Choisir Des Gagnants

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Tellement de décisions à prendre en si peu de temps. Voilà, en résumé, en quoi consiste la vie professionnelle d’un conducteur de relève. L’entraîneur vous remet les rênes huit minutes avant la course, vous adresse quelques mots de sagesse, et vous voilà parti. En tant qu’homme de chevaux, y a-t-il de la sagesse à retenir de cette expérience? Nous avons demandé à sept des meilleurs conducteurs de nous faire monter à bord d’un sulky et de partager avec nous leurs pensées sur ce à quoi ils doivent s’attendre des chevaux quand ils entrent en piste et les décisions majeures qu’ils doivent prendre pour atteindre le cercle du vainqueur.

Par Bernard Tobin / Traduction Louise Rioux

Dès le moment où vous atteignez la piste, la liste de vérification d’avant course est plus longue qu’une entrave de 64 pouces. Votre cheval est-il en condition? Est-il alerte et en contact ou inactif et amorphe? Ce hochement de tête devrait-il présenter une inquiétude ou en sortira-t-il ?

Dès lors que vous connaissez la forme physique du cheval, c’est le temps de passer devant le tableau indicateur pour analyser la concurrence. Quand vous avez lu le programme, vous pensiez que votre cheval avait une chance, mais les parieurs se sont empressés de le gager, le faisant grand favori. Il est maintenant temps d’établir une stratégie. Quel casque de protection devez-vous suivre ? Derrière quels chevaux devez-vous éviter de vous retrouver ? Votre cheval possède-t-il de la vitesse tactique? Peut-être devriez-vous partir en avant ou un autre conducteur pourrait-il vous distancer et vous faire payer chèrement d’avoir pris la tête?

L’horloge fait tic tac et vous voilà en marche vers la barrière de départ. Votre plan est établi - et très certainement les choses se passeront comme prévu lorsque les ailes de la barrière de départ se replieront.

Mais les probabilités font que ce ne sera pas le cas. « Des choses arrivent. Ce sont les courses de chevaux, » dit le conducteur Marc Campbell – finaliste au O’Brien Horsemanship Award 2011.

ÉVALUER LES CHEVAUX EN ÉCHAUFFEMENT

Les conducteurs peuvent-ils déterminer s’ils ont en mains un cheval actif lors de l’échauffement ? Y a-t-il des signes que les parieurs devraient reconnaître, qu’ils soient perchés dans la grande tribune ou à la maison sur leur sofa? Les conducteurs ne partagent pas tous les mêmes théories, mais ils croient tous que vous pouvez en apprendre beaucoup lors du défilé.

« Vous pouvez manifestement dire si votre cheval est en bonne forme, » dit le conducteur Luc Ouellette, lequel a gagné plus de 8 400 courses et 134 M $ en carrière. « Quand vous arrivez en piste, vous voyez s’il est sain, s’il agrippe le mors et s’il est dans les guides. C’est une question d’un tour de piste ou deux. »

« Je recherche un cheval qui agrippe le mors, qui est alerte et dont les oreilles sont orientées vers l’avant, » avance Paul MacDonell, qui a piloté le cheval de l’année 2008, Somebeachsomewhere, tout au long de sa carrière. Il admet qu’il est plus facile d’évaluer un cheval si vous en êtes le conducteur régulier et que vous pouvez comparer son allure semaine après semaine.

Triple gagnant d’un O’Brien Award, Jody Jamieson, dit que c’est certainement le cas en ce qui concerne l’ambleur qui a gagné le Metro Stakes 2010, Mystician, un cheval qu’il mène régulièrement. « Avec bien des chevaux, j’aime les voir tranquilles et relax lors du défilé, mais pour ce qui est de Mystician, il est bon quand il tire, » dit-il. « Il a déjà été erratique, mais je peux dire quand il sera dans le coup – il veut partir et il saisit le mors. »

Pour le pronostiqueur avisé, il y a beaucoup à apprendre au cours des quelques minutes précédant le départ, dit Scott Zeron, 23 ans, et gagnant de 539 courses et 8,1 M $ en 2011.

