Levez vos verres à Champagne Phil

L’économie des courses place fréquemment les poulains et pouliches les plus talentueux sur une voie rapide vers l’écurie de reproduction.

Mais la classe et le charisme des meilleurs exécutants âgés maintiennent l’intérêt des amateurs et parieurs, particulièrement quand le cheval en question porte un nom inoubliable et incarne la maturité tel un grand vin.By Melissa Keith / Traduction Louise Rioux

Bienvenue dans le monde de Champagne Phil. Son propriétaire, Georg Leber, se prépare à une visite du samedi soir à Woodbine au moment de son entretien avec TROT au sujet de son meilleur cheval.

« Phil » est favori à 9 contre 1 dans l’alignement de la huitième course, malgré une cote défiant les 1:50.4 dans une victoire à la piste Rexdale la fin de semaine précédente. Le 1er janvier 2018, il atteindra l’âge de huit ans, et ce fils de Shanghai Phil n’a perdu aucune étape de toute sa carrière récente. Leber confirme que 2017 fut la saison où il a connu un succès jamais démenti, quoique sa classification ait eu tendance à quelque peu le classer dans des pelotons où il se trouvait le plus âgé du groupe.

Phil se fiche de cela. Autant il aime gagner, il vit pour courir. Quand des chevaux quittent la ferme ontarienne de Nixon, Flamboro Ontario Farm, le cheval hongre vocalise son mécontentement s’il ne fait pas partie du lot. « Quand il ne fait pas de jogging le matin, il semble comprendre que c’est jour de course et il trépigne dans sa stalle, se balançant la tête. Il aime beaucoup son travail, » dit le responsable de sa condition physique qui, au tout début, a cassé le cheval hongre.

Hormis des milles étincelants, Phil est un cheval au bas profil, une caractéristique que Leber soupçonne avoir quelque chose à voir avec les six années de courses compétitives du cheval de six ans sur les plus importantes pistes d’Ontario. « Quand il est dans les stalles Lasix avant la course, il est très tranquille. Peut-être mâchonne-t-il un peu les chaînes. Dès qu’il s’en va en piste, il est tout à son affaire. »

Leber possède une photographie très particulière de Champagne Phil. Ce n’est pas une photo prise du cercle du vainqueur. C’est Phil, le poulain, près de sa mère, Champagne Gal, le jour de sa naissance. Elle laisse apparaître un lustre argenté sur son manteau alors qu’il se tient, nouvellement en équilibre, sur ses longues pattes. Leber note que quand il a acheté le poulain pour la somme de 5 000 $ à l’Encan Forest City Yearling Sale 2011, Champagne Phil, fut vendu sous le nom de « SOS Silvermercedes », en référence à sa couleur métallique.

Le jeune Phil s’est développé sous les bons soins de l’éleveuse québécoise, Monalisa Pagliericci. Un poulain de taille moyenne, issu d’un étalon moins connu, Shanghai Phil, qui a réalisé une marque à vie à huit ans, SOS Silvermercedes n’a pas capté l’attention de bien des parieurs à London. Leber dit que même l’entraîneur Nixon nétait pas particulièrement impressionné par le poulain. Il a quand même pris le pari, en offrant la mise gagnante sur deux chevaux, SOS Silvermercedes ainsi qu’une pouliche Mach Three qui allait aussi se développer pour réfuter son prix de 4 500 $ - Rubis Prescott. Les deux étaient des poulains bien aimés dans l’Écurie SOS de Bedford, au Québec, la petite ferme d’élevage de Pagliericci.

« Je les ai immédiatement aimés tous les deux, » se souvient Leber, qui était alors un tout nouveau propriétaire dans ce sport. « Je me suis dit, ‘ Wow – ils semblent tout aussi bons que n’importe quel autre, mais personne ne vient les voir.»

Le premier mille enregistré de Champagne Phil fut aussi sa première victoire, sur une piste dont Leber dit que le cheval apprécie encore, Georgian Downs. Mis à part sa qualification en 1:59.4, le deux ans n’a connu un moins bon résultat qu’à trois reprises en onze départs en pari mutuel. Sa seule victoire à deux ans, fut obtenue lors d’une course de l’Ontario Sires Stakes Grassroots à Mohawk – une victoire facile en 1:54.2 partant de la neuvième position. Bien que plusieurs chevaux qui coursent bien à un âge plus avancé n’aient pas couru à deux ans, ce n’est pas le cas de Phil.

Le jeune ambleur a atteint sa pleine foulée à l’âge de trois ans, commandant le respect sur le circuit Ontario Sires Stakes avec quatre victoires ‘stake’, parmi lesquelles un record de piste de courte durée soit 1:52.1 au Grand River Raceway pour Jody Jamieson. Il a terminé la saison avec six victoires en 24 départs.

