Horsemanship: de A à Zeron
Le premier trajet de la journée pour Rick Zeron, et ce, à tous les jours, consiste à se rendre à l’écurie #1 de Mohawk.
Alors que plusieurs de ses collègues sont à la maison et se reposent de leur dernier programme de course de la veille, Zeron est déjà à l’écurie en train de soigner son imposante écurie. « Je garde 20 chevaux ici, » dit Zeron par un beau matin ensoleillé de mars. « J’aime me lever tôt et venir à l’écurie faire le travail. J’aime la vie comme cela. Bien des gens se lèvent et prennent leur petit déjeuner et vont ensuite au gym. Je peux aller au gym l’après-midi, mais le matin, j’aime être à l’écurie. »
Comme Zeron incline son fauteuil, l’écurie bourdonne d’activité. « Hey Marty, qui est-ce? » demande Zeron au moment où un cheval passe en marchant avec un certain inconfort. « Emmène-le moi ici. Laisse-moi examiner sa patte de derrière. »
L’entaîneur se lève de son fauteuil et immédiatement, il a un genou par terre pour examiner la patte de derrière qui porte une marque visible. « Amène-le à la piscine, » d’ordonner Zeron. « Je ne crois pas que ce soit un ligament suspenseur… quel est le numéro de téléphone de la piscine? »
En quelques secondes, Zeron avait placé un appel et le palefrenier emmenait le cheval au Spa Équin afin qu’il puisse recevoir un petit traitement. Zeron n’était revenu à son fauteuil que depuis quelques secondes, que Mike Rivet, un nouveau venu parmi son personnel d’écurie, entre dans le bureau avec une fluoroscopie. Zeron se colle le nez sur la radiographie à la recherche du problème. « Où est le fragment? » demande-t-il. « Les genoux n’ont pas l’air si mal… »
Aux yeux d’un profane, l’image ne représente que l’angle d’un os reproduit en noir et blanc. « Vois-tu cela? » Il repousse la fluoroscopie vers l’avant tout en indiquant la tache floue de l’os. « Tu vois comment il est? L’un n’est pas censé être aussi ouvert que l’autre. C’est dans son jarret. Il y a un petit éclat là. Vois-tu la différence entre les espaces? Il a un fragment dans l’articulation du jarret droit et si tu regardes bien, tu verras qu’il y a une couleur qui n’est pas supposée être là. Ça devrait être plus clair. »
Ça ne saurait être plus flou à mes yeux.
« Vois-tu ici, où c’est inégal? C’est un petit fragment d’os qui croît sur l’os, là. Alors à chaque fois qu’il plie le genou, ce petit os se déplace et le fait tout le temps souffrir. »
Ce diagnostic n’est qu’une parcelle du horsemanship que Zeron a appris au cours de sa vie passée à travailler avec les chevaux. « Mon beau-père m’a amené à ce sport, » dit Zeron. « Il était entraîneur, conducteur et propriétaire de chevaux compétitionnant à Ottawa. Harry a décidé que c’en était fini pour moi l’école, en huitième année. Il avait besoin de moi pour travailler à la ferme et prendre soin des chevaux. L’agent de discipline est venu à la ferme et il fut présenté à Harry. Et bien, Harry lui a parlé puis l’agent est reparti. Il se pourrait bien qu’il ait eu quelque chose en mains lorsqu’il est parti – mais je m’en tiendrai à cela. Et c’en était fini pour moi et l’école. »
Alors que son temps en classe était terminé – son apprentissage de la vraie vie ne faisait que commencer. Tout comme tant d’autres hommes de chevaux avant lui, il est clair que Zeron a appris son métier à partir du tout début. « À l’âge de douze ans, j’étais fasciné par le forgeron qui venait à l’écurie, » se rappelle-t-il. « C’était John Dunlop. Il était forgeron pour la G.R.C. Il venait à l’écurie pour ferrer les chevaux de Harry et ça me fascinait, alors je m’y suis intéressé et j’ai appris à ferrer. »
Zeron père, a encouragé son fils en lui permettant de prendre soin des poulinières et des chevaux plus âgés sur la ferme. Avec le temps, Zeron a appris plusieurs autres facettes du métier et très vite, il a développé un intérêt pour la conduite. « Ma première course a eu lieu en août 1975 et ce fut très spécial, » dit le horseman dans un sourire. « Nous n’allions pas aussi vite qu’aujourd’hui, mais c’était toute une sensation. Le juge à ce temps-là, était Claire Smith. »