« Quand vous regardez cela de la grande tribune, vous voulez voir le conducteur, les guides bien serrées sur le cheval, mais vous ne le voulez pas couché sur le sulky, » dit Zeron. « Vous ne voulez pas non plus d’un cheval trop excité lors du défilé. Il pourrait arrêter de respirer, manquer d’oxygène et subir des conséquences telles que des crampes potentiellement de longue durée. »

Mike Saftic dit que les conducteurs doivent être particulièrement attentifs quand ils s’assoient derrière un cheval pour la première fois. « Vous pouvez rapidement bien sentir les chevaux, mais ils peuvent très bien vous piéger – parfois il en résulte qu’ils agissent toujours comme cela, » de dire ce résident de Campbellville, ON, ayant gagné plus de 2 M $ en bourses annuellement et ce, au cours de 22 années consécutives. « Mais si vous conduisez ce cheval depuis les trois ou quatre dernières semaines, vous pouvez dire s’il est au meilleur de sa forme ou s’il est amorphe. Dès que vous connaissez le cheval, ce n’est pas difficile de reconnaître comment il agit. »

Saftic raconte une course récente alors que le conditionnement de son cheval différait de façon significative de la semaine précédente. « Elle avait couru une bonne deuxième position quand je l’ai menée pour la première fois. Elle se dérobait quelque peu, mais se sentait bien et était bien en muscles. Une semaine plus tard, je pouvais dire dès le défilé qu’elle allait s’épuiser dès la sortie de la barrière. Je savais qu’elle n’allait pas se lancer et je n’avais simplement pas un bon sentiment. Elle était parmi les favorites et comme de fait, elle est partie huitième. »

Keith Clark mentionne qu’il a toujours su lire si le gagnant de 71 courses et membre du Temple de la renommée, As Promised, était prêt. Comptant 6 000 victoires à titre de conducteur et deux O’Brien Awards pour le Horsemanship, il devrait savoir une chose ou deux sur comment évaluer les chevaux. « On pouvait tout de suite dire s’il était en bonne forme. Il se saisissait de vous, ses oreilles étaient relevées… c’était le moment où on le savait au-dessus de son affaire. »

Clark dit que les conducteurs en viennent à connaître les tendances des chevaux. « Parfois quand ils jouent ou qu’ils se cabrent – ils sont vraiment alertes. Quelque chose bouge et tout de suit ils sont effrayés. »

Et d’ajouter que certains chevaux ont des problèmes de boiterie et un conducteur régulier peut déterminer si le cheval est assez sain pour livrer une belle performance. « Ils ont tous de petits problèmes, mais un conducteur régulier sait quand le cheval est mieux ce soir-là. Les conducteurs qui mènent beaucoup ont un bon aperçu de ce qu’ils ont en mains, particulièrement s’ils ont conduit le cheval auparavant. »

MENER LE FAVORI

Certains conducteurs ressentent de la pression lorsqu’ils sont assis derrière le favori, mais pas Jamieson. « Si à chaque course, vous me donnez le meilleur cheval, je pense bien que je ne serai pas battu, » de dire le maître absolu et confiant des rênes, à 35 ans. Mais les favoris qu’il mène se font battre tout le temps puisque Jamieson connaît très bien les périls de diriger son cheval vers les endroits les plus chauds, l’empêtrer dans la circulation ou le faire emboîter.

« Toutes sortes de scénarios font que vous vous faites battre, mais je préfère mener le favori. Je crois que la pression est bien plus gande quand on mène un favori à 10-1 qui doit se mesurer au favori, » insiste-t-il, faisant remarquer que les chevaux aux plus grandes cotes manquent généralement de quelque chose, soit d’un pedigree, de talent ou de forme physique.