« À trois ans, il était vraiment une étoile brillante des séries Grassroots, » dit un Leber en réflexion. « C’est un athlète, du fait qu’il prend bien soin de lui. Son style de course ne lui est pas exigeant – il a une bonne et douce allure. Alors que bien des chevaux sont des animaux de pouvoir, Phil est très athlétique dans ses mouvements et se ménage pas mal.»

Champagne Phil a changé d’écurie pour ses saisons de courses ‘stakes’, allant chez Ken Oliver et Carmen Auciello lorsque Dean Nixon se relocalisa. Une poignée de départs américains en 2014 n’ont pas produit de victoire aux États-Unis pour Phil, bien qu’ayant fini troisième pour Mark MacDonald lors d’un événement avec conditions C-1 à The Meadowlands, son meilleur résultat au sud des frontières. Au milieu de sa saison de quatre ans, il est retourné à l’écurie de Nixon. Cette année-là, Phil a démontré des signes de fiabilité : en 42 courses, il enregistra 6 victoires, 7 deuxièmes places et 6 troisièmes places. Il y eut des milles accrocheurs parmi ces résultats, peut-être bien, mais pas autant qu’avec une marque en 1:52.4, et un défoulement sur dix longueurs et demie lors du Flamboro Preferred le 9 novembre.

« Il y a des amateurs de chevaux au Casino Rama. Quand j’y joue aux dés, tout le monde me parle de Champagne Phil. Ils ne pourraient pas vous dire mon nom, m ais ils connaissent tous Champagne Phil, » dit en riant son fier propriétaire.

En 2015, l’ambleur a enregistré un compte de 9-7-4 en 37 départs, gagnant son premier Western Fair Preferred par un cou le 27 janvier. Ce printemps-là, Champagne Phil a impressionné avec une séquence de cinq victoires s’étendant sur deux courses vedettes au Western Fair, un événement avec conditions à Mohawk, et deux manches d’une série pour les chevaux québécois âgés de quatre et cinq ans à l’Hippodrome 3R. Après deux victoires à l’été dans des courses importantes à Georgian Downs, Phil s’est mérité un billet de fin de saison sur les rangs du Woodbine Preferred, mais il n’était pas tout à fait prêt pour y exceller.

L’année 2016 causa une rare interruption de la carrière constante de Champagne Phil. Il a bien débuté la saison, par une victoire en 1:52.3 lors de l’événement avec conditions (NW $13,000 L5) à Woodbine en janvier, puis une autre au Western Fair Preferred classe 2 et 3 en février, un effort en 1:56.2 à partir de la position la plus à l’extérieur. Nixon a retiré Phil à deux reprises ce printemps-là, alors que l’ambleur normalement sans-problème, boitait encore après qu’un fragment d’os eut été détecté dans sa patte arrière. L’entraîneur dit que Phil avait consulté trois vétérinaires, pour éventuellement qu’une fracture dans le jarret droit soit diagnostiquée, résultat d’une radio scintillographie. Cette méthode de diagnostic suit une radio pharmaceutique administrée par intraveineuse, laquelle se déplace dans le corps du cheval et s’attache aux endroits où la minéralisation des os est non conforme ou quand il y a de l’inflammation.

« Ce fut assez coûteux, mais six mois plus tard, après quelques injections de plasma, il s’est remis,» note Leber. L’évidence était claire dans son deuxième départ avec bourse après le traitement de Champagne Phil : le 6 novembre, avec le retour aux guides de Bob McClure lors du Flamboro Preferred, il a mené tout du long et facilement gagné en 1:55.1.

En 2017, de retour en forme, Champagne Phil retira les pistes ‘B’ d’Ontario de son horaire en prévision de l’avenir, mais cela a aussi fait croître ses gains déjà considérables – et sa popularité. Surnommé « le cheval de fer de 2017 » par l’annonceur de la Western Fair, Shannon ‘Sugar’ Doyle, Phil célébra le début de l’année le 8 janvier dernier. Il est entré premier de la classe du Flamboro Downs Preferred dans une fin en 1:55.3, ce qui était très prometteur pour la saison à venir.

Afin de demeurer en Ontario et continuer à courser tard en 2017, Champagne Phil, alors âgé de 7 ans, pouvait être inscrit à Woodbine ou… Woodbine. Nixon confirme que le secrétaire de course de Flamboro et Western Fair considérait le cheval hongre trop fort, même pour ses ambleurs de premier ordre. « Malheureusement, Ian Fleming lui refusa la possibilité de courir. Des gens se sont fâchés parce que, même qu’alors handicapé par une septième position, il a gagné à quelques reprises. »