« J’ai mené une ambleuse du nom de Oxford Mary et j’ai gagné avec elle ce jour-là, avec quelques longueurs, » raconte Zeron en riant. « J’ai parcouru la moitié en 1:05.3 et j’ai gagné en 2:07.3; Claire Smith m’a appelé après la course me félicitant pour ma première victoire en carrière et me demandant de passer le voir le lendemain. »
« J’ai pensé que c’était fantastique – qu’ils allaient tous me féliciter sur mes débuts en carrière, » dit Zeron dans un grand rire quand se rappellent sa rencontre avec l’intronisé au Temple de la renommée. « J’ai pensé que j’allais voir les juges et qu’ils allaient tous me serrer la main – Smith m’a plutôt servi une suspension de cinq jours pour avoir couru trop lentement durant la première moitié. »
Mais la carrière du maître des rênes a vite emboîté le pas. « J’ai été le meilleur conducteur durant quelque deux années à Ottawa, » dit-il. « Je me suis marié à Joyce en 1980 et très vite nous avons eu Jennifer – notre première fille. Nous sommes déménagés d’Ottawa à Montréal et là encore, j’ai été le meilleur conducteur durant neuf années sur treize, soit entre 1982 et 1995. »
Pour échapper à la menace d’instabilité appréhendée vu la quête du Québec pour sa souveraineté lors du référendum en 1995, Zeron déménagea sa famille en croissance – Jennifer avait depuis longtemps été rejointe par ses frère et sœurs, Jerrica, Scott et Jade – à Toronto. Zeron accorde beaucoup de crédit à ce déménagement qui en a fait un meilleur conducteur. « Je me suis développé à cause des meneurs contre lesquels j’ai coursé depuis 1995, » dit-il en hochant la tête. « Je me suis développé du fait que je ne suis plus un conducteur courant en tête du début à la fin, je ne suis plus ce conducteur voulant être toujours à l’avant, ce que j’étais à Montréal. Je me suis développé au point d’être aussi bon que possible en courant dans le milieu ou à la fin du peloton, ce qui m’a vraiment beaucoup aidé. »
Et comme il aime courir en milieu de peloton. « J’aime la deuxième ligne, » dit Zeron en hochant de la tête. « S’asseoir derrière et être capable de se hisser à la tête à l’entrée du dernier droit et les doubler pour gagner une course, le fait d’aller en avant et d’accélérer pour amener le cheval à dépasser les autres chevaux… j’aime le moment de cette sortie du peloton sans avoir à les combattre durant tout le mille. »
L’homme qu’ils appellent ‘The Whip’ à cause de son habitude de remettre son fouet à un amateur chanceux après chacune de ses victoires, a certainement laissé sa marque sur le circuit de l’Ontario. L’année 2009 a été la huitième année consécutive où Zeron a gagné plus de 5 M S en bourses à titre de conducteur, et plus tôt en saison, sans tambour ni trompette, il a inscrit sa sept millième victoire. Ses statistiques rencontrent bien les normes du Temple de la renommée et le vétéran de 53 ans ne démontre aucun signe de ralentissement; il occupe présentement le quatrième rang de la liste des meilleurs conducteurs en 2010 à Woodbine avec 69 victoires et un pourcentage de gains de 14,8%.
Ses collègues conducteurs aussi, reconnaissent vite ses talents. « Il est l’un des meneurs les plus professionnels contre qui se mesurer, » de dire le gagnant du O’Brien, Paul MacDonell. « Il pense d’abord toujours au cheval, en tout temps, et il est tout simplement un très grand horseman. Il est un conducteur patient et je crois que cela lui vient d’avoir entraîné des chevaux de la façon dont il le fait. Il exploite une grosse écurie et apprend à prendre soin du cheval et je crois que c’est sa plus grande force. »
MacDonell se rappelle de Zeron mettant un de ses chevaux sur la sellette. « Il a gagné pour moi comme propriétaire, avec Mach You And Me. C’était à la finale de la SBOA et je devais être à The Meadowlands ce soir-là; il est entré, si je me souviens bien, dans une course de 250 000 $ et il l’a gagnée pour moi. Dans mon esprit, il est A1! »
Et malgré tous ses succès en piste, c’est le côté conditionnement du sport que Zeron préfère. « Entraîner les chevaux. J’aime cela. C’est ma préférence, » dit-il.