Jamieson dit qu’un conducteur peut se compter chanceux d’être attitré au meilleur cheval d’une course au programme, mais ce cheval peut bien ne pas être au meilleur de sa forme ce soir-là. « Il y a tellement de facteurs qui entrent en considération. Je crois que c’est ce qui fait la beauté de ce sport. Il y a le cheval, le conducteur, la course, les autres participants à la course ainsi que le déroulement de la course de ces chevaux-là… Il y a tellement de points à considérer. »

Une chose, selon Jamieson, sur laquelle les parieurs doivent garder l’œil quand ils évaluent les favoris, c’est la fiche de l’entraîneur. « Vous devez rechercher les meilleures équipes, celles qui gèrent une bonne écurie. Généralement, leurs chevaux sont relativement constants et bons de semaine en semaine. Cela rend mon travail beaucoup plus facile tout en faisant que les choix du public seront meilleurs. »

Ouellette croit que l’hippodrome est toujours un gros facteur quand on mène un favori. « Si un cheval n’est pas un bon coureur de tête, cela travaille en votre défaveur à Woodbine, » d’expliquer le quadruple gagnant de la Breeders Crown. Vous avez un droit d’un quart de mille, puis un tournant. Si vous n’êtes pas près de la tête, vous devez vous méfier d’un favori. Quand on court depuis l’arrière, il faut presque foncer vers la tête sans quoi, si vous essayez d’aller dans la deuxième voie, il peut s’y trouver une couple de chevaux qui obstrueront la circulation à l’extérieur. »

Quand il s’agit de mener les choix du public sur une piste d’un demi-mille à Red Shores Racetrack & Casino du Charlottetown Driving Park, Campbell dit qu’il vise la tête 95 pour cent du temps. « Je veux être en avant ou aussi près que possible de la tête. »

Il admet que des chevaux peuvent ne pas bien courir quand ils sont proches de la tête ou s’ils sont menés agressivement, mais ‘quand les parieurs ont misé tout cet argent sur moi et le cheval, il faut donner sa chance au cheval. Je pense que cela paraît très mal si on vous attribue un favori et que vous terminez quatrième. »

Ouellette fait remarquer que des conducteurs se font souvent demander par leurs entraîneurs d’être ultra patients avec de jeunes chevaux et de ne pas les surmener. « Parfois, un entraîneur vous demandera de rester parmi le groupe avec un jeune cheval et d’éviter de monter en tête, » dit-il, expliquant que les conducteurs veulent respecter les vœux d’un entraîneur, mais ils ont aussi une responsabilité envers le public parieur qui a supporté le cheval de ses dollars. « Si vous restez à l’intérieur, vous serez peut-être chanceux et pourrez sortir à temps pour aller gagner, d’autres fois, vous ne sortez pas et vous finissez deuxième ou troisième. »

MacDonell dit que les parieurs ont aussi besoin de comprendre que les chevaux ne sont pas toujours à leur meilleur chaque fois qu’ils sont amenés à l’hippodrome. « Vous pouvez parfois recevoir un avertissement de la part de l’entraîneur à l’effet que le cheval n’est pas bon ce soir, » explique Macdonald, un double gagnant du Metro Pace avec Rustler Hanover et Jeremes Jet. « Quand je mène des favoris, je crois qu’il est de ma responsabilité de m’assurer que le cheval soit dans la course à un moment ou un autre durant le mille. Même s’il y a des signes avertisseurs, vous êtes redevable aux parieurs du public de faire faire une bonne course au cheval. »

Zeron ajoute qu’il est important de respecter les choix des amateurs, mais les conducteurs doivent se rappeler les forces et faiblesses de leurs chevaux. « Conduire un favori peut réellement changer votre perspective en tant que conducteur, » dit-il. « Parfois il conviendra mieux à un cheval de ne pas sortir trop vite, et c’est ainsi que vous l’avez mené chaque semaine. Mais dès que vous commencez à gagner quelques courses, les amateurs commencent à le gager et vous devez changer votre stratégie.

