, The Real One a fait ses débuts le 6 juillet de la même année et a terminé cinquième, sept longueurs derrière le vainqueur, parcourant son propre mile en 1 :56, sur la même piste.
Une semaine plus tard, il était dernier sur neuf sans conviction.
Baillargeon et le propriétaire/éleveur canadien-français Richard Berthiaume ont ensuite inscrit l’ambleur débutant sur le tableau des chevaux à vendre de Standardbred Canada - il s’est vendu pour 12 000 $.
C’est Hélène Fillion et son conjoint, l’entraîneur Bertrand Ayotte, basés au Québec, qui ont acheté le cheval et qui l’ont ensuite fait courir à l’âge de deux et trois ans.
Entraîné par Ayotte, lors de son premier départ pour ses nouveaux propriétaires, le 12 août 2012, The Real One a terminé quatrième, en 1: 59,2, à l’hippodrome Rideau Carleton à Ottawa.
Après quatre deuxièmes places consécutives, sa première victoire sera obtenue lors de son huitième départ à vie, le 4 octobre de la même année, également à Rideau Carleton - le temps de la course était un modeste 1:58,1.
La saison suivante, à l’âge de trois ans, The Real One a montré des signes indiquant qu’il était sur le point de prouver ce dont il était capable.
Sa saison de deux ans en 2013 a donné lieu à deux victoires et une troisième en cinq participations aux Grassroots des Ontario Sires Stakes, ponctuées par une victoire OSS en 1: 54,3 sur la piste d’un demi-mile de Grand River Raceway en août.
Ces efforts ont attiré l’attention de l’entraîneur américain Monte Gelrod, qui avait regardé la course de The Real One et a été impressionné par ce qu’il a vu.
Lorsqu’on lui a dit que Fillion parlait peu anglais, Gelrod a demandé à Pat Lachance de lui rendre un service et de faire une offre à Fillion et Ayotte pour acheter le cheval, en son nom.
Fillion n’était pas du tout intéressée à vendre son cheval.
« Je ne connaissais pas du tout Hélène ni Bertrand à cette époque », a partagé Lachance. « Je n’avais jamais rencontré ni l’un ni l’autre. Mais en fait, elle avait l’air un peu contrariée par l’offre de l’acheteur », rit-il. « À un moment donné, je me souviens lui avoir dit de se rappeler que j’étais juste le messager… que ce n’était pas moi qui essayais d’acheter son cheval. »
La vente n’a évidemment pas abouti, Fillion et Ayotte ont gardé leur cheval bien-aimé, et après une deuxième saison qui l’a vu gagner 10 fois et gagner 55 143 $, ils ont commencé à le préparer pour sa campagne chez les chevaux âgés.
Cependant, après quelques départs à Rideau et à l’Hippodrome 3R, au début de la campagne de quatre ans de The Real One, et environ six mois après l’avoir appelée, Pat Lachance a reçu un appel téléphonique d’Hélène Fillion.
« Je pense que certaines personnes qu’ils connaissaient leur avaient dit [Hélène et Bertrand] que leur cheval pourrait probablement gagner beaucoup d’argent à Yonkers », se souvient Pat.
« Ce n’est pas qu’Hélène ne voulait pas me le laisser, elle ne voulait le laisser à personne », rigole le « horseman » qui compte plus de 4 300 victoires en attelage et à l’entraînement. « Elle était tellement protectrice envers lui. Je lui ai dit : « Si tu me laisses l’entraîner, je promets que je prendrai soin de lui comme s’il était mon propre cheval. »
Fillion a donc confié les rênes à Lachance pour entraîner son cheval bien-aimé, et Pat est resté fidèle à sa parole en ce qui concerne les soins du cheval.
« La première fois que je l’ai entraîné, il semblait être un cheval assez sympa », a partagé Pat. « Mais il n’avait pas l’attitude d’un cheval spécial ou quoi que ce soit. Je me souviens avoir dit à mon père que je pensais qu’il allait peut-être « juste ok » ou quelque chose du genre. »
Désormais inscrit en course, la nouvelle propriétaire de Pat, Hélène, était au bord de la piste de Yonkers le 21 juin 2014, lorsque le cheval bai a fait son premier départ dans « l’Empire State ».
