Il faut que quelque chose se passe!
Aussi récemment qu’en 2009, Pascal Bérubé et Mario Charron étaient deux des conducteurs de standardbred les plus occupés du Québec, des rivaux se faisant la lutte pour la suprématie sur les pistes d’un demi-mille des hippodromes de Trois-Rivières et Québec.
Aujourd’hui, l’un a cessé de conduire, et l’autre envisage aussi cette possibilité.
L’effondrement l’automne dernier de l’opérateur d’hippodromes québécois Attractions Hippiques – et en même temps, de ce qui restait de l’industrie des courses dans la province – a disloqué les vies, les carrières et les rêves de centaines de personnes, y compris Charron et Bérubé.
Soudainement, ils se sont retrouvés à ne plus pouvoir faire ce qu’ils aimaient là où ils le préféraient. Tout se résumait à un choix : un travail ou un endroit.
Bérubé a choisi le travail. Charron opta pour un endroit. Les deux en sont encore à pondérer leur décision.
Charron, qui est âgé de 43 ans, a mené la dernière fois dans une course à Rideau Carleton en novembre dernier. Il travaille maintenant les avant-midi comme assistant-entraîneur chez Gerry Turenne à Joliette, à quelque 20 minutes de route de son domicile, mais il admet penser tout simplement à laisser le sport.
Il préfère la conduite à l’entraînement, mais il privilégie sa famille – ce qui l’a empêché de se relocaliser en Ontario comme de nombreux autres, quand l’industrie s’est effondrée au Québec. « Toute ma famille est ici, et nous sommes très proches. Nous nous réunissons probablement 30 à 40 fois par année. Chaque anniversaire est la raison d’un repas en famille. C’est quelque chose qui me manquerait énormément si je devais partir, » dit-il.
Fils d’un homme à chevaux québécois accompli, Jean-Paul Charron, et lui-même conducteur professionnel depuis qu’il a 18 ans, Charron s’ennuie de l’action, mais pas autant qu’il manquerait ses parents, sa fratrie, son partenaire depuis 19 ans, ses fils de 19 et 13 ans, de même que toute sa parenté, s’il devait prendre la route. « Je ne voulais pas quitter le Québec. Je suis allé à Windsor une année (durant une grève des horsemen à l’Hippodrome de Montréal en 1993) et je n’ai pas du tout aimé cela. Des gens sont indifférents, mais tout dépend de la personne. Je ne pourrais pas me contenter de voir ma parenté juste une fois pas année. Ce n’est pas ce que je veux. »
Rideau Carleton dit-il, s’avérait un engagement très exigeant en termes de temps et d’argent pour des revenus minimes. « Il fallait conduire trois heures pour y aller et trois autres heures pour en revenir, et comme entre 50 et 60 conducteurs y convergeaient, vous pouviez avoir deux courses : la première et la quinzième. À la fin de la journée, il vous en coûtait juste pour y aller. J’aime mener, mais pas au point de payer pour le faire. »
Le salaire d’un assistant-entraîneur est régulier mais pas très élevé, et Charron dit qu’il en est arrivé au point où il pourrait bien aller ailleurs si quelque chose se présentait. « J’ai consacré plus de vingt années de ma vie à cette entreprise. À 43 ans, avec le nombre de victoires que j’ai, j’en suis probablement à mon meilleur. Je devrais encore avoir une vingtaine d’années devant moi en course. Au lieu de cela, je suis confronté à un choix difficile. Si les choses ne changent pas, et cela très bientôt, il me faudra peut-être changer de façon de gagner ma vie. Peut-être que j’irai travailler sur la construction. Je ne suis pas fait pour un travail à l’intérieur.
Bérubé, qui est âgé de 37 ans, n’a pas encore fait une croix sur sa carrière de conducteur, mais il admet qu’elle a énormément ralenti.
Lui aussi a essayé à Rideau Carleton durant un certain temps, mais le trajet de quatre heures pour aller et revenir à sa ferme située tout près de la ville de Québec était exténuant et pas particulièrement profitable. « Les propriétaires n’étaient pas heureux non plus, » dit-il.
Plus tôt cette année, il a déménagé sa petite écurie vers un centre d’entraînement près de Flamboro Downs, alors que son épouse, Isabelle Binet et leur fils de onze ans, sont restés derrière. Il a choisi Flamboro à cause de son tracé d’un demi-mille, ce à quoi lui et ses chevaux étaient habitués, mais la transition s’est révélée difficile. Bérubé, accoutumé à au moins une centaine de victoires chaque année, n’en a eu qu’une au cours des trois premiers mois de 2010.
Il paie plus cher pour loger et nourrir ses sept chevaux, alors que les revenus sont moindres, la concurrence étant tellement plus féroce en Ontario. Et sans résultats, les nouveaux propriétaires n’ont pas frappé à sa porte. C’est le principal problème jusqu’à maintenant, ce n’est pas la langue, dit Bérubé qui travaille d’arrache-pied à améliorer son anglais.
« Ce n’est pas très agréable de vous rendre à l’hippodrome pour une course seulement, que le cheval parte à 20-1, et que vous revenez bredouille à la maison, » dit-il. « Au moins je mène encore. De tous ceux qui conduisaient à Québec, je pense que Stéphane Gendron et moi sommes les deux seuls à le faire encore. Je vois beaucoup de monde de ma connaissance, certains qui travaillaient pour moi, et qui me disent qu’ils resteront en Ontario même si les courses reprenaient au Québec. Ils font de l’argent en travaillant avec de bons chevaux et ils ne reviendront pas. »
Aujourd’hui, sa propre expérience en Ontario lui a particulièrement fait s’ennuyer et apprécier ce qu’il avait au Québec avant que tout ne s’écroule. Il y a six ans, il entraînait 40 chevaux. Plus d’une fois, il a gagné six courses en un même programme.
« Je m’ennuie de la fierté et du plaisir que j’avais à travailler avec les chevaux. Je m’ennuie d’autres choses aussi. La qualité de vie. Descendre la petite colline de ma maison vers mon écurie, voir mon épouse tous les jours, regarder mon fils jouer au hockey. Voilà toutes ces choses que je n’ai plus. Nous n’avons jamais voulu devenir millionnaires, c’était assez pour nous, nous faisions quelque chose que nous aimions et nous étions ensemble. »
Binet, une entraîneuse licenciée, a joué un rôle important dans le succès de Bérubé, l’aidant avec les chevaux, tenant la comptabilité de l’écurie, assistant aux courses tous les soirs. Mais elle occupe depuis longtemps un poste de secrétaire qu’elle aime, dans une compagnie près de chez eux, et elle ne voulait pas le laisser.
Alors maintenant, Bérubé voit à l’écurie seul, il vit dans un appartement au centre d’entraînement, loin des siens. Binet est allée le voir une fois et il est venu à la maison une fois.
« Nous n’avons pas vraiment discuté de ce qui nous attend. Nous verrons comment les choses tourneront. J’aime ce travail, mais si je recevais une offre d’emploi intéressante dans mon patelin, je me demande si je ne serais pas prêt à faire de compromis pour travailler cinq jours par semaine. Pour l’instant, j’essaie encore de gagner ma vie avec les chevaux, comme je l’ai toujours fait depuis 1996. Je pense encore que je peux mener pour n’importe qui, mais j’ai besoin de chevaux compétitifs. C’est comme si je recommençais à nouveau. Chaque jour est difficile et il y a peu d’encouragement jusqu’à maintenant. J’espère seulement que la chance tournera afin que nous puissions repartir à neuf. »