Qui le trouve le garde?

Parfois, Jim Mergler fait de l’argent en allant à l’hippodrome et en pariant.

Parfois, il fait de l’argent en y allant et en ne pariant pas.

C’est parce que Mergler est un chasseur de billets, un parmi tant d’autres, qui sont apparus dans les hippodromes du continent au cours des dernières décennies. Un chasseur, en termes clairs, est cette personne qui ramasse les billets de pari mutuel rejetés dans l’espoir d’en trouver un gagnant qui aurait été oublié. Vous les verrez dans pratiquement tous les hippodromes; certains sont assez reconnaissables. D’autres, par contre, sont plus timides et, pourrait-on dire, plutôt discrets.

« À valeur nominale, il semble qu’il n’y ait pas d’inconvénient à laisser des clients être à la recherche de trésors jetés, » écrit T. D. Thornton, un ancien publiciste de piste à Suffolk Downs, au Massachusetts, dans son livre intitulé Not By A Longshot. « Mais les choses peuvent devenir hors contrôle quand les chasseurs renversent les poubelles et ennuient les clients qui ont payé plus cher pour une place dans des endroits exclusifs de l’hippodrome.

« Bien que tout à fait légale, » de poursuivre Thornton, « c’est pour ces raisons que cette chasse est considérée comme une activité très déplaisante, et chaque hippodrome a sa propre façon de la traiter, à partir d’une expulsion immédiate par les agents de sécurité, jusqu’à en ignorer l’existence. »

Mergler a été expulsé d’hippodromes pour réaliser maintenant que ces mêmes pistes le laissent revenir. La raison en est qu’en plus de son activité de recherche, il est un parieur très actif et que les hippodromes, aujourd’hui, ne peuvent pas s’offrir le luxe de renvoyer ces gens.

Il tient à rapidement souligner qu’il ne se saisit pas des billets qui sont sur les tables du clubhouse, condamnant du coup cette technique. Il admet volontiers que cela peut devenir un problème. « Une personne peut aller aux toilettes ou aller parier, laissant des billets sur sa table, » dit-il. « Quelqu’un passe près de la table et les ramasse, et c’est du vol. Je vais le dénoncer si je le vois. Si je connais la personne à qui on a pris le billet, je le lui dirai. »

Mergler attend la fin du programme de course avant de commencer sa collecte de billets. Parfois il fait de l’argent même quand les billets qu’il ramasse ne sont pas gagnants. « Si quelqu’un a fait un grand nombre de paris et qu’un cheval a été retiré, il a droit à un remboursement, mais il peut bien ne pas le réaliser et jeter le billet, » dit-il. « Ou les gens peuvent très bien ne pas se préoccuper du remboursement. »

« J’ai entendu dire que Oaklawn Park (piste pour les thoroughbred) compte un million de dollars en billets non réclamés chaque année, » dit-il en souriant.

La tâche des anciens chasseurs était particulièrement ­difficile – car non seulement devaient-ils se pencher physiquement pour ramasser les billets jetés par terre, mais ils devaient ensuite les comparer individuellement aux résultats pour identifier les ­gagnants.

De nos jours, la tâche est considérablement facilitée du fait que les chasseurs tel Mergler, peuvent passer les billets jetés dans une machine à parier pour en vérifier les gagnants – ce qui est une très bonne chose! « Un billet sur mille est gagnant, » d’admettre Mergler.

Il souligne également que des parieurs ne comprennent pas bien les machines et qu’à l’occasion, ils abandonnent des billets de grande valeur. À une occasion, il a trouvé un billet d’une valeur de plus de 2 000 $, lequel avait été lu par une machine mais quand même jeté.

Stacy Cahill, directrice générale de courses au Scioto Downs en Ohio, nous dit qu’elle voit très rarement de ces chasseurs à sa piste ces jours-ci. « Je me prends à souhaiter d’en voir davantage, » dit-elle. « J’ai entendu dire une fois qu’un parieur à Scioto avait payé les études universitaires de son fils en recueillant des billets, mais je ne saurais dire si c’est vrai ou pas. Dans l’état actuel de l’économie, je serais tentée de penser que les gens vérifieraient leurs billets deux fois plutôt qu’une avant de les jeter!

« Quand vous y pensez, » dit-elle, « les chasseurs aident la piste à nettoyer la place des billets jetés. »

Même The New York Times, qui habituellement ignore tout article traitant des courses de chevaux, a jugé que le phénomène de la chasse aux billets était assez intéressant pour faire l’objet d’un article publié en décembre dernier. Ce journal prestigieux a dressé le portrait de Jesus Leonardo, 57 ans, un résident du New Jersey, qui fait vivre sa famille grâce à l’argent qu’il gagne à chercher parmi les billets rejetés dans un salon de pari du centre-ville de Manhattan.

« C’est devenu mon emploi, ma vie, » selon la déclaration que Leonardo aurait faite au Times. Il estime qu’au cours des dernières décennies, il a trouvé des billlets pour une valeur d’un demi-million de dollars.

Sa ‘tâche’, toutefois, exige qu’il consacre jusqu’à dix heures par jour à passer les billets rejetés dans une machine à vérifier les billets dans l’espoir d’en trouver des gagnants. Les clients de ce salon de pari disent qu’il y a une règle non écrite à l’effet que tous les billets jetés appartiennent à Leonardo.

En 2006, Leonardo a encaissé un billet Pick 4 au Re0tama Park, Texas, qui valait 9 500 $ et à la fin de l’année passée, c’est un billet rejeté valant 8 040 $ sur les courses à Santa Anita qu’il a trouvé.