« Vous ne voulez en aucun cas vous retrouver dans les problèmes de circulation où d’autres chevaux à l’extérieur finiront par vous coûter la course. Alors vous devez changer et conduire un petit plus de façon agressive. » Quelques fois le changement de tactique peut vous causer une défaite, résultat direct de la pression occasionnée et qui, selon Zeron est partie intégrante du fait de conduire les meilleurs.

Saftic prétend que les conducteurs doivent aussi être conscients des faux favoris – c’est-à-dire un cheval qui a connu des courses parfaites lors de ses plus récentes et à qui, maintenant, on demande d’en livrer une aux faibles probabilités. « C’est une situation où une semaine, un cheval se positionne en première ou deuxième, fait une belle course et rafle la victoire. La semaine suivante, il est positionné parmi les trois premiers et se sépare des deux autres chevaux tard dans la course pour se mériter la victoire, » explique Saftic. « Arrive alors la troisième semaine. Il est favori à 4-5 et vous savez que la seule raison de ses victoires antérieures et consécutives est qu’il a connu d’excellentes courses. Maintenant vous voilà coÏncé dans le groupe des trois, vous sortez en premier et ne gagnez rien. »

Saftic mentionne que c’est un angle que les pronostiqueurs expérimentés jouent souvent. « C’est ce qu’ils recherchent – des chevaux ayant gagné après une course parfaite. La semaine suivante, ces chevaux seront généralement moins joués et les pronostiqueurs parieront contre eux. »

SURVEILLER LE TABLEAU INDICATEUR

Le tableau représente pour le conducteur, l’un des outils les plus importants.

« Vous pouvez voir un cheval qui appelle beaucoup d’argent et pour lequel vous n’aviez pas beaucoup de respect en lisant le programme, » de dire MacDonell. « Parfois les parieurs sont quelque peu plus futés que les conducteurs et je dois respecter ce cheval durant la course. »

Ouellette regarde attentivement le tableau indicateur à chaque fois qu’il passe devant quand il réchauffe un cheval. « Je veux vraiment voir ce que les parieurs pensent, » dit-il. « Alors qu’il reste deux minutes avant le départ, je veux voir sur quels chevaux les gens gagent. Quelques fois ils arrivent avec un cheval que je ne pensais pas très bon. »

Campbell admet que les parieurs l’aident à déterminer la façon dont il conduira son cheval. « Avec la diffusion en simultané, beaucoup de parieurs voient beaucoup plus de courses que moi. Ils se révèlent d’assez bons classificateurs et s’ils croient que mon cheval a une chance, d’habitude il l’a. »

Zeron aime mémoriser les chiffres. « Quand vous coursez des chevaux, il y a tellement de choses qui vous traversent l’esprit. Chaque fois que je passe devant le tableau indicateur, je retiens les trois premiers chevaux les plus joués, je les mémorise et les cherche. »

Zeron dit que sa stratégie de course se déroulera souvent en fonction de la position de ces chevaux dans la course. Selon qu’il mènera un cheval à faible cote ou un gagnant imprévu, il prendra des décisions tactiques en une fraction de seconde – soit quels chevaux il veut suivre et lesquels il laissera aller s’il arrive à la tête – selon ces chiffres.

« Nous les conducteurs, avons nos opinions quant aux chevaux qui devraient être favoris. Certains peuvent avoir été emboîtés la semaine précédente et ont paru piégés, mais ils sortent à 10-1 parce qu’ils n’ont pas touché de chèque lors de la dernière course, » d’expliquer Zeron.

Mais il souligne que l’opinion du public est vraiment importante, particulièrement quand le choix s’inscrit à 5-1 et est gagé à 3-5.

« Il faut réellement que vous surveilliez ce cheval car le conducteur devra changer son style de conduite, et mener le cheval de façon agressive. En même temps, si vous êtes en avant, il est important que vous sachiez si c’est le favori à 3-5 qui s’en vient pour juger si oui ou non, vous le laissez aller. »

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