« Hélène était tellement sérieuse ce jour-là, comme une maman qui envoyait son enfant chez quelqu’un d’autre pour qu’il s’en occupe », rigole Pat.
Lachance, qui était assis sur le sulky derrière le cheval ce soir-là, a mis le nez du meneur dans la barrière mobile pour le départ de la deuxième course, espérant pouvoir guider le choix à 2/1 au mutuel vers une fin de course en conte de fées pour ses propriétaires nerveux.
Troisièmes, après un premier quart en :26,3, le duo est ensuite monté en deuxième position aux trois quarts en 1 :22,4.
C’est alors que Lachance fait appel pour la première fois à son nouvel élève.
« Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il soit aussi bon », admet Pat. « Je me souviens juste d’avoir tiré la guide et il a juste explosé… J’étais un peu en état de choc. J’ai dû ravaler les mots que j’avais dit à mon père quelques jours plus tôt, mais dans ce cas-ci, cela ne me dérangeait vraiment pas (rires). »
« Après cette première fois ou je l’ai coursé, je savais qu’il avait un gros moteur, car il a gagné par plus de quatre longueurs », se souvient-il à propos du mile 1:52. Il s’agissait de la première de trois victoires consécutives pour le nouveau duo cheval-conducteur. « Il était tellement rapide, son dernier quart était si vite qu’il a littéralement volé à la victoire. »
Ça allait devenir la carte de visite de The Real One.
Qu’il s’agisse d’un solide peloton ou d’une compétition « raisonnable » devant eux, Lachance savait à quoi s’attendre de son protégé dans le dernier quart de chaque course.
Vous pouvez compter sur les dix doigts des deux mains le nombre de fois où The Real One a été en tête au quart de mille, au cours de ses 11 années de compétition aux États-Unis – la grande majorité de ces départs ayant eu lieu à Yonkers. La plupart des gens penseraient qu’un spécialiste du demi-mile ferait la plupart de ses meilleures courses par en avant – mais pas dans ce cas-ci.
Lachance l’a appris très tôt à propos de son nouveau protégé.
« Il faisait toujours de gros efforts. Mais il devenait parfois « hot » et il fallait le calmer un peu. J’ai vite appris que si vous le laissiez relaxer [au mot « go »] tôt, lorsque vous lui demandiez cet effort supplémentaire plus tard dans le mile, il décollerait vraiment. »
« Je ne l’ai jamais vraiment « scoré » au fil du temps, parce qu’il était meilleur quand on lui demandait d’ambler pour revenir d’en arrière, mais je me suis blessé dans un accident de course à Woodbine en 2018, et pendant ma convalescence, j’ai dû demander à plusieurs gars différents de le conduire. C’est à ce moment-là que [Jason] Bartlett a pensé qu’il essaierait de jouer les mignons un soir », rit-il.
« Il l’a amené jusqu’aux trois quarts en 1:22 ou quelque chose comme ça, dans la boue comme grand favori. Il a été battu », sourit Pat, alors qu’il se souvient de l’un de ses chevaux préférés de tous les temps et des meilleures performances de son protégé.
« Je pense qu’il était important pour le succès et la longévité de sa carrière que nous apprenions qu’il était meilleur quand il revenait par en arrière. Son style de course, avoir un objectif à atteindre, ce type de chevaux semble toujours durer plus longtemps. »
Et en parlant d’être bâti pour durer, Lachance croit que cela vient aussi du pedigree du cheval.
« J’ai toujours eu dans l’idée qu’il aurait la longévité parce qu’il était un Mach Three issu d’une jument Bettors Delight - les Mach Three semblent toujours durer éternellement. Vous ajoutez une lignée Cam Fella là-dedans et vous obtenez un cheval résistant et durable. »
Et victorieux aussi.
