Une cour d’admirateurs

À quelque 15 minutes au nord de Lindsay, se trouve Dunsford – une petite municipalité ne comptant pas plus de 2 000 habitants.

Vous y trouverez également, une grande ferme de 150 acres, domicile d’un homme de chevaux modeste, qui jouit aujourd’hui de la renommée et de la richesse, grâce à un cheval étoile dont personne ne voulait. Rodney Hughes est un homme de chevaux de quatrième génération dont l’arrière-grand-père, Barney, a entraîné le gagnant du Canadian Pacing Derby de 1940, Bob Lee, et Hughes lui-même, s’est maintenant mérité une certaine célébrité en raison de son succès avec le conditionnement du cheval hongre de cinq ans, San Pail.

Le 25 juillet, à Mohawk Racetrack, San Pail a causé tout un revirement de situation en gagnant, de façon tout à fait inattendue, le Maple Leaf Trot doté d’une bourse de 720 500 $, pour les trotteurs mâles plus âgés, chamboulant tout un peloton qui comptait Lucky Jim, un cheval qui n’avait pas perdu en 15 départs en saison. Ce fut une victoire populaire (et émotive) en partie à cause de la cour impressionnante de ses admirateurs composée d’amis et de membres de la famille de son entraîneur.

L’année dernière, Hughes, âgé de 36 ans, a accepté un marché avec l’éleveur Glenn Van Camp qui consistait à acquérir 75 pourcent de San Pail – alors âgé de deux ans – contre l’engagement d’en assumer tous les frais d’entraînement. Ce marché s’est avéré tout à fait fortuit. Maintenant qu’il a encaissé près de 1 M $, le cheval hongre a aidé Hughes à payer la ferme sur laquelle il s’entraîne.

Hughes a commencé dans l’entraînement il y a 15 ans à peine, suivant les traces de trois générations d’entraîneurs du côté paternel. Il y a aussi des intérêts dans les courses de chevaux du côté de sa mère, alors Hughes admet volontiers qu’il est né pour être un homme de chevaux. « Je dors et les respire, eh? » dit-il en souriant. « C’est tout. »

Il a commencé son apprentissage dès sa sortie de l’école en travaillant pour Mike Wade, qui était propriétaire et entraînait Billyjojimbob, un trotteur qui devait écrire une page de l’histoire des courses de chevaux à l’instar de San Pail. Wade n’avait pas plus qu’une douzaine de chevaux, bon an mal an, et seuls lui et Hughes en prenaient soin.

Durant les quelques années qui ont suivi, Hughes n’avait pas beaucoup de matériel à entraîner. En fait, quand il est apparu dans le décor à titre d’entraîneur de San Pail en 2006, il travaillait à temps partiel comme forgeron, n’ayant que deux trotteurs réclamés à bon marché dans son écurie – et San Pail ne démontrait aucunement qu’il serait différent. C’était un cheval dont personne ne voulait. Van Camp avait planifié de vendre le poulain issu de San Pellegrino-Village Beauty comme yearling. La mère détenait un bon record de ses rejetons s’étant rendus aux courses; un de ceux-là, Donna Wallbanger, a gagné 18 fois ce qui lui a valu près de 260 000 $ avant d’être vendu à des intérêts suédois. Village Beauty est aussi la sœur propre de Village Beretta, qui a empoché 820 662 $ et 39 victoires. Mais parce que San Pail développa une bosse inesthétique sur une de ses pattes après avoir été rué par un autre cheval, Van Camp choisit de ne pas le mettre en vente le mettant plutôt à l’herbe. Il a reçu peu d’intérêt de la part d’une demi-douzaine d’entraîneurs qui, pour une raison ou une autre, ont passé outre le conditionnement du cheval, peut-être à cause du marché de Van Camp voulant qu’il cède les trois quarts de la propriété en échange de la prise en charge du paiement de toutes les factures.

Hughes est devenu un candidat pour entraîner le cheval du fait qu’il avait déjà été un client du fils de Van Camp, Robert, propriétaire de Brooks Feed. Hughes accepta le marché, et Van Camp lui dit que si le cheval ne se qualifiait pas pour les courses, il pouvait le vendre comme cheval de boghei et garder l’argent de la vente.

En faisant un retour sur la transaction aujourd’hui, Van Camp, qui œuvre dans le domaine de l’élevage et des courses depuis plus de 20 ans, admet que le marché est devenu un vol pour Hughes. « Un marché est un marché, et c’est ainsi que ça doit être, » dit Van Camp sans le moindre regret.

Et c’est compréhensible. Qui aurait pu imaginer que San Pail allait devenir la machine à trotter qu’il est?

Peut-être même pas Hughes lui-même, qui aime tout simplement les tribulations entourant l’entraînement d’un trotteur.