Étant couramment un régulier à la piste de Rexdale, Phil a bénéficié du fait de travailler à retrouver la forme à de plus petits endroits en Ontario. « Les pistes d’un demi-mille – ne sont pas pour tous, mais parfois c’est l’occasion d’une mise en forme pour un retour sur le circuit de Woodbine, » de dire Leber. « Ils peuvent faire un mille plus facile; ils se remettent en forme. Voilà ce à quoi servent ces ‘Preferred 3s’ et ‘Preferred 2s’, aider ces chevaux élites après une blessure ou s’ils se battent ou qu’ils ne sont pas en forme. »

Nixon, qui opère une écurie de 17 chevaux avec un personnel tricoté-serré, aime courser près de son port d’attache. Il a refusé un retour au Yonkers Raceway pour Phil, parce que l’ambleur a répondu au défi d’un changement de classe à Woodbine et ce, avec toute la classe qu’on lui connaît. Il y a aussi le fait que Nixon doit déjà visiter les États-Unis deux fois par mois pour y subir un traitement contre le cancer, et il ne veut pas recommencer la routine épuisante qui a marqué ses premiers jours dans le sport.

Maintenant âgé de 46 ans, Nixon jette un regard sur l’horaire mouvementé qui ne s’est pas toujours révélé très bénéfique, encore moins viable. « Durant ma dernière semaine à Windsor, je suis allé deux foir à Barrie, deux fois à Mohawk et une fois à Grand River, et je me suis dit ‘jamais plus je ne referai cela.’ » Aujourd’hui, il coupe la sonnerie de son téléphone, se réservant « un espace personnel » dans sa vie, avec l’appui de son frère et son personnel. « Dans la trentaine, j’avais l’habitude de travailler 80 heures par semaine. Ce n’était que normal, » admet l’entraîneur, qui fait partie d’un essai clinique de stage 1 pour un traitement d’immunothérapie de seconde génération au Maryland’s National Institutes of Health. Nixon répond bien à la thérapie, mentionnant une réduction de 30 % de la taille de sa tumeur au foie. « Ce n’est pas si mal, mais cela nécessite beaucoup de temps, plus que tout autre chose, » dit-il de ses rendez-vous réguliers.

Le frère de Dean, Justin, est entraîneur de Thoroughbred. Quand Dean a eu besoin d’une aide ultra-fiable pour son écurie, Justin est devenu un entraîneur mixte. « Je pense qu’il aime voir un petit plus d’action qu’il n’en a avec les Thoroughbred, » dit Dean de Justin. « Vous savez, vous attendez tout le temps pour courser et vous vous trouvez dans le train-train quotidien sans action. Il semble vraiment aimer l’aspect Standardbred de la course. » Ce qui pourrait paraître comme un recul aux yeux de certains – soit de rester en Ontario alors qu’il pourrait passer l’hiver avec les Thoroughbred en Floride – est présentement une bénédiction pour Justin, puisqu’il peut passer du temps avec son fils de 15 ans. C’est aussi un « immense soulagement » pour Dean, qui peut voyager au Maryland à toutes les deux semaines pour y recevoir son traitement contre le cancer, sachant que Champagne Phil ainsi que le reste de l’écurie sont entre bonnes mains. Il a confiance en Justin ainsi qu’en ses dévoués employés Mitch Sahely, Ed Sahely (le père de Matt âgé de 82 ans), Howard Lewis, et Darren Rayner, pour prodiguer de bons soins aux chevaux et voir à leur entraînement quand il ne le peut pas.

Nixon dit à TROT que c’est une satisfaction ajoutée que de savoir que Champagne Phil est à son meilleur. « Ce cheval a fait beaucoup de travail, et il me semble plus en forme que jamais. Voilà quelque chose à apprécier à chaque semaine. Il est facile de sortir et d’aller à l’une des courses de Phil… C’est un plaisir. Vous aimez y aller. » Le jeu du hongre soit sa tactique de vitesse et sa détermination en font un favori en piste, même quand il n’est pas le choix des parieurs. « J’ai eu un autre cheval qui lui était similaire, Blissfull Breeze, » de nous partager l’entraîneur. « Tous deux avaient une vitesse incroyable qu’ils pouvaient donner n’importe quand durant la course. Phil peut partir aussi rapidement que tout autre cheval que j’ai eu, mais il est aussi capable de parcourir le dernier huitième aussi vite que tout autre que j’ai eu, alors il n’est jamais hors course. »

Un homme qui aime une victoire hors cadence, Nixon dit qu’il a entièrement aimé l’effort de Champagne Phil le 10 décembre dernier à Woodbine. Les courses 5, 6 et 7 avaient été gagnées de fil en fil; Nirvana Seelster semblait pouvoir maintenir la tendance dans la 8e course. Pris dans la circulation à quatre longueurs et quart des plus frustrantes derrière le meneur en tête du droit, la situation semblait sombre pour Phil et son conducteur Bob McClure, cinquièmes le long des pylônes. Toutefois, ils ont vu une brèche entre Us Delivery et Make Some Luck, puis une autre entre le favori des parieurs Awesomeness et un faiblissant Mr Censi. Se lançant dans la voie intérieure dans l’ombre du fil, Champagne Phil développa assez de vitesse tardivement danssles foulées finales d’un dernier quart en 26.4, rattrapant Nirvana Seelster, créant un tiers de longueur entre eux.