Le Real One a conservé le record de piste, 1:50, à Yonkers pendant trois ans. Il a réalisé cet exploit pour la première fois au cours de sa saison de six ans.
Ce n’était pas son seul moment mémorable.
Le 20 juin 2015, The Real One a remporté un Open Handicap Pace spécial de 75 000 $ à Yonkers, qui faisait également office de Marvin Kaufman Memorial.
Bien qu’il ait tiré la huitième position et négligé avec une cote de 17/1, The Real One, avec Lachance dans le sulky, est revenue un dernier quart en :27,2 pour gagner par une longueur et quart en 1:52,3.
La bourse de 37 500 $ pour la première position était le plus important montant remporté de la carrière de cet ambleur de course percutant qui a remporté 73 fois et gagné 1 689 592 $ de façon ardue.
« Il avait la huitième position ce soir-là, mais tout s’est bien passé », se souvient Lachance. « Ils se sont un peu mélangés en avant au début de la course et lui, il est revenu d’en arrière comme il le fait toujours. C’était plutôt cool. »
Il y a eu de nombreuses autres victoires qui ont suivi, en plus d’une deuxième place dans une division de la série Levy (maintenant appelée Borgata) en 2016, et une difficile quatrième pour laquelle il a travaillé fort et terminé à seulement 1 ½ longueur du vainqueur (McWicked), dans l’édition 2019 du Dan Rooney à Yonkers pour une bourse de $250,000.
Au cours des six années allant de 4 à 9 ans (ses six premières années avec Lachance), le moins que The Real One n’ait jamais gagné était de 140 663 $, et si ça n’avait pas été de la saison de course écourtée par la COVID-19 de sa campagne à 10 ans, il aurait sûrement réalisé huit saisons consécutives avec des gains à six chiffres (il est revenu à 11 ans à 117 755 $).
En 2024, à l’âge de 14 ans, lors de sa dernière année de course, The Real One a remporté deux victoires, six deuxièmes et cinq troisièmes, assorties de 85 994 $ de bourses.
Les règles du Standardbred stipulent que les chevaux peuvent courir jusqu’au 31 décembre de leur saison de 14 ans, à l’exception des courses où ils sont conduits par des conducteurs amateurs. Le 10 décembre dernier, il s’est donc aligné derrière la barrière mobile pour la dernière fois.
À la fin du mile, évidemment, à Yonkers, The Real One était cinquième, à deux longueurs du vainqueur.
Ce fut un moment doux-amer pour Lachance, qui était sur le sulky, fidèle à son habitude.
« On pouvait toujours compter sur lui, même à l’écurie. Quand on traversait une période de courses difficile, on voyait qu’il était inscrit alors on savait que les choses reviendraient sur la bonne voie. Et c’est ce qui arrivait. C’était incroyable, cette période d’environ sept ans, pendant laquelle il est sorti et a performé à un niveau élevé à chaque course. Il est resté sain. Il l’est toujours. Il pourrait courir encore quelques années – je peux le garantir. Il adorait Yonkers. Il n’a jamais eu de problèmes de suspenseurs, de tendons etc, – nous avons eu beaucoup de chance. »
« En fait, nous avons peut-être [bloqué] ses pieds à quelques reprises, mais je vous jure que pendant toutes les années où nous l’avons eu, il n’a JAMAIS eu d’injection dans les articulations. »
À l’époque actuelle des courses de chevaux, c’est probablement le seul fait de toute cette histoire qui pourrait être le plus impressionnant !
310 départs à l’Écurie de Lachance; 61 victoires ; plus de 1,6 million de dollars de revenus sur 11 années de course ; zéro joint injecté.
« Il était très silencieux dans l’écurie et n’a jamais rien fait de mal. Il n’a jamais essayé de vous mordre ou de vous donner des coups de pied - un cheval très agréable à côtoyer. Il pourrait y avoir des enfants autour de lui et cela ne vous inquiéterait pas. »
« Il avait manqué quelques départs à la fin et avait baissé de classe, mais il ne nous devait rien. Je pense que la seule chose qui m’est venue à l’esprit était : « J’ai hâte qu’il soit de retour à la maison et heureux ». Je sais qu’il sera pris en charge. Je veux qu’il mène la vie heureuse qu’il mérite », sourit Pat.