Leonardo pariait sur les courses de chevaux bien avant de devenir un chasseur, mentionne l’article. Il a fait un pari Pick 3 en 1999, pour voir ses choix terminer en dehors de l’argent. Comme tous les parieurs, il a jeté son billet par dépit.

« Mais juste comme je partais, j’ai regardé l’écran pour constater qu’une enquête avait été appelée, », a-t-il raconté au reporter du Times. L’enquête a renversé la décision et alors, le billet de Leonardo valait maintenant 900 $. Fallait-il seulement le retrouver. Mais il ne l’a pas retrouvé.

Leonardo a cherché et cherché, sans succès. Il a parlementé avec le gérant de l’établissement. Finalement, ce gérant lui a ­suggéré que s’il voulait apporter la poubelle chez lui pour chercher, il le pouvait. Ce qu’il a fait. La mauvaise nouvelle c’est que Leonardo n’a jamais retrouvé son billet Pick 3 d’une valeur de 900 $. La bonne, c’est qu’il en a trouvé deux autres qui lui ont rapporté 2 000 $.

C’est à ce moment que Leonardo est devenu un chasseur. Ou, plus précisément, un collecteur de déchets. Chaque jour, il se rend au salon de pari OTB et attend que la poubelle de la journée soit déposée pour la cueillette. Il l’ouvre, cherche les billets jetés, les met dans un sac séparé, et prend le train de la New York Port Authority pour rentrer à la maison.

Avant de devenir chasseur, Leonardo avait travaillé à diverses occupations, souvent des travaux de peinture de maisons et de laveur de fenêtres. Cette pratique de rapporter ces billets à la maison ne plaisait pas tellement à son épouse au début, mais elle a vite ­compris que c’était payant ce faisant.

En peu de temps, Leonardo est devenu un entrepreneur en matière de chasse aux billets. Il payait 25 $ à quelques amis pour aller cueillir les déchets dans plusieurs autres salons de pari de l’OTB de New York et les lui rapporter – et il estime qu’aujourd’hui il manipule quelque 7 000 billets par soir. Il les empile soigneusement et les rapporte au salon de pari la journée suivante – se tenant au scanner durant plusieurs heures pour l’alimenter et les vérifier, espérant en trouver un ­gagnant.

Leonardo insiste pour dire qu’il déclare tout l’argent qu’il trouve chaque année au Département du Revenu des Etats-Unis et qu’il paie ses impôts.

Selon l’article du Times, les parieurs aux hippodromes new-yorkais et salons de pari de l’OTB ont jeté une valeur de plus de 8,5 M $ en deux ans… et Jesus Leonardo ne veut qu’une petite partie de cela.

Le journal The Pittsburgh Tribune-Review a rapporté en décembre 2009, que les parieurs de la Pennsylvanie ont laissé quelque 2,8 M $ en billets non encaissés dans ses hippodromes.

« En grande partie, les régulateurs de même que les opérateurs de pistes de course regardent ailleurs à moins que ne surgissent des problèmes, » écrit le reporter Andre Conte dans le journal Tribune. « Les parieurs réguliers ont tendance à se policer eux-mêmes dans leur conduite à l’hippodrome et disent tolérer la pratique pourvu que personne ne vole ou ne devienne une nuisance. La Pennsylvanie n’a pas de loi interdisant les chasseurs de billets et les commissions de course ne bannissent pas cette pratique.

En Pennsylvanie, les billets non réclamés ou non encaissés au 1er avril de l’année suivante, vont au fonds général de l’état. C’est une goutte dans le trésor étatique, mais une aubaine pour les chasseurs dédiés.

Mike Jeannot, président de The Meadows Racing, souligne que les chasseurs représentent une si infime partie dans l’ensemble et qu’ils sont autorisés à pratiquer librement leur activité. « Cela ne fait tout simplement pas partie de nos préoccupations présentement, » selon le commentaire qu’il aurait formulé.

Bobby Zanakis a travaillé comme préposé aux tables à The Meadows au début des années 1970 et se rappelle avoir trouvé trois billets valant 10 $ chacun sur un cheval qui avait été retiré, ce qui lui rapporta 30 $ en remboursement. Ce soir-là, Zanakis avait fait 21 $ comme préposé aux tables. Zanakis a tiré sa leçon. Il est aujourd’hui un parieur sur les chevaux, mais il dit que l’art de cette chasse aux billets se meurt. Il explique que le personnel au nouveau racino de Meadows sont trop vites sur le balai de sorte que les chasseurs ne peuvent plus en profiter.

On peut se demander comment un parieur peut passer outre des paris gagnants, mais même des fans de course expérimentés l’admettent. Gordon Waterstone, éditeur adoint au The Horseman & Fair World dit avoir parié sur une base régulière durant ses années en tant que directeur de publicité au Hazel Park au Michigan. « C’était un rite annuel pour moi de conserver tous – oui, tous – mes billets de pari, » dit-il. « À la fin de la saison, je donnais cette énorme enveloppe – et j’insiste, énorme – enveloppe à notre contrôleur, qui prenait l’imprimé informatique des chevaux retirés et ramenait les billets à la maison pour les vérifier un par un (aidé en cela par son épouse) pour trouver tous les gagnants que j’avais oublié d’encaisser. »

Waterstone admet qu’il était souvent occupé durant les courses et qu’il les oubliait.

« Il y en avait toujours pour plusieurs centaines de dollars qui n’avaient pas été encaissés, » dit-il. « Nous nous partagions l’argent 50-50. C’était un bon ami et je lui faisais entièrement confiance… bien que je ne sois pas si certain de ce qu’il aurait réellement fait s’il avait mis la main sur un billet valant quelque dix mille dollars!

« Mais encore, » mentionne Waterston dans un sourire, « je ne pense pas que j’oublierais un billet valant 10 000 $.

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