« Si vous pouvez finir en 26 secondes, vous ferez toujours de l’argent, » dit un Leber approbateur. L’année 2017 a néanmoins connu de nombreuses fins de course exaspérantes, comme quand Phil a terminé sixième, à seulement deux longueurs et demie du gagnant à Mohawk, le 3 juin, chronométré individuellement en 1:49.3.

Champagne Phil s’améliore avec l’âge. Avec 8 victoires, 12 deuxièmes places et 6 troisièmes en 46 courses la saison dernière, c’est difficile de le contester. « Nous l’avons ramené aux courses et il a commencé à aussi bien courir que jamais, au point où cette année, il a gagné plus d’argent que jamais auparavant, » fait remarquer l’homme derrière ICR Racing. « À moins de blessures, Champagne Phil sera probablement un cheval qui pourra courir bien au-delà de ses dix ans, à un niveau décent. »

Le hongre n’a jamais été inscrit dans une course à réclamer, puisque comme le dit Leber, il n’a jamais voulu le perdre; il se serait envolé instantanément, sans égard au prix de réclamation. « Cette année, il s’est mesuré aux 20 meilleurs chevaux en Ontario, semaine après semaine. Puis, il y a eu pénurie entre les mois d’août et décembre, période où il n’a pas inscrit de victoire. Il n’y eut pas de semaines faciles. Mais au cours de ces 18 semaines, il a conservé une moyenne de 3 700 $ et plus, en gains. »

Mis à part les gains, le plaisir de Champagne Phil, un nom mémorable avec une telle longévité en piste, comptent aussi pour une fraction de l’attention qu’il suscite. Les gens qui connaissent le cheval avancent plusieurs raisons de plus pourquoi il est devenu le favori des amateurs, non seulement parmi ceux qui jouent sur les ‘longshots’ à Woodbine. « Ce que je fais toujours, si je suis à la piste et que mon cheval gagne, je demande aux gens s’ils aimeraient m’accompagner dans le cercle du vainqueur, » dit Leber. « Il y a des gens à divers endroits qui me cherchent quand j’y suis. » Ces photographies se retrouvent avec les photos de ses autres chevaux à succès, comme Rubis Prescott, Southwind Ion, ou Rebel Voyager, mais elles sont souvent en parallèle avec celles de Phil.

De la perspective d’un homme de chevaux, d’ajouter Nixon, « Je pense que n’importe qui pourrait faire quelque chose avec Champagne Phil… Il est toujours en santé, il mange bien, il est sain, il aime son travail en piste. Vous pouvez lui donner tout le travail que vous voulez, il s’épanouit. » Facile à vivre avec son palefrenier Ed Sahely, calme en réchauffement avant une course, le hongre est un pur plaisir pour ceux qui l’entourent. « S’il était une personne, il serait celui avec qui tout le monde veut se tenir, » fait remarquer son entraîneur.

Ne faisant pas partie d’une dynastie des courses, bien qu’il soit ami avec d’autres propriétaires (et de possibles relations à distance) Conrad Leber, Georg possède des agences de collection internationales. « Je fais de la conciliation de portfolios de dettes à journée longue, à partir de mon bureau ici à Pefferlaw, explique-t-il.

Il apprécie les opportunités que lui procure son entreprise, et se fait un point de réinvestir dans les courses de chevaux – Leber possède 16 Standardbred aujourd’hui, la plupart étant des poulinières et leurs bébés, six autres qui coursent activement. Il aime redonner à la communauté, parfois de manière peu orthodoxe, comme conclure un marché de participation dans un yearling trotteur avec Jared Dodington, un garçon de Cap Breton souffrant d’autisme («Inspiré par le courage de Jared » paru dans le TROT d’avril 2017). Tous les profits des courses de l’Atlantic Sires Stakes-des deux ans éligibles seront versés à des organismes de charité.

Certes un consommateur de bière, pas de Champagne, Leber dit qu’il aime aider les gens à plus se connecter aux courses sous harnais. Il n’a rien contre le fait d’être un « mécène » dans le domaine des courses depuis des années alors que ICR Racing ne crée pas de profits, parce qu’il est reconnaissant pour ses succès professionnels, ses chevaux, ses amis de l’industrie, et la pure joie du sport. « Autant difficile et pragmatique que cela, » il conseille « si vous n’aimez absolument pas les chevaux, vous vous trompez de métier. »

Levez-vos verres à cela, et à Champagne Phil.

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