Maintenant, avec des statistiques en carrière de 349 - 73 - 58 - 57, une marque de 1:50h et 1 689 582 $ de gains à vie, le cheval qui n’a jamais été mis dans une classe à réclamer est maintenant de retour chez lui au Québec.
C’est en tout cas une fin tel un conte de fée pour ses relations, y compris le palefrenier de longue date, Alejandro Herrera.
« C’est un cheval spécial », a déclaré Herrera. « Nous avons passé 10 ans ensemble. Il était très facile à prendre soin et était toujours heureux. Ce qui me manquera le plus, c’est de l’emmener aux courses chaque semaine. Il pouvait sentir quand le jour de la course arrivait : nous avons fait tellement de super voyages à Yonkers. »
Pour Lachance, l’endroit où The Real One passera le reste de ses jours est, peut-être à juste titre, l’endroit où le horseman respecté a réellement passé son enfance.
« Assez fou, la ferme dans laquelle il vit actuellement est la ferme de mon oncle André. Il a acheté cette ferme de mon père qui lui l’avait achetée de leur père, donc mon père et moi avons grandi là où se trouve actuellement The Real One. C’est là que j’ai passé les 10 premières années de ma vie avant que ma famille ne déménage à New York. »
Petit monde !
Lachance se rendra un jour à l’endroit où il habitait autrefois, pour renouer avec Fillion et Ayotte, et avec le cheval qui a défié tous les pronostics, au propre comme au figuré.
« Je parlais avec Hélène l’autre jour », rit Pat. « Je lui ai demandé si le cheval recevait de bons soins là-bas et j’ai plaisanté en disant que je devrais peut-être aller le voir pour m’en assurer. »
De véritables amitiés se sont nouées entre les relations de The Real One au cours de la dernière décennie, alors que le guerrier a changé la vie de tous ceux qui l’entourent – pour le mieux.
« The Real One est un cheval très heureux et il nous a toujours donné son 100 pour cent, peu importe la position de laquelle il partait », a partagé Hélène Fillion. « Il a toujours gagné assez pour payer son entrainement et nous a permis d’acheter une vingtaine de chevaux [au fil des ans], dont 10 sont allés chez Patrick Lachance. »
« C’est lui qui nous a donné la chance de continuer dans le domaine des courses et de pouvoir aller aux encans... Je travaille dans les chevaux depuis que je suis jeune, avec de jeunes chevaux, et avoir The Real One était un cadeau du ciel. »
« Patrick a eu The Real One pendant 10 ans. Les huit premières années, il revenait à la ferme pour l’hiver, les vacances et pour la préparation de son retour en piste auprès de Patrick par la suite. Patrick prenait soin de lui comme s’il était le sien et il était un membre de sa famille. »
« Un grand merci à Patrick et son équipe pour les belles années et les bons soins, car il a 15 ans maintenant mais est encore jeune. »
« The Real One est à Mirabel avec André Lachance et Sylvie Lamarche. »
« Actuellement, le bon vieux continue de « jogger » parce qu’il adore être sur la piste et il court librement dans le paddock. Nous allons lui offrir une belle retraite comme il le mérite. »
Malgré qu’il jogge toujours à Mirabel, au Québec, il n’y a plus d’objectifs à poursuivre pour The Real One, plus de derniers quarts de mille intenses à ambler, mais ce n’est pas grave.
Au lieu de cela, l’ambleur à la retraite profitera simplement des paysages et des sons de la vie à la ferme, où il passera du temps avec son nouveau compagnon, un poney qui habite également la propriété.
« Il a montré à beaucoup d’entre nous que l’âge n’est qu’un chiffre », a déclaré Lachance. « Nous pouvons tous apprendre beaucoup de lui. »
Cet article a été publié dans le numéro de fevrier de TROT Magazine.
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