Indiscutablement, son plus grand succès en tant que conditionneur est Hanko Angus. Zeron a acquis un trotteur, illustre inconnu, à la fin de 1997, et il a transformé le cheval réclamé à 20 000 $ en un des meilleurs concurrents de l’épreuve de la North America’s ‘Free For All’ avant de le mettre à sa retraite à la fin de sa carrière millionnaire. La plus grande victoire du poulain a été le 1998 Maple Leaf Trot. « Pat Lang me l’a envoyé, » de dire Zeron. « Il ne faisait que briser son allure, tourner sur la piste et aller dans le sens contraire. Il était très erratique. Alors Pat me l’a donné me disant ‘vois ce que tu peux faire pour lui.’ Je l’ai entraîné durant quelque deux semaines, et il était bien ce que Pat m’avait dit qu’il était. »
L’inspiration sur la façon dont il entraînerait Hanko Angus lui est venue alors qu’il conduisait… mais pas un cheval. « M’en allant chez moi à Oakville, je suis passé devant une ferme et j’y ai vu des poulinières dans le champ portant des écrans moustiquaires. « Je me suis dit ‘il faut que j’essaie cela.’ Je lui ai fait porter l’écran, j’ai changé son ferrage et l’ai qualifié. »
Deux départs plus tard, Hanko Angus inscrivait sa première victoire.
« Deux ou trois personnes s’intéressaient à lui le deuxième soir qu’il a couru, » sourit Zeron. « J’ai téléphoné à Pat après et je lui ai dit ‘je ne l’entrerai pas dans d’autres courses à réclamer, je le crois meilleur que cela’. Pour faire une histoire courte, il a gagné un million quatre cents mille dollars. Il a gagné le Maple Leaf Trot pour moi. Il a tout simplement franchi les échelons et j’ai eu beaucoup de plaisir avec lui. »
Le fait que Zeron aime l’aspect entraînement est une bonne nouvelle pour son fils Scott, un conducteur en devenir de plein droit. « À la base, nous possédons de plus en plus de chevaux, » dit-il. « Mon fils Scott et moi nous appelons Team Z et cette appellation apparaît plus souvent au programme aujourd’hui. »
Il reconnaît qu’un changement dans le nom du conducteur dans le programme pour passer de R. Zeron à S. Zeron ne dérangera pas les parieurs. « Bien des gens disent que quand ils regardent la course, ils ne savent lequel de nous deux est sur le sulky, » blague Zeron, qui est impressionné par l’attitude de son fils. « Scott est beaucoup plus calme que je ne l’étais (enfant). Il se conduit beaucoup plus en gentleman que je ne l’ai fait à son âge. J’étais un peu prompt et il est si relaxe. Ma femme l’a élevé comme cela. »
L’avenir s’annonce prometteur pour l’Équipe Z et, malgré tout son succès, Zeron doit encore mettre la main sur un trophée O’Brien. « À la fin de la journée, ce serait bien de gagner un O’Brien, » admet-il. « Mais si je peux gagner assez d’argent pour subvenir aux besoins de Joyce et des enfants, cela me rend heureux. Si un O’Brien arrive, je serai heureux, mais s’il ne vient pas, tant pis. »
Bien qu’il ait été en nomination pour le prix Horsemanship Award 2009, Zeron l’a perdu aux mains d’un autre entraîneur et conducteur tout aussi travaillant – Per Henriksen – qui s’est mérité l’O’Brien lors de la soirée de cérémonie de 2010. Il y eut, par contre, un moment très touchant vers la fin de la soirée quand Greg Peck s’est levé pour recevoir les honneurs pour le Cheval de l’année, Muscle Hill.
« Une personne dont on a peu parlé ce soir est Rick Zeron, » dit Peck sur la scène. « Je regardais le trophée O’Brien pensant que Joe O’Brien était aussi un grand conducteur et un grand entraîneur, et de nos jours, C’EST Zeron. On ne voit plus cela. »
Cette petite touche de classe a vraiment touché Zeron. « Ce fut tout simplement remarquable de sa part de dire cela, » dit-il dans un grand sourire. « Cela a grandement réconforté les gens à notre table. Il n’avait pas à le faire mais il l’a fait et je lui tire mon chapeau pour cela. Cela a fait du bien à mon épouse et à mes enfants, particulièrement mon fils Scott, que Greg Pack m’ait reconnu. Il a rappelé aux gens que j’avais beaucoup fait pour l’industrie. C’est un grand bonhomme pour ces paroles. »
Debout dans le paddock de Woodbine, quelque dix heures après tout un avant-midi passé à examiner des jarrets et à déchiffrer des fluoroscopies, Zeron annonce un objectif autre qu’une reconnaissance de fin d’année. « Quand nous nous sommes mariés, j’ai dit à Joyce qu’il y avait deux choses que je voulais du monde des courses. » dit Zeron au moment de se hisser sur le sulky. « Je veux gagner sept mille courses, et je veux travailler aussi fort que possible pour être admis au Temple de la renommée afin que quand je serai parti, et que les gens lanceront un regard en arrière, ils verront un Rick Zeron reconnu en tant qu’entraîneur et conducteur. »
Et sur ce, Zeron roule vers le projecteur – espérant revenir sans son fouet.
Par Keith McCalmont