« Tu les aimes ou tu les hais, » dit-il. « Je les aime parce qu’il y a plus dans leur cas. Il faut plus d’analyse, plus de fignolage et ils sont plus délicats. Il faut les mener un petit peu plus. J’aime les trotteurs parce qu’ils sont un peu plus difficiles, je crois. Je ne sais pas. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’ai plus de cheveux. »

Van Camp pense que la patience exercée par Hughes et son père, Jerry, qui est également un entraîneur, a grandement contribué au succès de San Pail. « Je dirais que Hughes a été très patient avec lui et c’est ce dont il avait besoin, » dit Van Camp. « Il avait besoin de ce petit extra d’attention. »

« Je me suis croisé les doigts tout en espérant que tout se passerait bien, car je savais qu’il était issu d’une très bonne poulinière, » admet Hughes. « Et j’ai attendu. »

Il n’a pas qualifié San Pail pour les courses avant la fin du mois de mars de l’année de ses trois ans. Le fait saillant de cette année-là, a été une victoire de division lors d’une course de l’Ontario Sires Stakes à Kawartha Downs en juin. Il a gagné la course par deux longueurs et demie dans ce qui s’avérerait un record de piste de 1:54.4. Dès lors, San Pail s’était attiré toute une cour d’admirateurs constituée d’amis et de membres de la famille Hughes.

Le cheval hongre a couru 24 fois à trois ans, et a gagné quatre fois, encaissant environ 145 000 $, la part du lion étant une paie de 36 000 $ pour avoir fini troisième lors de la Super Finale de l’OSS dotée d’une bourse de 300 000 $ pour trotteurs mâles de trois ans à Woodbine le 10 novembre. Pour ce qui est des six derniers départs de San Pail en saison – y compris la très payante Super Finale – Hughes a passé les guides à Randy Waples de Fergus. « L’année de ses 3 ans, je l’ai mené durant presque toute l’année parce qu’il était trop fringant et que je ne voulais en aucun cas passer les guides à quelqu’un d’autre, » admet Hughes. « Je pense que c’est un cheval qui aurait très bien pu être brisé si on l’avait forcé trop tôt ou si on l’avait laissé aller ou si on avait été dur à son endroit. Nous avons connu des temps difficiles. Nous avons pris des pauses. Nous avons commis quelques erreurs en cours de route, desquelles nous avons tiré des leçons, et nous avons continué »

L’entraîneur a accordé quelque deux mois de congé à son cheval après sa première saison et l’a qualifié par la suite. Lors de ses six premiers départs à l’âge de quatre ans, il n’a gagné aucune course. En fait, son meilleur résultat a été une troisième. Hughes a tenté de reprendre les guides des mains de Waples pour les trois courses suivantes, mais ça n’a pas beaucoup aidé. Il a brisé son allure une fois, en fait. Alors Waples a réclamé les guides et gagné ses deux premiers départs, seulement pour voir le cheval briser son allure une autre fois à sa sortie suivante – son premier essai dans les rangs de l’Open. Jack Moiseyev a aussi essayé – s’asseyant derrière San Pail lors des deux courses suivantes, mais le cheval fut chancelant, brisant encore son allure.

À partir de là, Waples a repris le baquet, et San Pail prit les choses en main, s’imposant lentement comme un joueur sérieux des les rangs de l’Open. « Il vous faut avoir un peu plus de fermeté pour la bouche (des trotteurs), et vous ne pouvez tout simplement pas passer les guides à n’importe quel conducteur de relève », dit Hughes. « Il vous faut quelqu’un qui travaille avec vous, je crois. Randy a fait un excellent boulot pour moi, particulièrement avec ce cheval parce qu’il est extrêmement fringant. Mais un bon soir, il peut aussi se révéler un gros minet. »

San Pail a poursuivi sur sa lancée, gagnant six de ses 28 départs à quatre ans, mais il a développé un problème d’appétit deux semaines avant la tenue du Maple Leaf Trot, manquant son premier essai au titre, Hughes choisissant de ne pas le faire courir, même si les droits de maintien de nomination avaient été payés. En bout de ligne, l’entraîneur n’a jamais pu identifier la cause du manque d’appétit de son cheval.

Plus tôt cette année-là, Hughes avait acheté une ferme de 150 acres sur laquelle il planifiait de construire une piste d’un demi-mille et une écurie de neuf stalles. À la fin de 2008, le cheval comptait des gains de 179 120 $ -- permettant à Hughes de respirer financièrement. C’était sans compter les nombreux autres chèques que San Pail ne manquerait pas d’encaisser. Il a débuté sa carrière en course en tant que cinq ans dans la série Glorys Comet, en gagnant une division en seconde manche et en se qualifiant pour la finale (il a terminé cinquième). Il a poursuivi en course dans l’Open et a gagné deux de ses trois courses suivantes. Bien que n’ayant enregistré aucune victoire lors de ses quatre départs suivants, il a entamé une séquence gagnante pour empocher quatre victoires dans une période de quatre semaines, soit entre mai et juin. Avec un peu de chance, tout allait se passer tel que prévu pour Hughes… ce dernier espérait que son cheval serait à son meilleur pour le Maple Leaf Trot.

Dans sa division, la semaine précédant la finale, San Pail s’est mesuré à Lucky Jim, et Hughes n’eut que peu d’instruction à passer à Waples. « Ne nous comptons pas hors course et ne cédons pas la course à Lucky Jim, » souligna-t-il. « Il faut le défier. »

San Pail s’est placé deuxième avec 1 ¼ longueur d’avance mais par après, Waples se blâmait d’avoir surtaxé le cheval. En rétrospective, par contre, il semble bien que c’est ce dont San Pail avait besoin pour se renforcer (mentalement et physiquement) pour le grand jour.

Lors de la finale, Waples a fait un mouvement très astucieux et habile tôt dans la course pour s’approprier de la meilleure position, à l’abri de toute circulation. Lucky Jim, pour sa part, s’est installé derrière les meneurs, pour se retrouver dans un fouillis plus loin dans la course à cause d’un cheval ayant brisé son allure. Dès lors, Waples et son cheval menaient la course, en lutte avec Arch Madness. Les deux se battaient dans le dernier droit alors que Lucky Jim lui, luttait pour regagner le terrain perdu en troisième. San Pail a prévalu par un quart de longueur sur Arch Madness, suivi de près par Lucky Jim.

« Il a rebondi cette année et est revenu en grand, alors tout a bien fonctionné pour tout le monde, » de dire Hughes de son cheval hongre, quelques moments à peine après la course. « Pail a connu sa séquence gagnante, en gagnant quatre et étant battu par un nez, ce qui représente une belle façon d’en perdre une. Ça nous enlève un petit singe du dos, façon de parler. Jim est un cheval coriace. Ce fut une course difficile et il en a couru une autre difficile la semaine dernière et je pense que ça été exigeant pour lui. Mon cheval n’avait tout simplement pas été challengé depuis fort longtemps. Le fait de se faire défier la semaine dernière, je pense, l’a aidé. Il est bien ressorti de la course et voyez comment il est revenu. »

Hughes a louangé Waples, qui a engrangé sa première victoire de conducteur dans la Canadian Classic (son légendaire père l’ayant gagné cinq fois). « Je ne saurais être plus heureux, » dit Waples en riant après la victoire. « Je suis un gars sensible. C’est bon; vraiment très bon. Je m’en voulais tellement la semaine dernière après l’avoir sur-coursé. Ça s’est très bien passé, et je n’ai que de bons mots au sujet de Rod Hughes, du travail qu’il a fait sur lui. C’est tellement un bon cheval. »

« Randy est tranquille et il écoute, » de sourire Hughes. « Je ne dis pas que Randy est toujours d’accord, mais il écoute, et demande toujours comment va le cheval. Il connaît le tempérament de San Pail et il respecte ce que je lui dis. »

Aussi ironique que cela puisse paraître, la grande victoire de San Pail a coїncidé avec la complétion des travaux de la nouvelle écurie.

« Cela va très certainement aider à payer les factures, » admet l’entraîneur. « Il nous a aidés à acheter la ferme et à bâtir tout ce que nous avons. Même sans cette course, j’envisageais de m’établir dans l’entraînement de chevaux dans l’avenir. J’ai vu à tout présentement à la maison, maintenant, je suis prêt à me lancer. »

C’était réellement toute une victoire pour cet homme modeste, pour quelqu’un ayant rarement la chance de savourer le succès lors des grands événements.

« C’est difficile, dit VanCamp. « Règle générale, les petites écuries n’ont pas de bons chevaux et c’est ce qui fait toute la différence. »

Mais de temps en temps, par contre, cela se produit.

« Les Hughes ont fait un travail fantastique avec le cheval, » dit le fils Van Camp, Paul. « Nulle part vous ne trouverez un cheval dont on prend si grand soin. L’attention de deux ou trois personnes. Ils ont fait un travail phénoménal. Et quant à Randy Waples et sa façon de conduire? Comment faire mieux? Il s’est sorti au bon moment d’une lourde circulation. C’est un rêve devenu réalité pour tout le monde.

«Le Maple Leaf Trot est la course numéro un au Canada pour les trotteurs âgés. Arrêter Lucky Jim, un cheval phénoménal… c’est comme défaire Tiger Woods lors d’une éliminatoire. C’est un phénomène de le battre. Ce n’est pas une prise contre Lucky Jim. C’est un grand cheval, nous avons juste bien couru et le cheval était prêt au bon moment. Les courses de chevaux en Ontario relèvent du rêve. C’est un domaine difficile, difficile. C’est tellement difficile de faire de l’argent. C’est du rêve et tout un chacun ici avait un rêve avec Rod et Jerry et mon père. C’est l’histoire d’un homme modeste et c’est pourquoi c’est si spécial. »

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